lundi 8 décembre 2014

Entrevue HOLLANDE - POUTINE à Moscou !


La nouvelle est tombée samedi matin : le président français va rencontre Vladimir Poutine à Moscou ! Bien entendu, pas question de transformer Moscou en Canossa, donc on y va « en passant ». On s’arrêtera en revenant du Kazakhstan. Mais c’est quand-même un événement important, même si, officiellement on cherche tout de même à en minimiser la valeur symbolique.
Inutile sans doute de préciser que cet événement me ravit. La France est peut-être en train de chercher à renouer les fils du dialogue. Si ce pas en avant n’est pas suivi, comme souvent de deux pas en arrière, cela voudra dire que les dirigeants français ont enfin compris que notre pays ne peut exister que dans la mesure où il sera une voix indépendante. Il y a bien longtemps que ces dirigeants auraient du avoir un petit coup d’œil dans le rétroviseur et auraient du tenir compte des leçons de l’histoire.
La France n’est pas faite pour se dissoudre dans des coalitions quelles qu’elles soient. La France ne peut exister que dans un certain isolement intellectuel. Elle n’est pas faite, évidemment, pour dominer le monde, elle n’en a plus les moyens depuis bien longtemps. Elle doit seulement chercher à rester, en toutes circonstances, la voix de la raison. Pour cela elle doit protéger jalousement son indépendance.
Bon, revenons sur terre ! Cette visite à elle seule ne justifie pas, bien sûr, une telle envolée. De plus, le passé récent, nous a appris que ce genre d’initiatives était souvent suivi d’un mouvement inverse d’intensité équivalente ou supérieure. L’avenir proche nous dira si nous venons d’assister à la naissance d’une position nouvelle ou s’il s’agit seulement de la réaction d’un dominé qui n’a pas encore totalement accepté la domination qui lui est imposée.
En effet, quelle est la raison d’une telle initiative ? La situation a-t-elle évolué depuis deux semaines ? Les sanctions on-t-elles eu ces effets miraculeux que l’on nous promet depuis plus de six mois ? La position de la Russie à propos de l’Ukraine a-t-elle évolué ? Pour ce qui est de la dernière question, la réponse est non. La Russie ne veut pas d’une Ukraine dans l’Otan, elle ne veut pas non plus d’une Ukraine choisissant une appartenance exclusive à l’Union Européenne. Mais qui le veut, en vérité ? L’Allemagne et la France ont exprimé, il y a des mois, leur opposition à une entrée dans l’Otan. L’Europe n’a pas les moyens, notamment financiers, d’accueillir l’Ukraine, et elle le sait. Elle continue seulement avec un incroyable cynisme à laisser croire aux Ukrainiens qu’ils vont bientôt intégrer ce nouveau paradis sur terre. Jacques Sapir évoquait dans une analyse sur son blog ce matin une entrée éventuelle, « dans vingt ans ou plus ».
L’Europe persiste à jouer le jeu stérile et dangereux qui lui est imposé par son maître, un maître dont l’objectif principal est d’empêcher la naissance sur le continent européen d’une puissance susceptible de lui faire concurrence. Dans le même temps, on continue à « négocier » en toute discrétion l’accord transatlantique qui devrait parachever l’asservissement des pays européens. Un accord transatlantique dont les populations ne veulent pas et que mes confrères russes appellent maintenant « l’Otan économique ».
Mais ailleurs, il y a eu des changements. Et quels changements ! Tout d’abord, la diplomatie russe et son président, ne cachent plus le mépris que leur inspirent les comportements des pays européens. Cette nouvelle attitude a d’autant plus choqué que, jusque là, tout le monde s’étonnait de la « prudence » des réactions du président russe. Certains y voyaient une forme de crainte, d’autres, une sorte de renoncement, les premiers pour s’en réjouir (vous voyez, les sanctions ça marche), les autres pour le déplorer (Vladimir Poutine abandonne nos frères russes d’Ukraine). Ces deux analyses se sont révélées fausses et les deux derniers discours importants de Vladimir Poutine ont sonné pour veux qui rêvaient comme un réveil brutal.
A Sochi, tout d’abord, lors de la dernière réunion du Club de Valdaï (où j’ai d’ailleurs eu le plaisir de rencontre Ivan Blot, ancien député français). Le président russe a accusé les USA d’avoir un comportement de « nouveau riche » peu responsable et il a, au contraire,  appelé au dialogue. Pour lui, « ceux qui prônent les révolutions de couleur et autres « changements de régime », n’ont pas tiré les leçons d’un 20ème siècle révolutionnaire qui a fait couler le sang au nom du romantisme de la création d’un prétendu « homme nouveau ». Au nom de l’homme nouveau, fasciste, communiste ou cosmopolite au nom de droits de l’homme manipulés, on se donne la permission d’opprimer l’homme réel. »
Suis-je conservateur, s’est ensuite demandé le président russe ? Avant de répondre immédiatement : « oui je le suis ! Mais ce conservatisme n’est pas synonyme de repli sur soi, mais de respect des traditions, des religions traditionnelles et de l’héritage historique. »
Ce thème a été repris et développé dans le discours de Vladimir Poutine devant les parlementaires russes au début de ce mois : "Une famille saine et une nation saine, les valeurs traditionnelles que nous avons héritées de nos ancêtres, assorties de l'aspiration à l'avenir, la stabilité, comme condition du progrès, le respect des autres peuples et Etats en garantissant la sécurité de la Russie et en défendant ses intérêts légitimes, telles sont nos priorités".
