mardi 29 septembre 2015

Poutine à l’ONU, un discours de président


L’allocution de Vladimir Poutine à l’ONU hier, à l’occasion de l’Assemblée Générale du 70e anniversaire, était très attendue, certains de mes confrères promettant un « discours choc ». Pour ceux qui attendaient donc ce « choc », le président russe, calme et mesuré dans l’expression, a été un peu décevant.
Vladimir Poutine a abordé les cinq sujets brulants du moment, à savoir la mise en cause récente de l’ONU par plusieurs de ses membres, les interventions violentes dans les affaires intérieures de pays souverains, la lutte contre le terrorisme, les accords économiques exclusifs négociés en secret et enfin les changements climatiques.
Il ne l’a pas fait du point de vue exclusif de la Russie, et c’est sans doute une des raisons de l’impression de distance qu’a donné son discours. Il en donne la clé vers le milieu de son intervention quand il dit « la Russie, en tant que président actuel du Conseil de Sécurité, va organiser une rencontre au niveau ministériel… ». Il voulait parler en tant que président du Conseil de Sécurité. A ce titre, il n’a jamais mentionné nommément les pays auxquels il a reproché leur comportement récent.
En ce qui concerne l’ONU, Vladimir Poutine a rappelé qu’il était un des fruits de la réunion de Yalta. On se souvient que cette réunion qui a réuni Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin Roosevelt, en février 1945, avait pour objectif, entre autres, d’organiser la stabilité du nouvel ordre du monde après la victoire sur le nazisme. Il a ensuite insisté sur le fait que l’ONU doit effectivement évoluer pour tenir compte de l’évolution du monde, mais que cette évolution doit se faire dans le cadre d’un consensus large auquel la Russie est prête à participer. En dehors de ce consensus, « toute tentative de mise en cause de la légitimité de l’ONU serait extrêmement dangereuse et pourrait provoquer l’effondrement de toute l’architecture des relations internationales », ramenant les relations à la loi du plus fort. Il a fait allusion à ceux qui « se trouvant en haut de la pyramide sont tentés de penser qu’étant si puissants et exceptionnels, ils savent mieux que les autres ce qu’il faut faire et veulent se passer d’une organisation qui au lieu de cautionner leurs actions se met souvent en travers de leur voie ».
En ce qui concerne l’ingérence dans les affaires intérieures de pays souverains, le président russe a répété la position qui est celle de la Fédération de Russie depuis 1992 à savoir que « chaque pays est libre de choisir son futur » ajoutant pour plus de clarté : « Nous sommes tous différents et il faut respecter cela. Les nations ne devraient pas être forcées de se conformer toutes au même modèle de développement dont quelqu’un a décidé qu’il serait le seul model approprié ». Il mentionne à titre d’exemple les tentatives soviétiques d’imposer à d’autres pays des changements pour des raisons idéologiques et qui ont très souvent provoqué des régressions plutôt que des progrès. « Au lieu d’apprendre des erreurs des autres, certains préfèrent les répéter et exporter des révolutions qu’ils ont renommées révolutions « démocratiques » (…) Au lieu d’introduire des réformes, ces interventions violentes ont détruit les institutions gouvernementales et le style de vie de ces pays. Au lieu de démocratie et progrès nous avons maintenant la violence, la pauvreté, le chaos social et le mépris des droits humains, y compris même le droit à la vie ».
A ce moment, le président russe pose cette terrible question : « Je ne peux pas ne pas demander à ceux qui sont responsables de cette situation : est-ce qu’au moins vous réalisez maintenant ce que vous avez fait ? Mais je crains que cette question ne reste sans réponse, car ils n’ont jamais abandonné leur politique qui est fondée sur l’arrogance, l’exceptionnalisme et l’impunité ».
Passant au problème de la lutte contre le terrorisme, Vladimir Poutine commence par expliquer que c’est le vide créé par les « révolutions démocratiques » qui a été occupé par des extrémistes et des terroristes, avant d’ajouter que « l’Etat Islamique n’est pas né de nulle part. Il a été développé, au départ, comme une arme contre des états séculiers qui avaient été jugés indésirables ». Il explique également qu’il est irresponsable de prétendre lutter contre le terrorisme tout en fermant les yeux sur le financement du terrorisme qui se fait par le trafic de drogue, le commerce illégal de pétrole et la contrebande d’armes. Il met également en garde contre l’utilisation de mouvements terroristes pour atteindre des objectifs politiques, avant de se débarrasser de ces mouvements, d’une façon ou d’une autre : « J’aimerais demander à ceux qui font cela : Messieurs, les gens avec qui vous traitez sont cruels mais ils ne sont pas idiots. Ils sont aussi intelligents que vous. D’où la question : qui manipule qui ? L’incident récent dans lequel un groupe de l’opposition la plus modérée a remis ses armes à des terroristes est un exemple frappant de cela ».
