vendredi 29 août 2014

Ukraine : les cinq plus gros mensonges


Stephen F. Cohen est un universitaire américain, spécialiste de l’Urss puis de la Russie. Il est l’auteur de nombreux livres sur les relations Etats-Unis / Russie, dont le plus récent : Failed Crusade : America and the Tragedy of Post-Communist Russia, Norton, 2001, 320 p. Il enseigne à l’Université de Princeton. Il est également membre du « Council on Foreign Relations ». Il a été pendant près de vingt ans commentateur à CBS News, mais n’est plus très souvent invité dans les médias « mainstream » aujourd’hui. Vous comprendrez pourquoi en lisant ce qui suit.
Je reprends ci-dessous une partie (traduite en français par mes soins) d’un article publié sous sa signature par le magazine américain « The Nation » et je vous engage à lire l’article lui-même (en anglais) à l’adresse suivante: http://www.thenation.com/article/181399/patriotic-heresy-vs-new-cold-war?page=0,0&utm_source=Sailthru&utm_medium=email&utm_term=email_nation&utm_campaign=Email%20Nation%20%28NEW%29%20-%20Most%20Recent%20Content%20Feed%2020140828&newsletter=email_nation
« Comme le disait feu le sénateur Daniel Patrick Moynihan, “chacun a droit d’avoir ses opinions propres, mais pas ses faits propres”. La nouvelle guerre froide repose presque entièrement sur des opinions fausses. Cinq de ces mensonges sont particulièrement importants, aujourd’hui.
Mensonge N°1 : Depuis la fin de l’Urss en 1991, Washington a toujours traité la Russie post-communiste avec générosité, comme un ami et un partenaire, faisant tous ses efforts pour l’aider à devenir un pays démocratique et prospère, membre du système occidental de sécurité internationale. Incapable de cela ou ne le voulant pas, la Russie a rejeté l’altruisme américain, en particulier sous M. Poutine.
Les faits : A partir des années 90 avec l’administration Clinton, chaque président américain et chaque Congrès a traité la Russie ex-Soviétique comme un pays vaincu avec des droits inférieurs chez elle et à l’étranger. L’expansion de l’Otan a été le fer de lance de cette approche triomphaliste, accompagnée par des « négociations unilatérales » et maintenant le bouclier anti-missiles dans les zones traditionnelles de sécurité nationale russes, l’excluant de fait du système de sécurité européen. Dès le départ, le but ultime était l’Ukraine et, à un degré moindre, la Géorgie. Un éditorial du « Washington Post » expliquait en 2004, « L’ouest veut finir le travail commencé avec la chute du Mur de Berlin et continuer la marche de l’Europe vers l’Est… le premier prix sera l’Ukraine. » Neuf ans plus tard, en 2013, à la veille de la crise actuelle, Carl Gersham, le directeur de l’organisation financée par l’Etat Fédéral, « National Endowment for Democracy » s’en faisait l’écho en déclarant : « L’Ukraine est le plus grand prix».
Mensonge N°2 : Il existe un « Peuple ukrainien » qui se languit d’échapper à des siècles d’influence russe et de rejoindre l’Ouest.
Les faits : Comme le savent toutes les personnes bien informées, l’Ukraine est un pays divisé depuis longtemps par des différences ethniques, linguistiques, religieuses, économiques et politiques, en particulier, mais pas uniquement, les régions de l’Est et de l’Ouest du pays. Lorsque la crise actuelle a commencé en 2013, l’Ukraine était un Etat, mais pas un seul peuple, ni une nation unie. Certaines de ces divisions ont été accentuées depuis 1991 par une élite corrompue, mais la plupart se sont développées au cours des siècles.
Mensonge N°3 : en novembre 2013, l’Union Européenne, soutenue par Washington, a offert au président ukrainien M. Viktor Yanukovych une association bienveillante à la démocratie et à la prospérité européenne. M. Yanukovych était prêt à signer cet accord, mais M. Poutine l’a intimidé et acheté pour qu’il rejette cet accord. C’est l’origine des manifestations de Maïdan et de tout ce qui a suivi.