On retrouve ensuite la présentation de la situation internationale vue de Moscou et des objectifs de la Russie. En résumé : vous pouvez vivre comme bon vous semble, mais ne rêvez pas de nous imposer vos vues où ce que vous appelez des « valeurs ». Nous sommes hors de votre portée. "Personne n'arrivera à obtenir une suprématie militaire sur la Russie. Nous avons une armée moderne, apte au combat, une armée "courtoise", comme on dit aujourd'hui, mais redoutable. Nous avons suffisamment de forces, de volonté et de courage pour défendre notre liberté".
La suite du discours est l’expression du peu d’estime que la diplomatie russe semble maintenant avoir pour les pays européens. Vladimir Poutine parle tout d’abord des Etats-Unis avec ironie : "Ce n'est pas par hasard que j'ai mentionné nos amis américains car ils influencent toujours d'une manière directe ou indirecte nos relations avec nos voisins, au point que parfois on ne sait pas à qui parler: aux gouvernements de certains pays ou directement à leur protecteurs américains".
Parallèlement à cette attitude de distance froide, la Russie n’est pas restée inactive. Elle est membre de la plupart des organisations internationales asiatiques et, en particulier, de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) qui regroupe déjà la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan[1]. Elle a renforcé ses liens économiques avec la Chine, de façon spectaculaire dans le domaine du gaz, mais également dans la coopération militaire. La Chine de son côté a modifié sa position officielle après le G20 de Brisbane où des diplomates chinois ont fait part de leur réprobation face à la façon dont le président russe a été traité par les principaux pays occidentaux.
Curieusement, et ce n’est, à mon avis, certainement pas un hasard, c’est après cette rencontre que M. Gui Congyou, directeur de la zone « Europe et Asie centrale » au ministère chinois des affaires étrangères a déclaré, repris par « Itar-Tass », mais, bien sûr, pas par le New York Times : «“We should take a very careful and well-considered attitude to tackling nationalities’ issues. We are against any nationality gaining independence through referendums. As far as Crimea is concerned, it has very special features. We know well the history of Crimea’s affiliation[2].” Ceci ressemble fort, pour moi, à une reconnaissance « à la chinoise » du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie.
A quelques jours de là, Serguei Lavrov insistait sur le volet « technologies de pointe » que prenait également la coopération russo-chinoise. Un domaine dans lequel la Corée du Sud a également fait part de sa volonté de coopération après avoir rejeté les pressions visant à lui faire adopter les sanctions antirusses.
Cette semaine, Vladimir Poutine va effectuer une visite officielle en Inde. L’ambassadeur d’Inde en Russie donnait à cette occasion, comme il est de tradition, une interview aux médias russes. Il y déclarait, notamment : «  Il y a des possibilités très intéressantes de développer notre coopération économique vers un niveau correspondant aux complémentarités de nos deux pays dans ce domaine. (…) Ce sommet donnera à nos deux dirigeants la possibilité de coordonner leurs visions du développement de notre partenariat stratégique et privilégié, pour les années à venir. »
Parmi les possibilités de développement des liens bilatéraux, l’ambassadeur indien mentionnait la défense, l’énergie nucléaire, l’espace, le commerce et les investissements, les sciences et la technologie, la santé, l’éducation, les médias et la culture.
Rappelons que l’Inde fait partie des « états observateurs » de l’Organisation de Coopération de Shanghai, au même titre, d’ailleurs, que l’Afghanistan, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan. L’année prochaine, la Russie prendra la présidence tournante de l’OCS et on attend l’entrée de l’Inde et du Pakistan comme membres de plein droit.
On ne parle pas, pour le moment, de l’entrée de l’Iran, mais Moscou est sur le point de signer avec Téhéran un accord de livraison de pétrole iranien contre des produits agricoles et manufacturés russes. Washington par la bouche de l’inénarrable Mme Psaki a d’ailleurs promis des sanctions supplémentaires contre la Russie si cela se produisait (« faire toujours la même chose, en espérant à chaque fois obtenir un résultat différent ! » on connaît cette définition qu’Albert Einstein donnait de la folie).
