vendredi 16 janvier 2015

Russie : François Hollande persiste, va-t-il signer ?


Je concluais un précédent article en disant : « Entre Bruxelles et Washington, quelle est la marge de manœuvre de, disons, au hasard, François Hollande ? Est-ce qu’il commencerait à réaliser la situation et faudrait-il expliquer ainsi son escale rapide à Moscou en revenant d’Astana ? Ou est-ce que je continue à prendre mes désirs pour des réalités ?... »
Aujourd’hui, je dirais que l’évolution, sinon des évènements, en tout cas des prises de positions me permet de continuer à espérer.
Deux grandes lignes semblent se dessiner clairement maintenant dans l’Union Européenne. D’un côté Mme. Merkel qui veut tenir fermement la ligne des sanctions. De l’autre un président français qui déclare que « Les sanctions doivent être levées s'il y a des progrès. S'il n'y a pas de progrès, les sanctions demeureront ». François Hollande faisait allusion à la réunion des présidents au format « Normandie » initialement prévue à Astana le 15 janvier. Ce à quoi la chancelière allemande répondait : "Je pense qu'il faut que nous puissions voir mise en oeuvre la totalité des accords de Minsk pour que nous puissions dire que l'on peut lever ces sanctions". Les circonstances de cette déclaration ne sont pas anodines, puisque Mme. Merkel l’a fait à Berlin, au cours d'une conférence de presse commune avec le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk.
Nous avons donc, d’un côté la chancelière allemande qui fonctionne en parallèle du pouvoir Ukrainien et le président français qui fait savoir que le régime des sanctions commence à lui peser.
Voyons d’abord le côté allemand. Il y a quelques mois, on se posait la question des motivations de Mme. Merkel. J’ai discuté il y a un peu plus d’un mois avec un diplomate russe qui connaît bien l’Union Européenne et la France en particulier. Pour lui, il ne faisait aucun doute que la position de la chancelière est celle de quelqu’un qui se sent prête à diriger l’Union Européenne. Pour cela, elle a besoin d’affirmer sa propre ligne. Que cette ligne corresponde, pour le moment, à la ligne américaine est un bonheur collatéral. Mais il serait erroné de penser qu’elle « roule » pour les Etats-Unis. Le moment venu elle prendra de l’indépendance, sans aller, bien sûr à la rupture ce que son électorat n’accepterait pas. D’ailleurs elle ne le veut pas elle-même. Ce qui lui importe c’est de prendre un peu de distance pour asseoir son autorité sur l’Union Européenne.
Si on relit les principales déclarations de Mme. Merkel ces derniers mois, cette analyse semble confirmée par la réalité. Elle parle désormais au « nom de l’Union Européenne ». D’autre part, l’Allemagne est à la recherche de solutions pour protéger les acquis de sa population dont la moyenne d’âge augmente plus rapidement que dans d’autres pays européens. L’Ukraine avec son marché de plus de 45 millions d’habitants et une force de travail bon marché serait une solution tentante, même si, pour cela, il faut, au moins temporairement, s’allier à un gouvernement dans lequel figurent en bonne place un certain nombre de néonazis.
Mais la classe politique allemande ne fait pas bloc derrière la chancelière sur ce sujet. Beaucoup s’en faut. Les milieux économiques ne sont pas satisfaits non plus. Il est difficile de dire combien de temps Mme. Merkel pourra imposer ses vues concernant les sanctions à ces partenaires intérieurs. Certains pensent même dans les milieux anglo saxons, qu’elle ne survivra pas, politiquement, aux problèmes qu’elle aura à régler cette année.
Du côté français, la situation est en train d’évoluer, au moins en apparence. Mais les relations internationales sont aussi faites de signaux et d’apparences.
Le président français semble, à présent,  désireux de prendre au moins certaines distances avec la politique allemande dans ce domaine, faute d’avoir le courage de le faire sur les questions économiques ou celle de la gouvernance de l’Union Européenne. Il peut légitimement espérer faire taire une partie de ses critiques en s’opposant à la direction allemande dans un domaine ou il ne risque pas de devoir apparaître comme celui qui a mis en cause la construction européenne telle qu’elle est aujourd’hui où la zone euro.
D’autre part, il peut compter sur le soutien de la Russie dans ce type de politique. Mais surtout, les attentats récents à Paris on changé l’ambiance générale. Le rôle que pourrait jouer la Russie, expert reconnu internationalement de la lutte contre le terrorisme est un argument fort qui pourrait changer durablement l’image de ce pays dans les médias.