Les faits : La proposition de l’UE était un promesse imprudente qui visait à forcer le président élu démocratiquement d’un pays profondément divisé à choisir entre la Russie et l’Ouest. Le rejet par l’UE de la proposition de M. Poutine d’un plan russo-américano-européen pour sauver l’Ukraine de la déroute financière était tout aussi irresponsable. La proposition européenne n’était pas, en elle-même économiquement réaliste. Elle exigeait du gouvernement ukrainien de mettre en place des mesures d’austérité très dures en échange d’une assistance financière modeste, ce qui aurait pour résultat de couper des relations économiques avec la Russie à la fois anciennes et essentielles pour le pays. La proposition n’était pas non plus « innocente », puisqu’elle incluait des articles exigeant que l’Ukraine adhère à la politique militaire et de sécurité de l’Europe, ce qui voulait dire, en pratique, mais sans mentionner l’alliance, à l’Otan. En résumé, ce n’est pas une soit-disant agression de M. Poutine qui a provoqué la crise actuelle, mais cette sorte « d’agression douce » de Bruxelles et Washington pour attirer l’Ukraine à l’Ouest, y compris (dans un paragraphe en petites lettres) dans l’Otan.
Mensonge N°4 : La guerre civile en Ukraine aujourd’hui a été causée par la réponse agressive de M. Poutine à la protestation pacifique de Maïdan contre la décision de M. Yanoukovych.
Les faits : En février 2014, la manifestation de Maïdan, fortement influencée par des extrêmistes nationaliste et même des forces de rue semi-facistes, est devenue violente. Dans l’espoir d’une solution pacifique, des ministres des affaires étrangères européens ont négocié un compromis entre des parlementaires représentant les manifestants de Maïdan et M. Yanoukovych. Aux termes de cet accord, ce dernier serait resté président, avec des pouvoirs limités, d’un gouvernement de réconciliation jusqu’à des élections prévues en décembre de la même année. En quelques heures, la violence de combattants de rue a fait échouer cet accord. Les dirigeants européens et Washington n’ont rien fait pour défendre leur propre accord diplomatique. M. Yanoukovych s’est enfui en Russie. Des partis minoritaires au parlement, représentant Maïdan et surtout l’Ouest de l’Ukraine, parmi lesquels « Svaboda », un parti ultra nationaliste qui avait par le passé été stigmatisé par le parlement européen comme incompatible avec les valeurs européennes, ont formé un gouvernement. Ils ont également modifié la constitution en leur faveur. Washington et Bruxelles ont soutenu ce coup d’état et ses conséquences jusqu’à ce jour. Tout ce qui s’en est suivi, de l’annexion de la Crimée par la Russie a la propagation de la rébellion dans le sud ouest, à la guerre civile et à la « campagne anti-terroriste » de Kiev, a été provoqué par le coup d’état. Les actions de M. Poutine n’ont été que des réactions.
Mensonge N°5 : La seule façon de mettre fin à la crise est que M. Poutine cesse son « agression » et rappelle ses agents dans le sud est de l’Ukraine.
Les faits : les causes réelles de la crise sont les divisions internes de l’Ukraine, et non d’abord les actions de M. Poutine. Le facteur essentiel de l’escalade de la crise depuis mai est la campagne militaire « anti terroriste » de Kiev contre ses propres citoyens, principalement, maintenant, autour de Donetsk et Lougansk. M. Poutine influence et aide certainement les « défenseurs du Donbass ».  Si on considère la pression qui s’exerce sur lui, à Moscou, il est très vraisemblable qu’il continuera à le faire, et, peut-être, plus directement, mais il ne les contrôle pas. Si Kiev cesse ses assauts, il est probable que M. Poutine pourra les contraindre à négocier. Mais seul l’administration de M. Obama peut contraindre Kiev de cesser, et elle ne l’a pas fait.
En résumé, vingt ans de la politique américaine ont mené à cette confrontation fatale entre la Russie et les Etats-Unis. M. Poutine peut y avoir contribué en passant, mais son rôle durant ses quelques quatorze ans au pouvoir a presque toujours été réactif, ce que les forces les plus réactionnaires à Moscou lui reprochent souvent. »
Je ferai deux commentaires à ce texte (encore une fois je vous engage à aller lire l’article complet sur le site du magazine « The Nation », www.thenation.com).
