L’allocution de Vladimir
Poutine à l’ONU hier, à l’occasion de l’Assemblée Générale du 70e anniversaire,
était très attendue, certains de mes confrères promettant un « discours
choc ». Pour ceux qui attendaient donc ce « choc », le président
russe, calme et mesuré dans l’expression, a été un peu décevant.
Vladimir Poutine a abordé
les cinq sujets brulants du moment, à savoir la mise en cause récente de l’ONU
par plusieurs de ses membres, les interventions violentes dans les affaires
intérieures de pays souverains, la lutte contre le terrorisme, les accords
économiques exclusifs négociés en secret et enfin les changements climatiques.
Il ne l’a pas fait du
point de vue exclusif de la Russie, et c’est sans doute une des raisons de
l’impression de distance qu’a donné son discours. Il en donne la clé vers le
milieu de son intervention quand il dit « la Russie, en tant que président
actuel du Conseil de Sécurité, va organiser une rencontre au niveau
ministériel… ». Il voulait parler en tant que président du Conseil de
Sécurité. A ce titre, il n’a jamais mentionné nommément les pays auxquels il a
reproché leur comportement récent.
En ce qui concerne l’ONU,
Vladimir Poutine a rappelé qu’il était un des fruits de la réunion de Yalta. On
se souvient que cette réunion qui a réuni Winston Churchill, Joseph Staline et
Franklin Roosevelt, en février 1945, avait pour objectif, entre autres,
d’organiser la stabilité du nouvel ordre du monde après la victoire sur le
nazisme. Il a ensuite insisté sur le fait que l’ONU doit effectivement
évoluer pour tenir compte de l’évolution du monde, mais que cette évolution
doit se faire dans le cadre d’un consensus large auquel la Russie est prête à
participer. En dehors de ce consensus, « toute tentative de mise en cause
de la légitimité de l’ONU serait extrêmement dangereuse et pourrait provoquer
l’effondrement de toute l’architecture des relations internationales »,
ramenant les relations à la loi du plus fort. Il a fait allusion à ceux qui
« se trouvant en haut de la pyramide sont tentés de penser qu’étant si
puissants et exceptionnels, ils savent mieux que les autres ce qu’il faut faire
et veulent se passer d’une organisation qui au lieu de cautionner leurs actions
se met souvent en travers de leur voie ».
En ce qui concerne
l’ingérence dans les affaires intérieures de pays souverains, le président
russe a répété la position qui est celle de la Fédération de Russie depuis 1992
à savoir que « chaque pays est libre de choisir son futur » ajoutant pour
plus de clarté : « Nous sommes tous différents et il faut respecter
cela. Les nations ne devraient pas être forcées de se conformer toutes au même
modèle de développement dont quelqu’un a décidé qu’il serait le seul model
approprié ». Il mentionne à titre d’exemple les tentatives soviétiques
d’imposer à d’autres pays des changements pour des raisons idéologiques et qui
ont très souvent provoqué des régressions plutôt que des progrès. « Au
lieu d’apprendre des erreurs des autres, certains préfèrent les répéter et
exporter des révolutions qu’ils ont renommées révolutions
« démocratiques » (…) Au lieu d’introduire des réformes, ces
interventions violentes ont détruit les institutions gouvernementales et le
style de vie de ces pays. Au lieu de démocratie et progrès nous avons
maintenant la violence, la pauvreté, le chaos social et le mépris des droits
humains, y compris même le droit à la vie ».
A ce moment, le président
russe pose cette terrible question : « Je ne peux pas ne pas demander
à ceux qui sont responsables de cette situation : est-ce qu’au moins vous
réalisez maintenant ce que vous avez fait ? Mais je crains que cette
question ne reste sans réponse, car ils n’ont jamais abandonné leur politique
qui est fondée sur l’arrogance, l’exceptionnalisme et l’impunité ».
Passant au problème de la
lutte contre le terrorisme, Vladimir Poutine commence par expliquer que c’est
le vide créé par les « révolutions démocratiques » qui a été occupé
par des extrémistes et des terroristes, avant d’ajouter que « l’Etat Islamique
n’est pas né de nulle part. Il a été développé, au départ, comme une arme
contre des états séculiers qui avaient été jugés indésirables ». Il explique
également qu’il est irresponsable de prétendre lutter contre le terrorisme tout
en fermant les yeux sur le financement du terrorisme qui se fait par le trafic
de drogue, le commerce illégal de pétrole et la contrebande d’armes. Il met
également en garde contre l’utilisation de mouvements terroristes pour
atteindre des objectifs politiques, avant de se débarrasser de ces
mouvements, d’une façon ou d’une autre : « J’aimerais demander à ceux
qui font cela : Messieurs, les gens avec qui vous traitez sont cruels mais
ils ne sont pas idiots. Ils sont aussi intelligents que vous. D’où la question :
qui manipule qui ? L’incident récent dans lequel un groupe de l’opposition
la plus modérée a remis ses armes à des terroristes est un exemple frappant de
cela ».