Ainsi donc, on l’a vu rendre visite au président Russe à son retour du Kazakhstan. Puis il a fait des déclarations apaisantes comme celle où il explique que la Russie ne veut pas envahir l’Ukraine, « le président Poutine me l’a dit ». Il a accepté de participer à une réunion au Kazakhstan avec la Russie, l’Ukraine et l’Allemagne (le format dit « de Normandie » par référence à la rencontre qui a eu lieu lors des cérémonies de commémoration du débarquement) en juin. Il y avait mis une condition de bon sens, « qu’il y ait des chances que cette rencontre soit productive », c’était le moins. Cette réunion a été reportée suite à une séance de préparation qui a eu lieu il y a quelques jours à Berlin. Ceci n’est pas le fait de la France, mais plutôt du côté ukrainien. On peut y voir la main des Etats-Unis qui ne verraient pas d’un bon œil un accord qui n’arrange pas leur politique actuelle d’agression vers la Russie et auquel, injure suprême, ils n’auraient pas participé.
On notera au passage que ceci est bien la manifestation de ce qui se passe en coulisse dans un pays qui est maintenant contrôlé et même effectivement dirigé par la CIA et le département d’état. On citera à titre d’exemple, la nomination, par le président ukrainien, au poste de ministre des finances, de Natalie Jaresko, une Américaine d'origine ukrainienne qui a travaillé pour le département d'Etat américain et pour un fonds d'investissement ukrainien financé par le Congrès des Etats-Unis. Comme cela semblait tout de même un peu étonnant, la porte parole du dit département d’état, Marie Harf, a affirmé, sans rire, que les Etats-Unis «n'avaient rien à voir du tout avec cela. C'est le choix du peuple ukrainien et de leurs représentants élus». On est prié de la croire…
Cela n’enlève rien, bien au contraire, à la volonté du président français de sortir de l’impasse actuelle qui commence à coûter cher aux différentes économies européennes. D’autant que, si la France prend maintenant la tête du mouvement, ses relations diplomatiques et les intérêts des entreprises françaises en Russie s’en trouveront renforcés.
Réaction de la Russie, comme en réponse à ces ouvertures françaises encore timides, on envoie une lettre demandant à la France de déclarer officiellement sa position en ce qui concerne la livraison des deux navire de type « Mistral ». Les médias officiels, dont on sait pour qui ils « roulent » on présenté cela comme une mise en demeure avant une action en justice. J’y vois, tout au contraire, une offre d’apaisement. D’autant que, de son côté, le ministre adjoint russe de la Défense Youri Borissov a déclaré : « Nous serions satisfaits quelle que soit l'issue – les Mistral ou le remboursement de l'argent investi ». Ceci ne sonne pas comme une mise en demeure, mais plutôt comme « annoncez votre choix, nous l’acceptons d’avance ». Il faut dire aussi que la Russie est bien placée pour se montrer compréhensive dans ce domaine. Elle a été, elle-même, dans la position de la France en 2010 quand elle a refusé de livrer à l’Iran, des missiles S300 commandés et payés par ce pays.
Peu de jours après, l’ambassadeur de France en Russie, Jean-Maurice Ripert, donnait une interview au quotidien « Kommersant » dans laquelle il déclarait notamment : « Nous ne voulons pas accepter la rupture, le fait que la Russie s’éloigne de l’Europe ou l’Europe de la Russie. Le concept d’Eurasie ne me gêne pas, c’est une réalité. La Russie est un pont entre l’Europe et l’Asie, et, bien sûr, la Russie fait partie de l’Europe ».
Chacun sait qu’un ambassadeur ne fait jamais ce genre de commentaires de son propre chef. Il suit à la lettre les instructions qui lui sont données par le Quai d’Orsay. On mesure donc l’importance de telles déclarations. D’autant que ce n’est pas une première en ce qui concerne Jean-Maurice Ripert. Il avait déjà déclaré, il y a environ deux mois, lors d’un voyage en province à Sverdlovsk, « Nous espérons sortir de ce cycle des sanctions dans un avenir proche. Et nous sommes venus ici pour nous préparer au moment, où il sera possible de mettre intégralement en œuvre la machine de la coopération franco-russe ».