Le premier concerne la capacité de M. Obama à contraindre Kiev. Ce sont effectivement les Etats-Unis et Bruxelles qui sont à l’origine de la crise. Mais, depuis que les combats se sont intensifiés dans le sud, depuis que le nombre de morts civils a tellement augmenté, il semblerait qu’une nouvelle force soit à l’œuvre, derrière le gouvernement de Kiev. Le comportement de M. Poroshenko à Minsk en est l’illustration. On le présente souvent (pas dans les médias « mainstream » évidemment !) comme la marionnette de Washington. Je commence à me demander s’il n’y a pas un autre « marionnettiste ». M. Kolomoïski, par exemple. Je reviendrai là dessus dans un prochain article.
Le second concerne l’objectif souhaitable de sortie de crise. La Russie le demande depuis des mois, l’Allemagne en a convenu récemment, la seule solution viable qui maintienne l'unité du pays est une fédéralisation de l’Ukraine. M. Poroshenko a écarté cette solution à Minsk. Mais les séparatistes du Donbass la rejettent également. Leurs représentants ont récemment déclaré en conférence de presse qu’il ne voulaient plus d’autonomie, qu’ils ne voulaient plus de fédéralisation. Ils veulent qu’on les laisse décider seuls et indépendamment de leur sort. Ils disposent de ressources suffisantes sur les plans agricoles et industriels, pour former une entité indépendante.
Quand discute avec des Ukrainiens, on est frappé par le niveau de haine atteint dans le pays entre les différentes composantes de la population. Une solution pacifique ne semble pas proche…

jeudi 28 août 2014

Recette des “nouvelles à la Kiev”


Vous avez certainement, comme moi, entendu l’inénarrable porte parole du département d’Etat américain expliquer que les Etats-Unis disposaient de preuves irréfutables de l’agression russe en Ukraine. Si on la pousse un peu dans ses retranchements, ce que bien peu de mes confrères se risquent à faire, elle explique que ces preuves ont été recueillies sur les « réseaux sociaux ».
Je me suis donc renseigné sur la façon dont les nouvelles et les preuves prenaient le chemin des réseaux sociaux pour arriver à Washington.
Il existe, dans l’immeuble du ministère de l’intérieur, à Kiev une série de bureaux, un de mes confrère dit même que c’est en réalité tout un étage de l’immeuble, dans lesquels travaillent de nombreuses personnes parlant le russe ou l’ukrainien avec un curieux accent américain. Il y a dans ce groupe, ceux qui « découvrent » les nouvelles. C’est un travail qui demande un peu d’imagination, mais moins que l’on pourrait l’imaginer.
Une fois la nouvelle « découverte » et le scénario élaboré, il suffit alors à d’autres, d’inonder les réseaux sociaux avec cette nouvelle que l’on ne cherche même pas à prouver. D’ailleurs, le pourrait-on puisqu’on vient de la « découvrir ». L’important, c’est qu’elle soit un peu partout, en Ukraine principalement.
L’étape suivante est de signaler la nouvelle aux médias étrangers, américains principalement. A ce moment, la porte parole du département d’état n’a plus qu’à l’annoncer. Les journalistes chercheront une confirmation… sur les réseaux sociaux. Devant la quantité de sources concordantes, on ne peut alors que se rendre à l’évidence. C’est forcément vrai.
Comme ces nouvelles se succèdent à grande vitesse et que les médias vivent dans l’instant présent, même si la nouvelle est plus tard infirmée, la correction ne sera pas faite. Ou alors, « discrètement ».
Ainsi, vous vous souvenez certainement des photos publiées par le New York Times (un modèle de probité professionnelle ce quotidien !) montrant des hommes en tenue militaire prises la première en Russie, la seconde en Ukraine et qui servait donc de preuve à la nouvelle de l’intervention de soldats russes en Ukraine. Quelques jours plus tard, il s’est avéré que les deux photos avaient été prises en Ukraine. Alors que la première version était passée en première page, le démenti (dans ce cas il a bien fallu démentir, c’était trop « gros ») est passé discrètement en bas de troisième page. Mais le résultat était atteint, la nouvelle avait été reprise par de nombreux médias et des millions de personnes sont restées avec l’impression que des militaires russes étaient bien en Ukraine.
Parfois, quand l’évènement est en lui-même très important, on ne l’invente pas, mais on invente une explication évidemment défavorable à la Russie ou aux séparatistes, comme dans le cas du vol MH17.