A propos de la Syrie, Vladimir Poutine pense qu’il serait temps de reconnaître que l’armée de Bashar Al Assad et les Kurdes sont les seules forces qui combattent le terrorisme sur le terrain, et que le retour des jihadistes étranger, un jour, dans leurs pays d’origine est un problème qu’il faudra régler et que « on ne peut plus tolérer l’état actuel des affaires du monde ». Il s’adresse également aux autorités religieuses musulmanes : « votre autorité et vos conseils sont d’une grande importance aujourd’hui ».
A ce moment de son intervention, Vladimir Poutine annonce que la Russie, qui occupe actuellement le poste de  président du Conseil de Sécurité, va organiser une réunion ministérielle dont l’objectif sera d’analyser en détails les menaces au Moyen Orient, afin de préparer une résolution qui permette de coordonner l’action des différentes parties en vue de lutter contre l’Etat Islamique et les autres mouvements terroristes, suivant les principes de la Charte des Nations Unies : « Nous espérons que la communauté internationale sera capable de mettre en place une stratégie globale de stabilisation politique mais aussi de développement économique et social du Moyen Orient ».
Seule une telle initiative devrait permettre de résoudre le problème des réfugiés car la solution passe par le rétablissement de l’autorité de l’état dans les pays où cet état a été détruit, le renforcement des institutions là où elles existent encore et un soutien militaire, économique et pratique. « Bien entendu, l’assistance à des pays souverains doit être proposée, conformément à la Charte des Nations Uni, et non imposée. (…) Je pense qu’il est de la plus grande importance d’installer de nouvelles institutions étatiques en Lybie, de soutenir le nouveau gouvernement en Irak et d’apporter notre soutien au gouvernement légitime de Syrie ».
Vladimir Poutine insiste sur le fait qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale d’assurer la paix et la stabilité dans toutes les régions du monde. « Nous pensons que cela passe par la création d’un environnement de sécurité égal pour tous et indivisible qui ne serve pas les intérêts d’un petit nombre d’élus, mais de tout le monde ».
L’expansion de l’Otan qui va à l’encontre de ce principe est un exemple à ne pas suivre car une telle expansion devait nécessairement provoquer une crise géopolitique majeure. C’est ce que nous avons observé en Ukraine où « le rejet du gouvernement par la population a été utilisé pour organiser un coup d’état de l’étranger qui, lui même à déclenché une guerre civile ».
Dans le domaine économique, le président russe a insisté sur le développement de l’égoïsme de certains pays. « Un certain nombre de pays ont décidé de créer des associations économiques exclusives dont les termes sont négociés derrière des portes closes en secret des populations concernées elles-mêmes, ainsi que du reste du monde. (…) Ces mesures sont de nature à affecter les intérêts de toutes les nations et d’influencer le futur de l’économie mondiale. C’est pourquoi nous proposons qu’elles soient discutées dans le cadre des Nations Unies, de l’Organisation Mondiale du Commerce et du G20. Au lieu de la politique d’exclusion, la Russie propose une politique d’harmonisation de tous les projets économiques régionaux ».
Enfin, dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, Vladimir Poutine reconnaît que les efforts dans le domaine du contrôle des émissions de gaz pourront donner des résultats satisfaisant au moins provisoirement, mais qu’il faut envisager une approche totalement différente : « une approche qui privilégierait l’introduction de technologies radicalement nouvelles, plus respectueuses de la nature, qui ne détruiraient pas l’environnement mais fonctionneraient en harmonie avec cet environnement, ce qui permettrait de rétablir l’équilibre entre technologie et biosphère qui a été détruit par l’activité humaine ».
Le discours se terminait par une déclaration de foi dans le potentiel énorme des Nations Unies, « qui devrait nous aider à éviter une confrontation et à nous ouvrir à une stratégie de coopération ».
La déclaration a effectivement évité, autant que faire se peut, une mise en cause directe et nominative de pays particuliers, elle n’a pas prononcé de condamnations définitives, mais pour qui entend le langage diplomatique, il s’agit d’une déclaration bien plus forte qu’il ne parait.