Ainsi donc, un mouvement de fond commence qui pourrait, s’il allait à son terme, changer complètement la donne dans les relations entre la France et la Russie, la France et l’Europe et donc l’Europe et la Russie. Et tout ceci à l’initiative de la France et, en particulier de son président. François Hollande y retrouverait un poids qui pourrait lui permettre de relancer une carrière politique que tout le monde s’accordait il n’y a pas longtemps à considérer comme virtuellement terminée. Voilà pour la motivation personnelle et égoïste. Espérons que cela ne soit pas la seule et, d’ailleurs, il a matière à se sentir motivé par l’avenir de la France.
Comme je le mentionnais plus haut, Mme. Merkel se comporte maintenant comme le vrai patron de l’Union Européenne. Jusqu’à une période récente, l’Union Européenne c’était, pour simplifier, l’économie de l’Allemagne avec la voix de la France. Maintenant, c’est l’économie de l’Allemagne avec la voix de l’Allemagne. Si François Hollande ne fait rien, avant la fin de son mandat, la France, avec ses difficultés économiques sera devenu un membre de seconde classe de l’Union Européenne.
Il y a donc urgence, mais il peut compter sur l’aide de la Russie. La Russie apportera son aide pour deux raisons. La première, plutôt sentimentale, mais forte, est le passé des relations franco-russes qui ont plus de mille ans et sont restées fortes même à l’époque de la guerre froide. Dans une récente émission sur une radio russe, qui réunissait Kyrill Koktish, professeur associé à l’Ecole Nationale des Relations Internationales de Moscou et Dmitri Yakushkine, un expert indépendant, ce dernier remarquait : « ceci me rappelle le rôle que la France a essayé de jouer dans les années 60. Elle cherchait à retrouver sa gloire d’avant guerre en se positionnant comme un pays entre l’Est et l’Ouest. A cette époque, l’Urss faisait preuve de beaucoup de retenue dans ses critiques envers la France. »
La deuxième raison est que, ayant une vue large de la situation de crise actuelle, la Russie peut mieux en analyser les causes et les trajectoires. En France, la réflexion est polluée, comme bloquée par la communication haineuse de médias dégoulinants « d’anti poutinisme » et « d’anti russisme ». Nous traversons une phase pendant laquelle il devient possible de redistribuer les cartes, d’établir un nouveau rapport de force entre l’Eurasie et le monde occidental. La Russie sait que la France pourrait être un partenaire idéal pour atteindre ces fins. Son histoire montre qu’elle est sans doute le pays le plus qualifié pour jouer ce rôle d’arbitre sans lequel il sera difficile de régler les différentes crises actuelles.
Le Russie moderne a su aussi se construire une image d’intermédiaire fiable dans certaines régions du monde où la France est moins présente. Dans l’émission de radio citée plus haut, Kyrill Koktish, remarquait : « Si le président Hollande parvient à construire un pont entre l’Union Européenne et l’Union Eurasiatique, lui et la France serait de grands gagnants, car l’Europe retournerait à la tradition intellectuelle française, sans laquelle cette Europe serait un pays sans esprit ».
La France a besoin de croire à nouveau en elle. La meilleure façon de lui redonner cette confiance serait de lui redonner sa place dans la diplomatie mondiale. La confiance retrouvée ne règlerait évidemment pas les problèmes intérieurs (économie, immigration, etc.) mais créerait la seule ambiance propice au règlement « à la française » de ces problèmes.

mercredi 7 janvier 2015

Saurons-nous sortir des sanctions contre la Russie ?


La question mérite d’être posée au moment où François Hollande semble prendre un virage plus conciliant vis à vis de Moscou. J’attends la réaction de l’Allemagne avant de me réjouir. D’autre part, les Etats-Unis qui sont à l’origine de ces sanctions ont mis un demi siècle à reconnaître que celles qu’ils appliquaient à Cuba étaient sans effet, ou plutôt n’ont pas produit les effets escomptés. Espérons que l’Union Européenne sera plus rapide. Il en va d’ailleurs de sa propre survie.
Ce que nous faisons aux autres en dit long sur ce que nous sommes. Cette phrase est un détournement du dicton « Ce que nous disons des autres en dit plus long sur nous-mêmes que sur les autres ». Elle me semble bien s’appliquer à la situation présente.