Donc, dès que vous lisez des nouvelles dans les médias, n’oubliez pas de « brancher votre esprit critique » ! Quelques remarques pourraient vous être utiles. Par exemple, on n’envahit pas un pays de 53 millions d’habitant avec dix parachutistes. De même, on ne l’envahit pas avec une colonne de dix transports de troupe, même blindés. De plus, une photo de cette colonne aurait été intéressante, mais il n’y en a pas. Les journalistes anglais qui ont « vu » les blindés n’avaient pas d’appareil photo, pas même un téléphone portable pour faire quelques clichés !
S’il s ‘agit de déclarations d’une personne connue, on peut aussi utilement se référer à des déclarations antérieures de la même personne. Prenez, par exemple, le secrétaire général de l’Otan M. Anders Fogh Rasmussen. Il a récemment déclaré que la Russie allait envahir l’Ukraine et que l’Otan devait donc s’y préparer. C’est le même M. Rasmussen qui déclarait en 2003 : “Iraq has Weapons of Mass Destruction. It is not something we think; it is something we know.”
Enfin, il peut être utile de se poser LA question : à qui cela profite-t-il ? J’essaierai de réfléchir demain sur ce type de question : "à qui profite la poursuite de la guerre civile dans le sud de l’Ukraine ?" La question « à qui profite l’attaque contre le MH17 » est, elle, trop facile…

mercredi 27 août 2014

Réunion de Minsk le 26 août 2014


J’ai reçu ces derniers jours plusieurs messages m’accusant d'être de parti pris en faveur de la Russie. Certains messages étaient fort courtois, d’autres plutôt incohérents et injurieux. C’est aux auteurs des premiers que j’aimerais m’adresser.
Je comprends que ce que j’écris puisse vous paraître un peu pro-russe et je voudrais simplement vous faire deux remarques. La première est que toute impression est relative. J’en suis convaincu et il est vrai que par rapport à ce qu’écrivent les médias français votre réaction ne me surprend pas. Mais les médias français sont-ils objectifs ? La deuxième est que, quelque soit le sujet abordé, je prends soin de séparer l’énoncé des faits de leur analyse. Cette analyse est la mienne et je prend soin de ne pas me cacher derrière des « nous », des « on » ou des « les spécialistes pensent que… ». Je parle à la première personne. Je cherche à rester le plus objectif possible, mais je sais très bien que l’objectivité totale est une vue de l’esprit. Vous pouvez, vous devez même (si je peux me permettre cette injonction) lire mes articles avec un esprit critique. Si leur lecture vous amène à lire les autres avec le même esprit critique, je considèrerai que j’ai atteint mon objectif. Merci à ceux qui m’écrivent.
Ainsi donc la capitale de Biélorussie a accueilli hier une réunion des dirigeants de l’Union Economique Eurasiatique (Russie, Biélorussie et Kazakhstan), de l’Union Européenne et de l’Ukraine.
Il s’agit d’une première de ce type qui devrait être suivie de plusieurs autres réunions, peut-être à des niveaux inférieurs pour chaque pays participant. Je l’espère car, sinon, si cette réunion n’est pas la première d’une série, alors, le résultat est particulièrement décevant, voir inquiétant.
Chacun des présidents a fait une déclaration liminaire. Le président biélorusse, M. Alexandre Lukashenko, l’hôte de la réunion, le président Kazakh, M. Noursoultan Nazarbaïev et Mme. Ashton on insisté sur la nécessité de faire cesser au plus vite l’effusion de sang dans le sud de l’Ukraine. C’est sans doute le seul point d’accord entre tous les participants. A condition, bien entendu de ne pas chercher à savoir comment chacun compte arriver à ce résultat.
M. Poutine qui parlait en avant dernière position a abordé le problème des relations économiques dans la région. La position russe est qu’en signant l’accord d’association avec l’Union Européenne, l’Ukraine a renoncé à son traitement privilégié de la part de l’Union Economique Eurasiatique. Cela aura des conséquences financières négatives à la fois pour l’Ukraine et pour la Russie.