jeudi 24 septembre 2015

Poutine, un coup de maître en Syrie


La Russie et les Etats-Unis considèrent maintenant tous deux que l’Etat Islamique est devenu l’ennemi absolu. Mais le niveau de défiance entre les deux pays est tel qu’ils ne peuvent s’entendre sur une façon de combattre cet ennemi. La dégradation des relations entrainée par la crise ukrainienne, n’a évidemment pas facilité cet accord. Mais il semblerait que, dans une sorte de mouvement de balancier, depuis quelques jours, la Syrie et l’Etat Islamique aient remplacé l’Ukraine au centre des rencontres internationales. On a pu observer cette évolution en fin de semaine dernière quand John Kerry a rencontré son homologue anglais Philip Hammond.
Les points de vue sur la nature du danger ne s’en sont pas pour autant vraiment rapprochés.  Les dirigeants occidentaux continuent à désigner l’Etat Islamique comme organisation terroriste ce qu’il n’est plus. Il est un terrorisme organisé d’une façon et à une échelle encore non observée, une machine de guerre dont l’objectif est de détruire toute la structure institutionnelle du Moyen Orient pour en réorganiser non seulement l’idéologie mais aussi la politique et les gouvernements.
Il s’agit d’une menace idéologique d’une puissance telle qu’elle justifie la formation d’une coalition internationale pour la combattre, et un changement de stratégie par rapport à ce qui a été fait jusqu’à présent.
Cette erreur d’appréciation a empêché, pendant longtemps les Occidentaux de réaliser que l’Etat Islamique serait le bénéficiaire de la politique de changement de régime chère aux Etats-Unis et à leurs courtisans européens. Elle est également à l’origine de ces recherches surréalistes d’une « opposition modérée » chimérique et pourtant si chère à Laurent Fabius et François Hollande.
Dans cette ambiance, la Russie, elle, semble se diriger vers une stratégie de guerre inter étatique quand ses alliés potentiels en sont encore à la lutte anti-terroriste.
La vision du futur de la Syrie aussi divise la Russie et l’Ouest. Le Kremlin se préoccupe de la structure du pays. Si on part du principe que la Syrie a déjà éclaté en plusieurs entités et ne pourra pas être reconstruite sous sa forme antérieure, la question qui se pose est de savoir quel groupe, quel territoire soutenir afin d’empêcher la progression de l’Etat Islamique.
De son côté, l’Ouest a été trop longtemps préoccupé par qui dirigera le Syrie future et s’est donc focalisé sur le remplacement de Bashar Al Assad, commettant au passage une erreur de jugement quand il pense que la Russie est le soutien indéfectible de la personne d’Assad alors que le souci réel du Kremlin a toujours été de protéger un régime, un président légalement élu et d’éviter un nouveau chaos comme ceux provoqués en Irak, en Afghanistan ou en Lybie pour ne citer que ces trois pays.
C’est pourquoi la Russie cherche depuis longtemps à favoriser une entente entre le président actuel et son opposition pour créer un front capable de s’opposer efficacement, dans le domaine politique également, à l’Etat Islamique. Les réunions organisées à Moscou avec les représentants de cette opposition en sont la preuve. Mais cette entente ne peut qu’être le fruit de négociations internes à la Syrie et toute tentative extérieure d’imposer cette coalition par la force, même si elle fonctionnait ne serait que le prélude à un nouvel affrontement.
De son côté, Washington, qui poursuivait jusqu’il y a peu le même objectif de changement de régime, a fait, au début de l’été, un nouveau pas qui modifie son organisation tactique en signant avec la Turquie un accord qui donne accès à la base aérienne d’Incirlik à ses avions et à cinquante techniciens en support des opérations, ce qui lui permet mener plus facilement des raids aériens en Syrie. L’accord signé fin juillet et qui devait entrer en application dans le courant de l’été faisait état de la création, avec l’aide de l’armée de l’air américaine, d’une zone de sécurité de cinquante kilomètres environ sur le territoire syrien le long de la frontière turco-syrienne.
En réalité, il s’agissait d’un événement de première importance, capable d’inverser le rapport de forces, car l’utilisation de cette base aérienne à 15 minutes de vol de la Syrie  permet aux Etats-Unis de contrôler l’espace aérien syrien, d’y interdire de vol les avions du gouvernement syrien (l’Etat Islamique n’a pas d’aviation) et de faire voler des drones permettant de récolter tous types d’informations sur les différents mouvements de troupe quelle qu’en soit l’origine. Sans compter qu’il est prévu dans l’accord avec la Turquie que l’armée de l’air américaine pourrait, en cas d’urgence, utiliser trois autres bases turques proches de la frontière syrienne.
