Depuis longtemps, les
vieux médias occidentaux reprochent à Vladimir Poutine tout ce qui les
contrarie dans les affaires du monde. Donald Trump, par ses remarques à propos
de l’Otan et des alliés européens des Etats-Unis, dans son discours de clôture
de la Convention Républicaine de Cleveland jeudi soir, a mis le feu au bassin
atlantique et les médias américains sont en mode panique. Ils reviennent
évidemment à leurs vieux phantasmes concernant le président russe responsable
de tout (ou presque). Il est raisonnable de penser que, comme d’habitude, les
médias européens vont leur emboîter le pas.
Pour Anne Applebaum, du
« Washington post », « En 2016, la réalité dépasse la fiction et
nous nous retrouvons avec un candidat à la présidence qui a des liens, directs
et indirects avec un dictateur
étranger, Vladimir Poutine, dont il promeut la politique. »
Pour Jeffrey Goldberg de « The Atlantic », « Le candidat
républicain, Donald Trump a tombé le masque se révélant de-facto l’agent de
Vladimir Poutine, un dictateur élevé au KGB qui veut reconstruire l’Empire
soviétique… »
Pour Franklin Foer de « Slate », « Vladimir Poutine a un
plan pour détruire l’Ouest et ce plan ressemble énormément à Donald
Trump. »
Nous
ne mentionnons ici que trois journalistes mais les commentaires ont presque tous
le même ton angoissé, même si tous ne mentionnent pas le président russe. Il
faut dire que les mouvements en Turquie et autour du pays ont de quoi les
rendre nerveux précisément sur le sujet de l’Otan.
Dans une conversation
téléphonique qu’il a eue mardi dernier avec le président iranien Hassan Rohani,
Recep Tayyip Erdogan a mentionné son intention de se rapprocher de l’Iran et de la Russie pour gérer
la situation au Proche Orient et ramener la paix dans la région. Une telle
déclaration, quels qu’en soient les motifs, n’est pas de bonne augure pour les
intérêts américains dans la région.
D’autant
qu’elle vient après trois autres développements également négatifs pour l’Otan.
Ces dernières semaines, la politique agressive de l’Otan vis à vis de la Russie,
soutenue par un certain nombre de pays membres a été critiquée par d’autres
membres, et non des moindres. Le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a critiqué cette
politique qu’il a qualifiée de provocation inutile et dangereuse. La plupart
des pays d’Europe de l’Est soutiennent cette politique, mais la Hongrie et la
République Tchèque ont montré leur désaccord.
Parallèlement
à cela, la réconciliation en cours entre Recep Tayyip Erdogan et Vladimir
Poutine affaiblit la position de l’Otan vis à vis de la Russie. Les deux
présidents ont annoncé il y a deux jours qu’ils allaient se rencontrer en
Russie au début du mois d’août.
Le
troisième élément est le tour autoritaire que prend l’après coup d’état en
Turquie. Bien que l’Otan ait toléré par le passé des régimes quasi dictatoriaux
comme au Portugal, en Turquie précisément et en Grèce de 1967 à 1974, cela est
passé de mode dans l’Alliance aujourd’hui et des pays membres ne cachent pas
leur réprobation vis a vis de la reprise en main en Turquie. Une réprobation
qui, évidemment n’a pas l’heur de plaire à Recep Tayyip Erdogan qui conseillait
récemment au ministre des affaires étrangères français de « s’occuper de
ses affaires ».
Dans
ce contexte, les déclarations de Donald Trump dans son discours d’investiture
ont de quoi stresser nos journalistes bien-pensant, le stress déclenchant chez
eux ce réflexe conditionné : « c’est la faute à Vladimir
Poutine. »
L’analyse
de la situation actuelle en Syrie et chez ses voisins amène tout de même à se
poser la question sur la nouvelle position de la Russie et de son président
dans la région, une position qui est évidemment la conséquence des actions de
la Russie et de son président.