En effet les deux économies sont restées très liées après l’indépendance de 1991 dans le cadre de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). Les liens sont très forts dans le domaine énergétique, le gaz évidemment, mais le nucléaire aussi (je rappellerai à nos lecteurs qui n’étaient pas nés lors de la catastrophe du 26 avril 1986, que la centrale de Tchernobyl se trouve en Ukraine). Les liens sont aussi très fort dans la construction aéronautique, où se sont créées des chaînes technologiques uniques (certains éléments des avions et hélicoptères russes sont fabriqués en Ukraine). Les banques russes gèrent 30% des flux financiers ukrainiens et les échanges commerciaux entre les deux pays atteignaient  50 milliards de dollars en 2013.
Après la ratification de l’accord d’association, les marchandises ukrainiennes n’entreront plus en Russie en franchise de droits, mais devront acquitter des droits de douane de 7,8%, comme les marchandises européennes.
En ce qui concerne les pertes côté russe, M. Poutine a expliqué que selon les calculs d’économistes russes, ce nouvel état de fait pourrait coûter à la Russie jusqu’à 100 milliards de roubles (2,1 milliards d’euros). C’est une des raisons pour lesquelles la Russie se sent tellement concernée par ce qui se passe en Ukraine.
Le président russe a poursuivi en déclarant : « La Russie est prête à reconnaître le choix souverain de n’importe quel peuple pour son développement, mais pas à nos dépends ».
Parlant le dernier, le président ukrainien, M. Poroshenko n’a pas rassuré ceux qui, comme moi, espéraient le voir faire preuve d’un peu plus de souplesse dans son approche. Après les remerciements d’usage, son discours s’adressait manifestement au seul président russe. Il s’est d’ailleurs (était-ce l’émotion) exprimé en russe alors que l’on avait prévu des traducteurs ukrainien-russe.
Il a commencé par expliquer, en toute modestie, que « c’est le sort du monde qui ce joue ici à Minsk», et qu’il ne fallait pas, par conséquent, commencer par des accusations (pourvu qu’il ne nous parle pas, d’ici peu, de la « destinée manifeste » du peuple ukrainien).
Mais la suite était plus inquiétante pour l’avenir des discussions. Il a expliqué que le peuple ukrainien avait fait son choix, qu’il s’agissait d’un choix « pour l’Europe et la démocratie et pour un statut unitaire » (adieu la fédéralisation !). Pour faire bonne mesure, il a ensuite déclaré : « je suis persuadé que personne ne veut la guerre », oubliant que c’est tout de même son armée qui est engagée dans la guerre civile, mais n’oubliant pas d’évoquer les « terroristes » qui abattent un avion civil ou font défiler des prisonniers militaires ukrainiens dans le centre de Donetsk, demandant ensuite que l’on soutienne son plan de paix.
Mais ce plan de paix suppose la reddition des « terroristes ». La guerre civile a donc de bonnes chances de continuer. M. Poroshenko a toutefois reconnu que la situation humanitaire dans le sud de l’Ukraine était « très préoccupante ».
Sur la base de toutes ces déclarations, la situation paraît sans issue…
Les discussions privées entre dirigeants ne semblent pas avoir non plus fait avancer la solution des problèmes. Au contraire, après une rencontre entre Mme. Ashton et M. Poroshenko, ce dernier a annoncé que pas une ligne ne serait changée à l’accord d’association signé entre l’Ukraine et l’Union Européenne.
Les participants à la réunion nous annoncent la préparation d’une « feuille de route », expression à la mode dont journalistes et hommes politiques sont très friands, sans doute parce qu’elle peut désigner tout et n’importe quoi. On se met d’accord sur un point à atteindre en fixant un vague chemin à suivre alors que chacun est bien décidé à suivre son propre chemin. Il s’agit surtout de donner l’impression que l’on est arrivé à quelque chose quand, en réalité, en n’est arrivé à rien.
Les Etats-Unis n’étaient pas officiellement représentés à Minsk, mais, en ce qui me concerne j’y ai vu un de leurs porte-parole, M. Poroshenko. La résolution entre européens d’un problème européen n’est pas encore en marche.

dimanche 24 août 2014

Ukraine : la visite à Kiev de Mme Merkel


La chancelière allemande s’est donc rendue à Kiev où elle a rencontré le président Poroshenko et le premier ministre Yatseniouk (celui que Mme Nuland appelle familièrement « Yats »).
La plus grande partie des discussions a eu lieu loin des journalistes. On ne peut donc que s’en remettre à la déclaration liminaire de M. Poroshenko et à ce qui a été dit lors de la conférence de presse.