A propos de la Syrie,
Vladimir Poutine pense qu’il serait temps de reconnaître que l’armée de Bashar
Al Assad et les Kurdes sont les seules forces qui combattent le terrorisme sur
le terrain, et que le retour des jihadistes étranger, un jour, dans leurs pays
d’origine est un problème qu’il faudra régler et que « on ne peut plus
tolérer l’état actuel des affaires du monde ». Il s’adresse également aux
autorités religieuses musulmanes : « votre autorité et vos conseils
sont d’une grande importance aujourd’hui ».
A ce moment de son
intervention, Vladimir Poutine annonce que la Russie, qui occupe actuellement
le poste de président du Conseil de
Sécurité, va organiser une réunion ministérielle dont l’objectif sera d’analyser
en détails les menaces au Moyen Orient, afin de préparer une résolution qui
permette de coordonner l’action des différentes parties en vue de lutter contre
l’Etat Islamique et les autres mouvements terroristes, suivant les principes de
la Charte des Nations Unies : « Nous espérons que la communauté
internationale sera capable de mettre en place une stratégie globale de
stabilisation politique mais aussi de développement économique et social du
Moyen Orient ».
Seule une telle
initiative devrait permettre de résoudre le problème des réfugiés car la
solution passe par le rétablissement de l’autorité de l’état dans les pays où
cet état a été détruit, le renforcement des institutions là où elles existent
encore et un soutien militaire, économique et pratique. « Bien entendu,
l’assistance à des pays souverains doit être proposée, conformément à la Charte
des Nations Uni, et non imposée. (…) Je pense qu’il est de la plus grande
importance d’installer de nouvelles institutions étatiques en Lybie, de
soutenir le nouveau gouvernement en Irak et d’apporter notre soutien au
gouvernement légitime de Syrie ».
Vladimir Poutine insiste
sur le fait qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale
d’assurer la paix et la stabilité dans toutes les régions du monde. « Nous
pensons que cela passe par la création d’un environnement de sécurité égal pour
tous et indivisible qui ne serve pas les intérêts d’un petit nombre d’élus,
mais de tout le monde ».
L’expansion de l’Otan qui
va à l’encontre de ce principe est un exemple à ne pas suivre car une telle
expansion devait nécessairement provoquer une crise géopolitique majeure. C’est
ce que nous avons observé en Ukraine où « le rejet du gouvernement par la
population a été utilisé pour organiser un coup d’état de l’étranger qui, lui
même à déclenché une guerre civile ».
Dans le domaine
économique, le président russe a insisté sur le développement de l’égoïsme de
certains pays. « Un certain nombre de pays ont décidé de créer des
associations économiques exclusives dont les termes sont négociés derrière des
portes closes en secret des populations concernées elles-mêmes, ainsi que du
reste du monde. (…) Ces mesures sont de nature à affecter les intérêts de
toutes les nations et d’influencer le futur de l’économie mondiale. C’est
pourquoi nous proposons qu’elles soient discutées dans le cadre des Nations
Unies, de l’Organisation Mondiale du Commerce et du G20. Au lieu de la
politique d’exclusion, la Russie propose une politique d’harmonisation de tous
les projets économiques régionaux ».
Enfin, dans le domaine de
la lutte contre le changement climatique, Vladimir Poutine reconnaît que les
efforts dans le domaine du contrôle des émissions de gaz pourront donner des
résultats satisfaisant au moins provisoirement, mais qu’il faut envisager une
approche totalement différente : « une approche qui privilégierait
l’introduction de technologies radicalement nouvelles, plus respectueuses de la
nature, qui ne détruiraient pas l’environnement mais fonctionneraient en
harmonie avec cet environnement, ce qui permettrait de rétablir l’équilibre entre
technologie et biosphère qui a été détruit par l’activité humaine ».
Le discours se terminait
par une déclaration de foi dans le potentiel énorme des Nations Unies, « qui
devrait nous aider à éviter une confrontation et à nous ouvrir à une stratégie
de coopération ».
La déclaration a
effectivement évité, autant que faire se peut, une mise en cause directe et
nominative de pays particuliers, elle n’a pas prononcé de condamnations
définitives, mais pour qui entend le langage diplomatique, il
s’agit d’une déclaration bien plus forte qu’il ne parait.