Je reviens d’un voyage en Ukraine et en Russie. J’ai passé le nouvel an chez des amis en banlieue de Moscou, et, nous nous sommes remémoré nos expériences des années 90. On ne le sait pas en Europe, ou on ne veut pas le savoir, mais la « période Eltsine » a été celle du chaos économique, politique et social à l’intérieur. A l’extérieur, ça a été celle de l’humiliation. Mes amis me rappelaient les visites de Michel Camdessus à Moscou quand la Russie vivait sous perfusion du FMI et de la Banque Mondiale. Les crises se sont succédées à cette époque. Notre hôte expliquait, à mon avis avec juste raison, qu’ « il y a plus d’expérience de la gestion des crises en Russie que dans n’importe quel autre pays européen ».
Cet élément est essentiel pour comprendre les réactions russes face à la crise actuelle, la chute du rouble et celle des prix du pétrole. Je remarquerais en passant que la chute du rouble amortit fortement celle des prix de l’or noir et ne l’aggrave pas comme semblent le penser certains de mes confrères.
Quel est le l’objectif des pays qui ont « décidé » les sanctions contre la Russie ? Officiellement, cela va de « faire comprendre à Moscou que son comportement en Crimée est inacceptable », à « provoquer un changement politique dans le pays », avec des nuances entre ces deux extrêmes.
Les sanctions sont supposées faire mal. Elle doivent provoquer un mal insupportable, et elle ont été calibrées en fonction de ce que les Occidentaux seraient prêts à supporter (c’est logique), mais la limite en Russie est beaucoup plus haute.
Il y a deux points sur lesquels les Occidentaux se trompent, leurs dirigeants, en tout cas. Le premier,  c’est que le peuple russe peut supporter des choses qui briseraient la volonté d’autres pays.
Le second c’est que la culture russe accorde une grande importance au groupe. Les spécialistes des relations interculturelles parlent de « communautarisme ». Ainsi, plus on appliquera de pression sur eux, plus les Russes feront bloc, et ils feront bloc autour de leurs dirigeants. On l’a vu depuis quelques mois, après l’agression occidentale contre la Russie, via l’Ukraine, la cote de popularité de Vladimir Poutine qui oscillait autour des soixante pour cent est rapidement passée au delà de quatre vingt pour cent.
Alors, il y a peut-être un point de rupture, un point au delà duquel le soutien au président baisserait au lieu d’augmenter. C’est ce que semble croire Barak Obama. Personnellement, j’en doute et l’histoire confirme mon impression. Mais même si ce point de rupture existe, il est forcément au delà du point de rupture des Occidentaux. Car les sanctions ne pénalisent pas seulement la Russie, mais les pays européens aussi, les statistiques le montrent clairement maintenant. L’Europe est en train de jouer sa survie, mais on ne le lui dit pas. La France joue son avenir, mais on lui cache.
Les sanctions sont destinées à faire mal. Nous décidons donc les sanctions en fonction de ce qui nous fait mal. Dans quel domaine a-t-on choisi d’appliquer ces sanctions ? Dans le domaine de l’économie et de la finance (des voyages aussi, mais c’est anecdotique).
Cela montre que les Occidentaux sont tellement habitués à vivre l’économie comme le centre de leur univers, qu’instinctivement c’est là qu’ils frappent. Ils oublient simplement que pour d’autres, dans d’autres pays, l’homme est toujours le centre de leur univers. Chez eux l’économie est au service de l’homme, et pas le contraire. Les rapports humains viennent avant les relations financières. Que l’économie aille moins bien n’est pas l’essentiel. Et puis, cela va passer. Les temps changeront comme le temps changera.
La nature des sanctions décidées est une nouvelle preuve que l’homme est oublié, dans les pays occidentaux, où l’économie a été mise au centre des préoccupations. Nous voyons tous les jours les dégâts que provoque cette approche. Mais on ne fait pas le lien entre les différents éléments du problème.
La conséquence de cela est que les pays Occidentaux ne sont pas prêts, psychologiquement à abandonner le système des sanctions. Abandonner ce système, c’est reconnaître que, dès le départ, on s’est trompé. Et il ne s’agit pas d’une erreur de détail, mais d’une erreur essentielle. Les Russes se moqueraient-ils de l’état de leur économie ? Une telle réaction, est la marque d’une autre erreur d’appréciation qui tient au point de vue occidental, à sa vision de la réalité qui n’est pas la réalité.  Alors, au début ils n’y croient pas, c’est impossible, se moquer de son économie ! Bien sûr les Russes se préoccupent d’économie, ils ont des statistiques économiques, et ils consomment, mais ce n’est pas le centre de leur vie.