Le président ukrainien a présenté Mme. Merkel comme une amie de l’Ukraine et son meilleur avocat en Europe, précisant que, ce deux derniers mois ils avaient eu plus de vingt contacts directs.
Lors de la conférence de presse, Mme. Merkel a déclaré que le sujet principal de cette rencontre était la paix dans le sud et l’est du pays ainsi que la reconstruction. Une réunion des amis de l’Ukraine (tiens l’expression nous rappelle quelque chose) aura lieu en septembre au cours de laquelle les partenaires européens annonceront un soutien financier. Certains confrères appellent déjà cela le « plan Merkel ». La chancelière a parlé d’une enveloppe de 500 millions d’euros. On se souvient que M. Yatseniouk avait, lui, placé la barre plus haut à huit milliards d’euros.
En ce qui concerne la paix, Mme. Merkel a annoncé qu’elle soutenait les négociations de Minsk mardi prochain au cours desquelles M. Poroshenko va présenter son plan de paix traitant des questions de décentralisation, d’amnistie, de reconstruction des infrastructures et de certaines garanties sociales non précisées. Le président ukrainien doit également parler des relations économiques entre l’Ukraine, l’Union Européenne et l’Union Economique Eurasiatique. Ce sera sans doute le sujet le moins délicat, car la simple liste des différents points du plan de paix ressemble beaucoup plus à une liste de problèmes épineux qu’à une liste de solutions. Le démarrage de ce plan posera de grosses difficultés et sa mise en œuvre prendra énormément de temps à supposer que Kiev et le Dombass arrivent à un accord de principe, ce qui ne sera pas simple.
D’autant que nous avons vu comment M. Poroshenko, soutenu par ses parrains américains, concevait la mise en œuvre de ses idées dans le Dombass et la « souplesse » dont il était capable dans les négociations.
Mais pour Mme. Merkel, il n’y a pas de problèmes, ou presque. L’Ukraine doit seulement retrouver la maîtrise de sa frontière afin que les armes ne puissent plus la traverser. « Nous avons parlé de la question de la langue russe, et ce n’est pas un problème. Nous avons parlé d’identité nationale et il n’y a pas de problème non plus. Ce que nous appelons fédéralisation, ici, on l’appelle décentralisation, mais c’est la même chose ». Bien sûr, sauf que le président ukrainien devait ensuite préciser que la fédéralisation n’avait aucun sens dans la situation ukrainienne actuelle.
De son côté, le vice-chancelier allemand M. Sigmar Gabriel a été plus précis dans une interview au “Welt am Sonntag” : "On peut préserver l'intégrité territoriale de l'Ukraine uniquement si on fait une proposition aux régions à majorité russophone. Le concept raisonnable de fédéralisation me paraît la seule solution possible". Comprenne qui pourra.
Enfin, comme il ne faut pas désespérer Washington qui a déjà bien des soucis par ailleurs, Mme. Merkel a repris le refrain habituel en ce qui concerne les sanctions : « (…) de nouvelles sanctions contre la Russie ne sont pas la question principale mais sont une possibilité si la situation en Ukraine empire. » Elle n’a pas non plus oublié de préciser que la reconnaissance du rattachement de la Crimée à la Russie serait un danger pour l’Europe qui pourrait se trouver face à des revendications similaires dans plusieurs pays européens.
Voilà pour le festival officiel. Voyons maintenant du côté du festival « off » comme on dit à Avignon. Commençons par la presse ukrainienne. On peut y lire, après cette visite tombant à une date symbolique, la veille de la fête de l’indépendance de l’Ukraine, des commentaires très optimistes. Mme. Merkel est venue promettre plein de bonnes choses. On retrouve le type d’enthousiasme irréel de la première période de Maïdan quand l’Europe était décrite comme un paradis auquel une grande partie de la population croyait. Je citerai, à titre d’exemple, ces articles ukrainiens qui annoncent que l’Allemagne a accepté de payer des dommages de guerre à l’Ukraine pour compenser les morts et les destructions des deux guerres mondiales. Certains citent le chiffre de mille milliards de grivna (environ 56 milliards d’euros au dernier cours disponible). On parle même d’un plan de paiement conclu lors de cette visite.