Les Etats-Unis se trouvaient ainsi en position de contrôler l’ensemble de l’espace aérien syrien et de surveiller les mouvements de troupe au sol, ce qui relançait leur politique de changement de régime. La Russie ne pouvait accepter cela sans réagir, d’autant que, dans le même temps, l’évolution du problème des réfugiés aurait pu servir de prétexte à une « intervention humanitaire » américaine visant en réalité à chasser le pouvoir syrien en place.
La réaction a été, tout d’abord, diplomatique, la Russie proposant la création d’une large coalition internationale pour combattre l’Etat Islamique. Après l’annonce de cette proposition par le président russe, le ministre des affaires étrangères, Serguei Lavrov critiquait ouvertement la coalition mise en place par les Etats-Unis qui n’est pas assez large, au goût des russes, mais surtout dont l’action n’est pas assez décisive à l’encontre de l’Etat Islamique qui semble, par moments, protégé par le renseignement américain.
L’étape suivante a été de faire comprendre clairement aux Etats-Unis que la Russie avait décidé de s’en prendre directement à l’EI et de la façon la plus décisive possible, sans toutefois découvrir, pour le moment, ses cartes. Vladimir Poutine ne veut pas donner d’indications à l’adversaire, et il n’a pas besoin d’aller plus loin, car il vient de faire comprendre aux Etats-Unis sans agressivité inutile, que sa détermination était totale.
Puis nous avons eu droit à des informations concernant la livraison d’armes russes à la Syrie, livraisons accompagnées de militaires dont on ne savait pas vraiment s’ils étaient ou non, de simples conseillers, des formateurs devant apprendre aux militaires syriens comment utiliser ces armes ou des combattants. Informations qui très subtilement, n’étaient ni confirmées ni infirmées par la diplomatie russe, qui entretenait le flou, expliquant parfois que ces livraisons étaient simplement la conséquence de contrat déjà anciens.
Et puis quelles armes ont-elles été livrées, quid de cet aéroport près de Lataquié où les Occidentaux ont cru déceler des mouvements de militaires russes. La Russie a-t-elle livré des missiles sol-air ? Si oui, dans quel but puisque l’Etat Islamique n’a pas, pour l’instant, d’aviation ?
Tout ceci ressemble à une « variante en plus grand » de l’opération déployée, avec le succès que l’on sait, en Crimée l’année dernière. L’opération n’est manifestement pas terminée mais elle est menée de telle façon qu’elle n’a pas déclenché les réactions hostiles auxquelles on aurait pu s’attendre de la part des Etats-Unis et de l’Europe. Il faut dire que la préparation était soignée et le timing soigneusement choisi.
Au départ, l’opposition de Washington à toute action russe en Syrie semblait être plus dictée par le désir de changement de régime. Puis elle semblait plus motivée par la crainte de voir le Kremlin renforcer sa présence dans la région que par celle de le voir empêcher le remplacement du président Assad.
Mais les récents développements, sur le terrain, dans les chancelleries et dans les médias semblent avoir fait évoluer la position américaine.
Les déclarations[1] de John Kerry et Philip Hammond, à la suite de leur réunion à Londres le 19 septembre ont confirmé la détente entre les Etats-Unis et la Russie sur fond de crise syrienne. Les deux ministres ont soigneusement évité les références agressives à la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne alors que Kerry rappelait à Kiev que les accords de Minsk étaient la seule issue acceptable pour Washington. L’Ukraine semble avoir été reléguée au second plan par ce qui se passe en Syrie. D’autre part, la position américaine a évolué puisqu’il était beaucoup plus question dans les déclarations de John Kerry de résolution du conflit que de changement de régime et que la Russie et même l’Iran semblent devenu des partenaires potentiels dans cette résolution. Souvenons-nous que c’est l’exigence du retrait immédiat de Bashar El Assad qui fermait la porte à toute négociation avec la Russie. Mais le 19, John Kerry déclarait : « Nous avons dit pendant les derniers dix huit mois qu’Assad devait partir. Mais le délai et les modalités de ce départ sont des décisions qui doivent être prises dans le cadre des négociations de Genève. Ce départ ne doit pas forcément avoir lieu le premier jour, le premier mois, ou à une date précise. Les différentes parties doivent se réunir et se mettre d’accord sur la façon de faire, et je n’ai pas d’idées précises sur les délais à respecter. De toute façon, ce sera au peuple syrien de décider ». Et il ajoutait, « Nous devons en arriver à des négociations. C’est ce que nous cherchons et nous espérons que la Russie et tout pays ayant une influence dans la région nous aideront à cela ».