Admettre cela, c’est admettre que d’autres pays, et pas des moindres, ne pensent pas comme eux et sont malgré tout heureux (allez voir les Russes chez eux en ce moment, rien ne semble avoir changé, sauf peut-être chez les mangeurs compulsifs de camembert, mais il y en a très peu…).
Les Russes qui dans les années 90 rêvaient de ressembler aux Etats-Unis ou aux pays de l’Union Européenne ont découvert ce qu’étaient ces pays et que leur façon de vivre ne leur convenait pas. Ils ont tourné leurs recherches existentielles vers eux-mêmes et leur Est, bien avant 2014. Ils ont aussi pris la mesure de l’incapacité de l’Union Européenne à gérer la crise économique et financière qui n’en finit pas depuis 2008/09. Cette prise de conscience s'est produite dans le courant de 2013 et c’est pour cela qu’ils se sont alors tournés vers les pays des BRICS.
La prise de conscience de l’inefficacité des sanctions sur la population russe serait une excellente occasion pour les Européens de réaliser qu’il y a une vie hors de l’économie et de la consommation.
La France n’est pas la Russie, c’est une évidence. La France devrait-elle copier la Russie ? Pas non plus. Mais la France devrait tirer de l’observation de la Russie un exemple à suivre. La Russie demande qu’on la laisse vivre sa différence et que chaque pays traite les autres pays comme des égaux, souverains et libre de vivre leur différence chez eux.
Ce serait l’occasion pour la France de redevenir ce qu’elle est, hors des schémas qui lui sont imposés de l’étranger. La France n’a jamais été aussi grande que quand elle était elle-même. Elle se cherche aujourd’hui car elle s’est perdue. Elle se sent envahie par des étrangers parce qu’elle ne sait plus qui elle est. Se retrouver, ce n’est pas un recul, un retour en arrière, c’est accepter sa différence et, par voie de conséquence celle des autres. C’est à ce prix qu’elle retrouvera la possibilité de vivre harmonieusement avec des gens qui ne sont pas comme elle. Quand elle saura de nouveau qui elle est.

jeudi 1 janvier 2015

Les « Mistral », un problème franco-français


L’année 2014 aura été riche en évènements. Les jeux Olympiques de Sochi, tant critiqués par les médias internationaux qui se sont soldés par un double succès pour la Russie, sur le plan de l’organisation et sur celui des médailles. Les grincheux de tous bords se sont accrochés au coût soi-disant exorbitant de l’organisation, en prenant soin de ne pas faire la différence entre les coûts directs de l’organisation et les travaux d’infrastructure.
Malheureusement, il y a eu aussi la reprise de la guerre en Irak, l’épidémie de fièvre hémorragique « Ebola », et, bien sûr, plus près de nous, le coup d’état en Ukraine et la guerre civile qui s’en suivit faisant plus de quatre mille cinq cent morts dont beaucoup de civils, d’innombrables blessés, des déplacés et des destructions énormes. Le pays ne s’en remettra qu’au prix d’efforts incroyables. Des efforts qui, d’ailleurs, pèseront sur le portefeuille des Européens, donc le nôtre. Je me prends à rêver à un système qui permettrait de faire payer par les  dirigeants le prix de leurs erreurs ! Car en Ukraine également, qui paye le plus lourd tribu au chaos organisé par les dirigeants locaux avec le soutien de l’Union Européenne et des Etats Unis ? La population, bien sûr, qui pourtant n’est pour rien ou presque dans ce qui s’est passé.
On a beaucoup parlé aussi, en particulier en France, de la vente des navires Mistral, enfin surtout de leur livraison, car, curieusement, c’est la livraison qui a fait couler le plus d’encre. Mais l’élément déclencheur était bien la vente, non ? En août 2008, le président Sarkozy, alors président de l’Union Européenne intervenait dans le conflit entre la Russie et la Géorgie à la satisfaction générale, et en particulier à celle de la Russie. Il ne se laissait, en effet, pas impressionner par la propagande américaine ni celle de certains pays européens prétendant que la Russie avait attaqué son pauvre voisin, alors que l’assaillant était effectivement, la Géorgie, ce qu’une enquête de l’Union Européenne devait confirmer plus tard. Pour le remercier de son intervention, la Russie décidait de commander deux navires ce qui réglait un problème grave aux chantiers navals de Saint Nazaire. Je ne me souviens pas avoir entendu à l’époque de réactions négatives. Sauf, peut-être en Russie ou un bon nombre de militaires expliquaient que de tels navires ne correspondaient pas à la doctrine d’emploi de la marine russe. Ils n’ont pas été entendus du côté russe car il s’agissait aussi d’un acte politique qui visait à resserrer les liens entre la Russie et la France dans un domaine hautement stratégique, celui de la défense.