Dans un registre plus sérieux, que pouvons-nous tirer de ce que nous avons vu et entendu, ou plutôt de ce que nous n’avons pas entendu. Toutes les déclarations officielles avaient le caractère convenu auquel nous sommes habitués.
Qu’est-ce que Mme. Merkel est venue faire à Kiev ? Comme je le mentionnais dans un article précédent, cette visite est un cadeau diplomatique qui doit comporter des contreparties. Elle a lieu juste avant la rencontre de Minsk ou M. Poroshenko va rencontrer M. Poutine. Je pense que le gros de la discussion a été, de la part de Mme. Merkel, un recadrage sérieux du président ukrainien.
Ce dernier a bénéficié depuis plusieurs mois d’un soutien quasi sans failles de la part des Etats-Unis et de l’Europe. Il est probable que l’ampleur de ce soutien lui a fait perdre le sens des réalités et la chancelière est, à mon avis, venue lui rappeler ces réalités.
On se souvient de l’épisode de l’agression géorgienne de l’Ossétie du Sud qui a provoqué la réaction militaire de la Russie en août 2008. Comment la Géorgie pouvait-elle imaginer qu’elle pouvait ainsi provoquer la Russie sans en subir de conséquences négatives ? Le président Saakashvili avait bénéficié aussi d’un fort soutien américain et se croyait protégé par son puissant ami. Il n’avait pas réalisé que ce soutien, comme celui apporté maintenant à l’Ukraine ne lui était pas vraiment destiné, mais était destiné à servir les intérêts géostratégiques américains. Quand il a attaqué, les Etats-Unis n’ont pas réagit, mais se sont trouvés dans une situation politiquement extrêmement désagréable. On ne veut pas renouveler l’expérience avec l’Ukraine. Il faut donc remettre son président à sa vraie place.
Mme. Merkel lui a donc vraisemblablement expliqué comment il devait se conduire à Minsk avec l’aide (ou sous le contrôle ?) des représentant de l’Europe. M. Poroshenko n’est pas un homme politique, encore moins un homme d’état. C’est un oligarque dont la fortune se trouve dans des banques qui ne sont pas hors de portée de sanctions internationales. Il est donc vraisemblable qu’il agira « comme il faut ». Mais les événements récents en Ukraine montrent qu’il n’était pas mauvais de prendre la peine de le lui rappeler.
Car si, officiellement, il était question évidemment de la paix dans le sud du pays, la grande question qui préoccupe l’Europe, c’est le gaz. Or n’a-t-on pas mentionné récemment à Kiev, la possibilité de couper le transit de gaz à travers l’Ukraine, à titre de sanction contre la Russie ? La simple mention de ce genre d’action a de quoi inquiéter sérieusement les « protecteurs » de l’Ukraine. Elle a, en tout cas, fait monter la fièvre sur le marché spot du gaz…
Que peut-on enfin attendre du côté russe ? Pour le Kremlin, la solution du problème ukrainien a déjà été négociée et un accord a été approuvé à Genève par les parties concernées. Je ne crois pas que la partie russe soit prête, dans la situation actuelle à revenir sur cet accord. Ceux qui se demandent encore « ce que veut la Russie »  ne font pas montre de curiosité mais d’incompréhension. D’autre part, mes contacts fréquents avec des confrères russes me laissent à penser que la position russe a changé sérieusement ces dernières semaines. Ce qui m’inquiète, c’est que les parties américaine et européenne ne semblent pas avoir noté ce changement ou aient simplement décidé de l’ignorer.
Deux évènements révèlent à mon avis très bien ce changement d’orientation de la politique russe mais aussi de l’opinion publique.
Le premier est l’imposition de contre-sanctions. On connaît l’embargo décidé sur les produits agro-alimentaires. Ce qui me frappe, c’est le temps que la Russie a mis à réagir. On nous a dit qu’il fallait réfléchir mûrement avant de prendre ce genre de décision. Mais le temps de la réflexion a été bien long. C’est sans doute parce que les sanctions européennes on vraiment eu un gros impact sur la Russie sur le plan psychologique. Tout le monde à Moscou avait intégré l’idée que les Etats-Unis n’était plus un partenaire comme on l’avait cru pendant une dizaine d’années, mais un adversaire, les sanctions américaines n’ont donc pas été une surprise.