Enfin, dernier événement en date, la Russie renonce au projet de gazoduc « South Stream », projet combattu depuis des mois par l’Union Européenne, sur la base du fameux « troisième paquet énergétique » dont certains pensent qu’il a été mis en place spécialement pour contrer le projet russe et qui empêche un producteur de gaz d’être également le propriétaire du tube par lequel il livre ce gaz.
L’annonce a été faite, ce n’est pas un hasard à l’occasion de la visite de Vladimir Poutine en Turquie. Elle s’est accompagnée de l’annonce de la construction d’un autre gazoduc vers la Turquie cette fois avec prévision de livraison (l’accord définitif n’est pas encore signé) de 63 milliards de mètres cube, dont 14 milliards iront à la Turquie. Le reste ira vers une usine de liquéfaction située face à la Grèce et où les acheteurs pourront venir se servir.
Cette décision fait suite également à la prise de position de la Bulgarie qui a finalement cédé aux pressions américano-européennes et a refusé le passage de South Stream sur son territoire, renonçant par là à des droits de passage estimés à quelques quatre cent millions de dollars par an. Pour ceux qui connaissent l’histoire de la région, il est particulièrement significatif que cette décision ait été annoncée depuis la Turquie. En effet, la Russie et la Bulgarie sont des nations slaves, liées par la même culture orthodoxe et en 1877, la Russie a aidé la Bulgarie à s’émanciper du joug… ottoman.
Remarquons également que la Turquie fait partie des « états partenaires de discussion » de l’OCS, de même que la Biélorussie et le Sri Lanka.
Ainsi donc, alors que les médias occidentaux ne cessent de parler de l’isolement de la Russie et des conséquences néfastes des sanctions, une observation neutre de la situation fait apparaître tout le contraire. Il était temps que la diplomatie française en tienne compte, dans l’intérêt du pays. Après tout, s’il est parfaitement légitime que M. Obama pense en priorité aux intérêts des Etats-Unis, le président français a été élu, lui, pour défendre du mieux possible les intérêts de la France.
Espérons que M. Hollande ne soit pas pris maintenant du vertige de celui qui, dans un élan de courage inhabituel, a osé faire un pas en avant et qui a soudain l’impression de se trouver au dessus du vide, et que son prochain mouvement ne soit pas en direction de ces soi-disant « alliés » qui ne se veulent que des « maîtres ».
Car, et on se demande si les deux évènements sont liés, Mme. Merkel a pris hier une position particulièrement agressive vis à vis de la Russie. Dans une interview à l’hebdomadaire allemand « Welt am Sonntag », elle affirme que Moscou « n'hésite pas à bafouer l'intégrité territoriale des pays voisins » et ajoute même qu’elle serait prête à participer à un conflit armé avec la Russie expliquant : « qu'en cas de conflit armé entre la Russie, d'un côté, et l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie de l'autre, l'Otan accorderait aux pays baltes une assistance militaire, comme prévu par les engagements dans le cadre de l'Alliance. » Se rend-elle compte de ce que de tels propos ont de dangereux dans la bouche d’une personne ayant ses responsabilités ?
Je ne parviens pas encore à m’expliquer le retournement de position de Mme. Merkel vis à vis de la Russie, mais je partage tout à fait le sentiment de Philippe Grasset qui écrivait récemment : « Aucun élément nouveau décisif, dans les trois ou quatre derniers mois, ne paraît devoir justifier le revirement de Merkel exprimé dans des termes si dramatiques et alarmistes, et encore moins l’expliquer. » D’où la tentation d’expliquer ce revirement violemment antirusse par d’autres moyens et, pourquoi pas comme le fait ce même Philippe Grasset, par : «  la thèse évoquée épisodiquement ici et là selon laquelle les USA disposent d’un moyen de pression personnel et direct sur la chancelière et qui est de moins en moins jugée comme aléatoire ou farfelue. Ce moyen de pression peut aller aussi bien de documents récupérés de l’ex-RDA, par exemple des archives de la Stasi, que de certaines affirmations et confidences de la chancelière interceptées par la NSA. »
Quoi qu’il en soit, une fois n’est pas coutume, je suis ravi de l’initiative prise par le président français, parce que c’est une initiative qui va à la fois dans le sens d’un honneur retrouvé de notre pays, et dans le sens du dialogue, si nécessaire dans un environnement ou, par faiblesse, les Etats-Unis et leurs vassaux privilégient la voie de la violence et refusent celle du dialogue.


[1] Elle a été créée à Shanghai les 14 et 15 juin 2001 par les présidents de ces six pays.
[2] « Nous devrions adopter une attitude prudente et réfléchie en ce qui concerne les questions de nationalités. Nous sommes opposés à l’accession à l’indépendance par réferrendum de quelque nationalité que ce soit. Mais en ce qui concerne la Crimée, il s’agit d’une situation très spéciale. Nous sommes tout à fait au courant de l’histoire des affiliations de la Crimée. »