Mais en 2014, l’offensive contre la Russie était lancée par les Etats-Unis, via l’Otan et l’Union Européenne, par l’intermédiaire du coup d’état orchestré en Ukraine. Alors, il devenait impensable qu’un pays membre de l’Otan puisse livrer du matériel militaire à « l’ennemi ». On remarquera que c’est le même Nicolas Sarkozy qui a signé le contrat de vente des Mistral et qui a ramené la France dans le commandement intégré de l’Otan, rendant impossible la livraison de ce qu’il avait contribué à vendre…
Depuis quelques mois, les commentaires vont bon train. Livrer, ne pas livrer, tous les « grands esprits » de la politique française, ou presque ont donné leur avis, ce qui ne contribue évidemment pas à la clarté des débats. Du côté russe également, les commentaires se sont multipliés. Une fois la poussière des mouvements retombée, que reste-t-il ? On a parlé de pénalités astronomiques en cas de non livraison. Où en sommes-nous ? Le côté russe ne demande, en fait, que le remboursement des sommes versées. « Rendez-nous notre argent et gardez vos navires. Ils sont parfaitement adaptés à la doctrine d’emploi de la marine française qui n’est pas la nôtre et, en plus, ils sont extrêmement vulnérables, ce qui implique une organisation tactique particulière qui n’est pas non plus la nôtre ».
Le manquement à la parole ? Les Russes sont bien placé pour évaluer cet argument à sa juste valeur, eux qui ont renoncé, en septembre 2010, par décision du président de l’époque, Dimitri Medvedev, à livrer à l’Iran cinq batteries de missiles S300 pourtant dûment commandées et payées. Après des réactions enflammées, un accord a été trouvé comme un accord sera trouvé avec la France. Quelle influence cela aura-t-il sur la « signature française » au niveau international ? Sans doute beaucoup moins que ne veulent le dire des journalistes avides de sensations et qui ne connaissent pas grand chose à ce sur quoi ils prétendent avoir un avis.
Que reste-t-il de tout cela ? La France reste avec deux navires dont elle n’a pas besoin, des navires qu’il lui sera difficile de vendre ailleurs car ils ont été construits suivant des normes spécifiques au client initial et un constructeur privé qu’il va bien falloir indemniser. Avec quel argent ? Vous connaissez la réponse comme moi. Tâchez de vous en souvenir en 2017 ! Nous voilà donc, avec un problème franco-français.
Le plus important, à mon avis, n’est pas ce problème d’épicier. Le plus important est ce que la crise Ukrainienne a provoqué et que je n’ai pas vu soulevé par mes « chers confrères ». Il me faut admettre, ici, que je les lis de moins en moins et donc une éventuelle réaction de ce type a pu m’échapper. Le plus important donc c’est que maintenant, l’Europe ne peut plus faire semblant d’être indépendante. Elle ne l’était pas, c’est évident, mais elle pouvait toujours essayer de faire croire le contraire. Depuis l’affaire des Mistral, mais surtout depuis les sanctions décidées sous la pression des Etats-Unis et dont on a maintenant la preuve qu‘elles pénalisent l’Europe autant que le Russie, sinon plus, il n’est plus possible de prétendre que l’Europe a une politique indépendante des Etats-Unis. Mais le pire, c’est que maintenant le monde entier le sait, en particulier la Chine et la Russie. Et l’Europe sait que la Chine et la Russie le savent…
Vous pouvez imaginer comment vont se passer les réunions internationales en 2015 ? Les dirigeants européens avaient déjà abdiqué leurs responsabilités au profit de l’Union Européenne. « Je ne peux pas prendre ces décisions car elles vont à l’encontre des règlements européens ». Maintenant, j’ai admis que je ne pouvais pas non plus prendre de décisions sans l’approbation des Etats-Unis. Entre Bruxelles et Washington, quelle est la marge de manœuvre de, disons, au hasard, François Hollande ?
Est-ce qu’il commencerait à réaliser la situation et faudrait-il expliquer ainsi son escale rapide à Moscou en revenant d’Astana ? Ou est-ce que je continue à prendre mes désirs pour des réalités ?...