Cette réaction était confirmée le lendemain en Allemagne où John Kerry rencontrait le ministre des affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeir qui déclarait à la suite de cette rencontre, « Je suis très satisfait de l’accroissement de l’engagement militaire de la Russie dans la région et nous avons des rapports qui le confirment, ici, en Allemagne, ».
Il apparaît donc que, malgré l’opposition forte à l’intérieur des Etats-Unis et dans de nombreux pays comme Israël, l’Arabie Saoudite, les Emirats ou le Qatar, le président Obama ait finalement choisi la voie diplomatique. Obama est un pragmatique et l’absence de résultats après dix ans d’intervention militaire américaine en Syrie a fini par le convaincre. Le scandale des Syriens entraînés à grand frais par les américains a sans doute joué un rôle aussi. Un projet de cinq cent millions de dollars destiné à former plus de mille combattants syriens qui ne peut recruter que cinquante hommes pour finalement mettre cinq combattants sur le terrain a fait « tousser » les membres de la commission du Sénat américain qui enquêtait sur le sujet, y compris John McCain qui a paré de « faute épouvantable » devant les caméras de télévision.
Du côté européen, l’afflux de réfugiés syriens que les pays de l’Union Européenne ne peuvent gérer a également refroidi les ardeurs guerrières.
Barak Obama semble au bord de son plus grand échec international avec des alliés européens qui ne veulent pas ramasser les « pots cassés » de ses actions désordonnées au Moyen Orient et se fatiguent également de la situation que les Etats-Unis ont créée en Ukraine. Il va donc lui falloir abandonner l’Etat Islamique et tous les mouvements terroristes que lui et ses prédécesseurs ont cherché à utiliser le plus discrètement possible pour déstabiliser une zone qui se trouve au sud de l’Iran et de la Russie.
Même les militaires américains ont adopté un ton beaucoup plus mesuré, voir pour certains, conciliant. Ainsi le général Hesterman, adjoint au chef d’état-major de l’armée de l’air américaine, l’USAF déclarait lors d’une intervention à la dernière convention annuelle de l’Air Force Association (AFA), le principal lobby officiel de l’USAF : « Les Russes ne sont pas intéressés par des actions aériennes contre les forces US présentes sur le théâtre, ils sont là pour protéger Assad contre des incursions adverse et faire en sorte que “les ennemis d’Assad”, y compris des forces US, ne s’approchent pas trop de lui ». Il expliquait ensuite que la présence russe, devrait favoriser un arrangement politique qui mettra fin à la guerre en Syrie et dans lequel les Russes auront une place importante. Ce genre de réaction semble accréditer l’idée que l’USAF tient la présence russe pour acquise et presque légitime.
Barak Obama ne dispose plus de la possibilité de revenir en arrière en Syrie. Sur le terrain, il risque de se trouver pris en otage par les divers mouvements terroristes que les Etats-Unis ont tour à tour soutenus. Sur le plan politique au Moyen Orient il se trouve devant un choix difficile, abandonner l’Etat Islamique ou abandonner le changement de régime, sachant que les deux ne sont plus possible ensemble. A Washington il est tenu en échec par les néo cons extrémistes. Il a donc besoin, avant de connaître un nouveau revers, que Vladimir Poutine mette les Etats-Unis dans l’obligation de s’asseoir à la table des négociations, comme il l’avait fait lors de la crise des armes chimiques.
Ainsi donc, pour la deuxième fois sur le dossier syrien, après les armes chimiques, la Russie de Vladimir Poutine apparaît, sinon comme le sauveur, au moins comme celui qui va permettre de sortir d’une situation inextricable sans trop perdre la face.
Le mouvement étant en train de se préciser, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui était à Moscou il y a trois jours et qui est un maître en matière de réalisme, voir de cynisme, semble avoir opéré un rapprochement avec la Russie. Il a déclaré à l’issue de la rencontre avec Vladimir Poutine : « J’espère, et je suis presque convaincu, que l’objectif que je m’étais fixé en sollicitant cette entrevue – entamer une coordination dans le but d’éviter des malentendus catastrophiques sur le front Nord - a été atteint[2] ».
