Ainsi donc, nous venons
d’apprendre que la France et la Russie avaient trouvé un accord sur les Mistrals
non livrés par la France. L’annonce met fin tout d’abord à une longue période
d’hésitations suite à la « découverte » par François Hollande que
« les conditions n’étaient pas réunies pour une livraison… ». Quelles
conditions ? On ne nous le dira jamais officiellement. Officieusement,
chacun sait que c’est un veto américain qui a bloqué le marché, mais ça, on ne
peut pas le reconnaître, il en va de notre honneur, n’est-ce pas. Mais quel
honneur ? Celui d’un président boutiquier qui n’a qu’une conception
étriquée et basse de ce que serait l’honneur. S’il ne s’agissait que de son
honneur personnel, mais il s’agit de l’honneur du président de la république et
donc de la France. Rien à voir avec sa petite personne qu’il confond avec la
position qu’il occupe. La Fontaine a parlé il y a longtemps d’une certaine
grenouille…
Elle met également fin à
un épisode beaucoup plus court et que l’on pourrait considérer comme plutôt
cocasse s’il ne mettait en jeu, une fois encore, celui qui incarne si mal
l’honneur de la France.
La semaine dernière,
François Hollande déclarait qu’il n’y avait pas encore d’accord avec la Russie
sur les Mistrals. Nous savions cependant que l’équipe de négociateurs français
était rentrée de Moscou avec un projet d’accord déjà « ficelé ». De
son côté, Moscou annonçait avoir trouvé un accord avec la France.
Des arguties
de boutiquier
Y avait-il ou non
accord ? Oui pour les Russes, non pour l’Elysée. Les négociateurs s’étant
quittés avec un projet d’accord accepté par tous, les Russes considéraient donc
qu’il y avait accord. Mais l’accord n’étant pas formellement signé, l’Elysée,
manipulant la réalité a pu prétendre qu’il n’y avait pas d’accord. Car il
fallait que le président donne l’impression de contrôler l’opération, il avait
besoin de donner cette impression car chacun sait qu’en réalité, ce n’est pas
lui qui a signé le contrat initial (c’est Nicolas Sarkozi), et ce n’est pas lui
qui a décidé de la non livraison (c’est Barak Obama). Il fallait à tout prix
manipuler les apparences, un jeu auquel le président français excelle, il faut
bien le lui reconnaître.
Ainsi donc, c’est lui qui
a annoncé la conclusion de l’accord, suite à une conversation téléphonique
qu’il a eue avec Vladimir Poutine. Il ne vous aura pas échappé que cette
annonce a été faite en Egypte, pays qui est le premier a avoir commandé des
Rafales français, et à l’occasion de la cérémonie officielle d’inauguration des
travaux du canal de Suez. Les médias ont donc matière à parler d’autre chose.
Il fallait boire la coupe
jusqu’à la lie, après les divers renoncements politiques qui ont fait de la
France un vassal soumis des Etats-Unis et de l’Otan.
Il y a, heureusement en
France, un certain nombre de dirigeants qui refusent cette situation. Ils ne
veulent pas sacrifier la politique étrangère et l’économie du pays à des
intérêts extérieurs. Les Etats-Unis jouent leur jeu et on ne saurait le leur
reprocher, mais il est du devoir de dirigeants responsables de ne pas céder à
ce jeu et aux règles que l’on veut nous imposer qui ne tiennent pas compte de
nos intérêts.
Thierry Mariani
est l’un d’eux. Le mardi 21 juillet, il annonçait le voyage en Russie et en
Crimée d’un groupe de parlementaires
français.
Cette annonce provoquait
immédiatement des réactions outrées de la part du gouvernement et des médias
« aux ordres ». Le lendemain de l’annonce, Laurent Fabius se disait
« choqué » et ajoutait
qu’il s’agissait selon lui d’ « une violation du droit international. Entrer
en Crimée sans l'autorisation des autorités ukrainiennes c'est, de fait,
reconnaître les prétentions russes". Deux jours plus tard, Bruno
Le Roux déclarait toujours à propos de ce voyage : "C'est une
soumission et une honte pour le Parlement français", à propos de
soumission, le gouvernement français sait de quoi il parle.
L’ambassadeur d’Ukraine à
Paris faisait part de son « indignation »,
mais il était, lui, dans son rôle.
Thierry Mariani est donc
resté fidèle à ses convictions et a effectué ce voyage avec sept de ses
collègues. Ce n’est pas une première, il avait déjà conduit un groupe de
parlementaires français à Moscou l’année dernière où ils avaient rencontré,
entre autres, Serguei Naryshkine, le président de la « Douma », le
parlement russe.
Je me souviens de la
première fois où j’ai rencontré Thierry Mariani, c’était à un colloque organisé
à l’Assemblée Nationale. C’est le premier homme politique français que j’ai
entendu qualifier publiquement le changement de pouvoir en Ukraine de
« coup d’état ».
Dans une interview qu’il
a donnée à l’auteur de l’excellent livre « Le Siècle Russie »,
dont je ferai prochainement une recension sur ce site, Thierry Mariani expliquait
à propos du rôle que la France devrait jouer dans les relations entre l’Union
Européenne et la Russie : « La France avait une position privilégiée
(par rapport à l’Allemagne), il y a quelques années. La situation s’est
inversée, aujourd’hui. Si on considère le dialogue personnel entre les chefs
d’états ou la situation économique, j’ai l’impression que l’Allemagne est
passée devant la France pour les Russes, même si on continue à avoir une
présence économique forte en Russie et même si nous avons des liens
historiques. Un ami russe me disait récemment, « pour le cœur, c’est les
Français, pour les affaires, c’est les Allemands ». Nous avions des atouts
naturels que nous avons un peu gâchés et il nous reste une pente à
remonter ».