Pour
Ryan Heath, correspondant en Europe
de « Politico », la tentative de coup d’état était une « opération
noire » du gouvernement pour pouvoir purger les milieux de l’armée et de
la justice de leurs éléments laïques (à ce jour plus de deux mille huit cent
militaires et autant de juges ont été arrêtés). On objectera qu’étant donné le réel
besoin qu’avait le président turc de renforcer son emprise sur le pouvoir, le
passage par une « fausse tentative de coup d’état » aurait été
particulièrement dangereux. Il est donc peu probable. Une autre option semble
plus vraisemblable qui serait une opération montée par Fethullah Gulen, ennemi
juré d’Erdogan installé aux USA depuis 1999 et disposant de connexions
sérieuses avec la CIA.
Muhammad Fethullah Gülen,
né en 1941 en Anatolie a prêché comme Imam d’Izmir jusqu’en 1981. Son biographe
le présente comme un musulman défenseur des idées néolibérales. Il a créé le
mouvement Hizmet qui s’occupe officiellement d’enseignement et dont le but est
de créer une nouvelle élite turque. D’après un article d’Osman Softic, dans openDemocratie.net, le 6 février 2014, ce mouvement a
attiré pour le moment plus de trois millions d’adhérents dont beaucoup occupent
des postes importants dans l’armée, la police, la justice et l’éducation.
Dans
cet ordre d’idée, on apprenait, par exemple, il y a deux jours que l’avion
russe abattu en novembre 2015 l’aurait été par un officier d’aviation turc
faisant partie des réseaux que Fethullah
Gulen entretien dans le pays. On se souvient que cet événement a donné un coup
d’arrêt à un rapprochement russo-turc que Washington voyait évidemment d’un
mauvais œil.
Gûlen a des liens étroits
avec des responsables actuels ou anciens de la CIA. Après s’être installé aux
Etats-Unis en 2000, il a reçu le soutien actif de Graham Fuller, analyste
important de la RAND Corporation et ancien chef de poste de la CIA à Kaboul
quand, en 2006, les Etats-Unis ont envisagé de l’expulser. D’après les mémoires
de Cibel Edmonds, Fuller est le lien principal de Gülen avec la CIA. Edmonds,
ancienne traductrice au FBI de documents venant de Turquie est ensuite devenue
un des « lanceurs d’alerte » les plus connus dans le domaine de la
sécurité aux Etats-Unis.
Gülen gère donc depuis
quinze ans, des Etats-Unis, son empire de centres d’éducation, d’entreprises
brassant des millions de dollars et de sociétés financières.
Etant
donné les ramifications du mouvement Hizmet et le fait que Gülen soit à la
merci du gouvernement américain, il n’est pas impossible que ce gouvernement
ait cherché à utiliser les réseaux de Gülen pour déstabiliser un Recep Tayyip
Erdogan dont la politique étrangère, en particulier vis à vis de la Russie ne
lui convenait pas.
Recep Tayyip Erdogan
n’aurait fait qu’exploiter cette situation qu’il n’a pas créée lui-même ce qui
nous semble beaucoup plus probable.
Il n’en reste pas moins
que cette tentative de coup d’état aura et a déjà des retombées importantes sur
la situation en Syrie et chez ses voisins. Le rapprochement entre la Turquie et
la Russie a repris et même si Recep Tayyip Erdogan n’est pas le plus fiable des
partenaires, le bras de fer qu’il a engagé avec les Etats-Unis à propos de Gülen
est, pour lui, une motivation forte. D’autre part, sa volonté de rapprochement
avec l’Iran, deuxième poids lourd dans la région va changer sérieusement la
donne et pas en faveur des Etats-Unis, de l’Otan ou de l’Union Européenne.
Et ça, on peut, au moins
en partie, le « reprocher » à un Vladimir Poutine qui a pris soin de
tenir le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou au courant, par téléphone, hier.