Du côté russe, on peut déjà se féliciter d’avoir, par une intervention dans l’ouest de la Syrie, stoppé un scénario catastrophe à la libyenne. Mais c’est surtout dans le domaine diplomatique que les évènements de ces derniers jours ont une importance capitale. Ils donnent une consistance particulière au concept russe de nouvel ordre international, en mettant un frein à la propension des Occidentaux à imposer de façon unilatérale leur vision de l’ordre du monde.
L’Assemblée Générale de l’ONU, la semaine prochaine, devrait être l’occasion d’intenses  négociations en coulisse entre les Etats-Unis, la Russie et les états concernés de la région comme par exemple, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie. On annonce un entretien entre Vladimir Poutine et Barack Obama. Israël a déjà pris soin de ses intérêts. Nous ne mentionnerons pas la diplomatie française par charité.


[1] http://www.state.gov/secretary/remarks/2015/09/247071.htm
[2] http://www.courrierinternational.com/article/moyen-orient-entre-poutine-et-netanyahou-un-accord-gagnant-gagnant

dimanche 20 septembre 2015

« Le siècle Russie » à la Mairie du XVIe


La Mairie du XVIe arrondissement de Paris proposait, du 17 au 20 septembre, en association avec le « Dialogue Franco-Russe », une « Semaine de la Russie ». La cour de la Mairie était transformée en marché russe dans lequel on pouvait acheter les livres des Editions des Syrtes et des Editions Apopsix, les livres proposés par la Librairie du Globe, des objets d’artisanat ou des produits d’épicerie et de traiteur. Les salons de la mairie abritaient des expositions de photos, « La Russie vue du Train » organisée avec l’aide des chemins de fer russes, « Moscou de 1900 à 2000 », mais aussi la prestigieuse « Exposition Tolstoï », une plongée dans le monde du célèbre roman « La Guerre et la Paix », ou les œuvres du peintre Serguei Toutounov.
Cette « Semaine de la Russie » débutait le 17 septembre, à l’Assemblée Nationale, par une conférence et deux tables rondes présidées par le député maire du XVIe arrondissement, Claude Goasguen et Vladimir Iakounine, co-président du Dialogue Franco-Russe, en présence du vice ministre des affaires étrangères russe, Alexei Mechkov et du député de la Douma Viacheslav Nikonov, président de la fondation « Le Monde Russe ».
Les tables rondes réunissaient des personnalités du monde des affaires et de la politique français et russe autour de deux grands thèmes, « Partenariat franco-russe dans les affaires, perspectives et nouvelles opportunité » et « Surmonter la crise politique, rôles à jouer par la France et la Russie ».
Au delà du constat commun que les sanctions économiques n’ont jamais produit les effets recherchés, où qu’elles aient été appliquées dans le monde (Iran, Irak ou Cuba, par exemple), les intervenants français ont surtout insisté sur le fait qu’elles étaient totalement contre productives et que, passé une période d’adaptation, elles s’avèreraient plutôt positives pour la Russie et très négatives pour l’Europe en général et la France en particulier.
Jacques Sapir a tenu à replacer la situation dans un contexte historique élargi, alors qu’Ivan Blot ancien député et haut fonctionnaire, regrettait, justement, le manque de culture historique du personnel politique français qu’il connaît bien de l’intérieur. Chacun s’est accordé pour dire que 2014/2015 avait marqué un tournant dans les relations entre la Russie et l’Occident et qu’il n’y aurait pas de retour en arrière à la situation antérieure à la crise ukrainienne. De nouvelles relations sont à inventer entre des pays qui, comme la France et la Russie sont liés par une histoire qui remonte à plus de mille ans.
Les intervenants russes ont insisté sur le fait que la Russie ne tournait pas le dos à la France et que les sanctions avaient été décidées par l’Union Européenne sous la pression des Etats-Unis et que seuls ces pays pouvaient sortir de ce régime. En attendant, la Russie a adapté son économie et les positions perdues seront à reconquérir face à de nouveaux concurrents internationaux installés. Ils insistaient toutefois sur le fait que, loin des feux des médias, un grand nombre de coopérations se poursuivent entre les deux pays dans différents domaines comme le pétrole et le gaz avec la coopération renforcée entre Total et son partenaire Novatek, dans l’automobile, l’aviation et l’espace avec Thales, Airbus et Arianespace du côté français. Le point noir des relations économiques est évidemment le système bancaire et les établissements français, tétanisés par les menaces que font peser sur eux les autorités américaines.
Les interventions de chacun étaient particulièrement documentées et intéressantes, à tel point que nous avons tous pu rester assis pendant près de cinq heures, sans pause et sans ressentir aucune lassitude !