Pour reprendre ses
propres termes, Thierry Mariani nous invite donc à « remonter la
pente », et il le fait avec brio. Le timing de ce voyage n’est pas
fortuit, pas plus que la destination. Depuis quelques semaines, la mauvaise foi
de Washington et de ses alliés les plus actifs au sein de l’Union Européenne
comme la Pologne ou les pays Baltes et la mauvaise foi doublée d’incompétence
du gouvernement ukrainien semblent provoquer une certaine prise de conscience
dans les principaux pays européens.
N’oublions pas non plus
ce qui se passe en Grèce. Que va faire l’Union Européenne quand l’Ukraine aura
fait défaut sur sa dette, quand la situation économique sera telle que nous
devrons faire face à une nouvelle vague d’immigration clandestine en provenance
d’Ukraine ? On commence à faire les comptes en Allemagne, en France ou en
Italie, même si on n’en parle pas encore publiquement.
La démarche des
parlementaires français arrive à un très bon moment. Je n’en veux pour preuve
que l’annonce de la visite en octobre de parlementaires italiens en Crimée et
celle de parlementaires allemands.
Il y a eu des rumeurs en
France, d’une possible visite de Nicolas Sarkozi. Si celle-ci avait lieu, si un
ancien président de la République Française, futur candidat au même poste se
rendait en Crimée, c’est serait fait, définitivement, du front uni européen
face à la Russie. D’autant plus que les économies des pays européens réclament
la fin des sanctions et de l’embargo qui ne font que renforcer l’effet déjà
désastreux des politiques d’austérité.
Ceci aurait pour effet
également de nous permettre de prendre quelques distance avec les Etats-Unis
qui nous imposent depuis plus d’un an une politique qui ne pénalise que l’Union
Européenne et la Russie.
Il semble y avoir, du
côté américain également, une certaine prise de conscience du fait que la politique
adoptée autour de la crise ukrainienne ne peut mener qu’à une impasse. Deux
candidat républicains à l’investiture de leur parti pour les élections
présidentielles ont même pris position en faveur d’une reprise des relation
avec la Russie. Le premier, Donald Trump, l’a fait dans son style direct
(« je pourrais m’entendre avec Vladimir Poutine »), l’autre, Rand
Paul de façon plus nuancée mais tout de même très nette. Ils n’auraient pas
fait ce genre de déclaration s’ils se savaient isolés politiquement sur ce
point.
A son retour, Thierry
Mariani a non seulement témoigné de la situation en Crimée, il a de nouveau
réclamé la levée des sanctions. Ces sanctions auxquelles s’accrochent les
Etats-Unis et une partie des pays de l’Union Européenne ne résistent pas, en
effet à l’analyse. Lorsque l’on questionne des dirigeants européens ou
américains, ils justifient les sanctions de trois façons.
La première justification
des sanctions est le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie qu’ils
jugent contraire au droit international et qu’ils considèrent comme un
précédent dangereux de modification de frontières non négocié. Tout d’abord,
ils oublient qu’il ne s’agit pas d’une première sur le continent européen
depuis le Kosovo. Mais surtout, chacun sait que la Russie ne renoncera jamais à
ce rattachement d’une région qui historiquement et ethniquement est russe. Nous
dirigeons nous donc vers des sanctions éternelles ?
La deuxième justification
est la catastrophe du vol MH17 au dessus de l’Ukraine. Mais les pays à la tête
desquels se trouvent les Etats-Unis qui accusent la Russie d’être directement
ou indirectement responsable de cette catastrophe n’ont jamais fourni de
preuves tangibles de ce qu’ils avançaient. La mascarade organisée au conseil de
sécurité de l’ONU pour obtenir la création d’un tribunal international et
pousser la Russie à refuser ce qui ne pouvait-être qu’une nouvelle manipulation
ne tient pas lieu de preuve de quoi que ce soit.
La troisième
justification est l’invasion supposée de l’Ukraine par la Russie. Là aussi,
aucune preuve d’une chimérique invasion qui pourtant serait si facile à
apporter, vu la quantité de satellites photographiant le pays. Une armée
d’invasion avec sa logistique ne passerait pas inaperçue.
Ces sanctions ne reposent
sur rien, si ce n’est le désir américain d’affaiblir l’Union Européenne et la
Russie et d’éviter une collaboration qui aboutirait à la création d’un ensemble
économique capable de rivaliser avec les Etats-Unis. Elles doivent être levées.
Jacques Myard écrivait
après son retour, dans un communiqué de presse : « Certaines personnes
nous ont accusé d'être "Pro russe". En ce qui me concerne je ne suis
ni " Pro russe " ni " Pro américain " mais simplement
" Pro français " et réaliste. (…)La Russie est un partenaire
incontournable pour la stabilité de l'Europe ! La France doit lever
unilatéralement ces sanctions inefficaces et contre-productives . Elle doit
retrouver une politique étrangère indépendante conforme à nos intérêts. Il y a urgence ! ».
Aucune voie discordante
sur le voyage dans le groupe de parlementaires. Thierry Mariani a montré le
chemin à suivre pour, selon son expression mentionnée plus haut :
« Remonter la pente ». Bravo et merci Thierry Mariani !