Le lendemain, je me suis rendu à la Mairie du XVIe où j’ai visité les différentes exposition que je mentionnais plus haut avant d’assister à la présentation du livre de Denys Pluvinage, « Le siècle Russie », par Alexandre Troubetskoï, président exécutif du Dialogue franco-russe et par l’auteur.
Il s’agit du livre le plus intéressant qu’il m’ait été donné de lire sur ce sujet. Il se veut, comme l’expliquait Denys Pluvinage un « autre regard » sur la Russie. Mais quel regard et surtout quelle largeur d’approche ! On notera que l’auteur a vécu plus de quinze ans en Russie, de 1992 à 2007 et qu’il parle donc d’expérience personnelle. Mais il n’a pas cherché à présenter son seul point de vue et s’est entouré de témoins de qualité.
La première partie du livre est précédée par une interview de Thierry Mariani, représentant des Français de l’étranger et co-président du Dialogue Franco-Russe. Elle est constituée de témoignages de Français travaillant en Russie ou en collaboration directe avec des entreprises russes. La méthode a été la suivante, dans un premier temps, entretien de l’auteur avec le témoin, puis le texte de l’entretien a été soumis aux différents témoins pour correction. Comme l’a expliqué Denys Pluvinage « je voulais à tout prix présenter des témoignages non teintés de mes positions personnelles ». C’est ainsi que l’on peut lire ce que pensent de leur travail en Russie, Philippe Pégorier, le président d’Alstom Russie qui vit dans ce pays depuis 1988, Jacques de Boisséson, directeur général de Total Russie, Frédéric Pardé directeur de la SNCF chargé des grands projet en Rusie et CEI, Richard Clément, économiste et financier français, directeur de Gazprombank à Moscou, ou Bernard Lozé, président de « Lozé et partenaires », une société d’investissement très présente en Russie depuis 1992. Son témoignage a la particularité de nous emmener dans la Russie des années 90, celle de la transition après la disparition de l’Union Soviétique, celle où tout était à construire dans une ambiance très « rock and roll ». Il nous donne une approche pratique et personnelle de la privatisation que si peu de personnes connaissent en Europe et dont il est question dans la partie de ce livre consacrée à la Russie contemporaine. Il l’a vécue précisément dans le domaine où cette privatisation s’exprimait, à savoir les opérations financières. La première partie du livre se termine sur le témoignage de deux entrepreneurs français qui se sont installés à Moscou pour y créer une société de conseil en recrutement (Alexandre Stefanesco) et un « incubateur » d’entreprises françaises (Yannick Tranchier).
Certains d’entre eux expriment comment la vie en Russie leur a fait redécouvrir des valeurs qui leur sont chères, comme Frédéric Pardé qui commence par expliquer comment son premier séjour en Russie a modifié sa vision du pays : « Rien ne s’est pas passé comme nous nous y attendions. Tous nos clichés et nos préjugés sur le pays et les gens ont volé en éclat. » Il conclut ainsi son témoignage : « Quand je suis arrivé en Russie, j’ai tout de suite retrouvé un certain nombre de valeurs que j’apprécie et que je n’ai pas rencontrées ailleurs, comme lla qualité des relations humaines, l’amour de la connaissance et de la culture, le respect de l’histoire. D’un coup, j’ai retrouvé en Russie un monde plus proche et dans lequel beaucoup de français se retrouvent, il me semble ».
D’autres expliquent que la vie en Russie a fait changer le regard qu’ils portent sur l’Europe et sur la France, comme Richard Clément : « Assez naturellement, j’en suis venu à pousser le raisonnement un cran plus loin, à force de constater l’écart entre le discours des institutions européennes sur une Russie hostile et la réalité que j’observais. Ces institutions se veulent le temple des valeurs européennes et les gardiens de la paix continentales. Soit ! Et si le même écart existait en Europe, si les instances européennes étaient moins européennes et pacifiques qu’elles le prétendent ? La question mérite d’être posée ».
Pour Jacques de Boisséson qui a une longue expérience internationale chez Total, « Si l’on ne fait pas l’effort d’aimer le pays, on trouvera toujours qu’il y faut trop froid, ou qu’il y fait trop chaud. Je l’ai vu dans d’autres pays aussi. L’important c’est l’état d’esprit dans lequel on aborde le pays et ses habitants. La Russie a des côtés aimables et elle a des côtés désagréables. Si vous vous arrêtez aux côtés désagréables, ce que vous pouvez parfaitement faire, vous ne réussirez jamais à faire quoi que ce soit en Russie. C’est comme en amour, l’amour se construit, il n’y a pas que des bons côtés. Si vous avez décidé que vous alliez aimer la Russie, elle a tout pour être aimée ».
La deuxième partie du livre est faite de chapitres écrits par des universitaires français ayant une expérience personnelle de la Russie. Le chapitre sur l’économie est signé par Jacques Sapir, Directeur d’Études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociale (EHESS) et Directeur du Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS), spécialiste de l’économie de l’URSS d’abord, puis de la Russie. Il explique que l’un des effets importants des sanctions est un changement du modèle de développement à partir d’une volonté de construire une nouvelle autonomie par rapport aux marchés financiers occidentaux.
Le chapitre sur le système politique russe a été rédigé par Jean-Robert Raviot, professeur des universités, titulaire d'un doctorat en science politique à l'IEP de Paris, professeur à Paris Ouest Nanterre La Défense, au département d’études slaves, et à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Il a effectué plusieurs séjours d’études en Russie, parfois de longue durée, en particulier à l'Institut de l'Economie Mondiale et des Relations Internationales de Moscou (IMEMO). Jean-Robert Raviot est l’auteur de deux livres sur la Russie, « Qui dirige la Russie » aux éditions Lignes de Repères, Paris 2007 et « Démocratie à la russe », aux éditions Ellipses, Paris 2008.
Philippe Migault, auteur du chapitre sur la géopolitique de la Russie est directeur de recherche à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Ses principaux domaines d’expertise sont les questions diplomatiques et stratégiques, les conflits armés et les industries de l'armement.
L’Union Economique Eurasiatique, un moteur important du développement économique de la région nous est présenté par Hélène Clément-Pitiot, économiste, maître de conférences et directeur de recherches au CEMI-EHESS depuis 1998.
Le prince Alexandre Troubetzkoï décrit dans un chapitre consacré aux relations franco-russes plus de mille ans d’une histoire dans laquelle certains membres de sa famille ont joué un rôle actif, ce qui rend le témoignage encore plus passionnant. 

Enfin, l’auteur du livre, Denys Pluvinage présente dans plusieurs chapitres de cette deuxième partie l’histoire récente de la Russie de 1985 à 2015, dans le style vivant et intéressant d’un témoin de première main de cette période de bouleversements économiques, politiques et sociaux qui est si peu présentée dans les médias occidentaux mais dont la connaissance est indispensable à toute personne qui prétendrait connaître la Russie d’aujourd’hui.
Dans la troisième partie, il présente les aspects concrets de la vie sociale et des affaires en Russie d’un point de vue culturel. Vous y trouverez une description précise et parfois amusante des règles d’étiquette et de comportement, mais surtout des outils pour mieux comprendre les réactions de vos interlocuteurs russes qui souvent vous paraissent surprenants, incompréhensibles voir même, quelque fois inquiétants. Cette compréhension des comportements fondée sur la prise en compte des différences entre la culture russe et la culture française vous ouvrira un monde nouveau dans vos relations avec la Russie et avec les Russes.
En ce qui me concerne, elle a augmenté, non seulement ma compréhension des comportements russes mais aussi des comportements français et de mes propres comportements.
La première question qui a été posée à l’auteur après sa présentation était le suivante : « Pourquoi ce titre Le Siècle Russie et pourquoi pas Le Siècle Russe ou le Siècle de la Russie ? » A quoi il a répondu : « J’ai choisi ce titre car il éclaire le rôle central que joue la Russie, « ici et maintenant », dans une phase critique de l’évolution géopolitique du monde. Quelle que soit l’issue de l’affrontement actuel, la Russie en aura été à la fois l’élément déclencheur, l’acteur central, le héros. Quelle que soit la façon dont se terminera cette lutte sauvage, la Russie aura marqué le XXIe siècle de son empreinte. Le grand problème du moment, celui qui agite les esprits, inquiète les dirigeants et a déjà provoqué tellement de violence et de destructions est celui de l’ordre mondial. Que l’on ne s’y trompe pas, c’est cela l’enjeu de la crise actuelle. Personne ne peut plus faire marche arrière dans cet affrontement dont les enjeux principaux ne sont pas l’Ukraine et le Donbass mais l’organisation du monde (unipolaire ou multipolaire) ».
Je pensais bien connaître la Russie, mais ce livre m’a fait faire encore un grand nombre de découvertes. Toutes les personnes qui s’intéressent à la Russie, aux relations franco-russes et, à fortiori, ceux qui doivent travailler en Russie ou avec des Russe devraient lire ce livre.