Mais le gouvernement russe et l’opinion publique ont continué longtemps à voir l’Europe comme un partenaire, voir même comme des pays amis pour certains d’entre eux, l’Allemagne en particulier. Les sanctions européennes ont donc été un gros choc psychologique. D’autant que d’une part, on ne voyait pas la logique de cette décision puisque ce sont les Etats-Unis qui ont organisé les évènements ukrainiens avec le soutien de l’Europe et, d’autre part, on savait bien que l’Europe a beaucoup à perdre dans une lutte de sanctions, beaucoup plus que les Etats-Unis.
Il donc a fallu du temps pour intégrer cette nouvelle dimension, c’est pourquoi la réflexion a été si longue. Mais le simple fait que la Russie ait finalement décidé des contre-sanctions visant l’Europe est la preuve que cette nouvelle dimension des relations est maintenant intégrée. Comme le faisait remarquer récemment le politologue russe Fedor Loukianov, « Depuis le milieu des années 1980, notre politique étrangère était fondée sur le rapprochement avec l’Occident, en dépit des diverses épreuves qu’il nous a fallu surmonter en conséquence. (…) Au début, c’était un rêve, mais après un certain temps, l’idée s’est largement répandue qu’il s’agissait d’une «nécessité». Aujourd’hui, à l’inverse, le gouvernement russe déclare que le maintien de relations privilégiées avec l’Occident n’est pas si indispensable, et que sur certains sujets, nous devons agir depuis le seul point de vue de nos intérêts nationaux. »
Une fois ce virage pris, la signification des sanctions a changé pour la Russie. Etant donné le patriotisme russe, cette capacité à traverser les épreuves dont le pays a fait la preuve tout au long de son histoire et sa patience, je ne pense pas que de nouvelles sanctions le feront plier, bien au contraire, cela ne fera que renforcer sa résistance.
Le deuxième élément est l’opération humanitaire russe pour le Dombass. Personne ne s’est évidemment opposé ouvertement au principe d’un convoi humanitaire. Comment le pourrait-on. Mais on a fait ce que l’on pouvait pour empêcher une intervention russe sur ce terrain. Côté américain, on a fait « dans la légèreté », comme d’habitude et le porte parole du département d’état a déclaré : « Aujourd’hui, en violation de ses engagements et du droit international, des véhicules militaires russes peints de façon a ressembler à des véhicules civils sont entrés de force en Ukraine. »
De son côté, Kiev a tout fait pour bloquer ce convoi, préférant évidemment maintenir la situation humanitaire désespérée dans l’espoir d’une victoire prochaine sur la rébellion. Après une semaine de tergiversations administratives, le dernier argument utilisé a été « vous ne pouvez pas accéder à Lougansk en raison des bombardements qui y ont lieu. » Mais justement, c’est Kiev qui bombardait…
Malgré cela, le ministère russe des affaires étrangères a annoncé en fin de semaine dernière que le convoi entrerait en Ukraine, ajoutant, « nous mettons en garde contre toute tentative de contrecarrer cette mission purement humanitaire qui a nécessité une longue préparation dans des conditions de transparence complète et de coopération avec la partie ukrainienne et le Comité International de la Croix Rouge. Ceux qui seraient décidés à continuer de sacrifier des vies humaines à leur propre ambition et à leurs projets géopolitiques et qui foulent grossièrement au pied les normes et principes du droit humanitaire international assumeront totalement les conséquences de provocations contre ce convoi d’aide humanitaire. »
La menace est à peine voilée et les parties concernées clairement définies. Qui donc, en effet peut-on accuser d’avoir des « projets géopolitiques » en Ukraine ? A mon avis, cette déclaration du ministère signifie deux choses. La première est que le point de non retour est presque atteint. La seconde est que la Russie a pris la décision de répliquer par tous les moyens, y compris militaires à une poursuite de la situation actuelle.
D’un côté, Mme. Merkel dit « de nouvelles sanctions sont possibles », de l’autre, la Russie dit « une intervention militaire est possible ». L’épisode du convoi humanitaire est la preuve que Moscou peut intervenir dans le sud de l’Ukraine avec ou sans l’accord des occidentaux dont le statut est passé de « partenaires » à « adversaires ». La situation est maintenant explosive et il ne faudrait pas laisser les Ukrainiens jouer avec des allumettes sous prétexte que les Etats-Unis les protègent…

vendredi 22 août 2014

Mme Merkel à Kiev samedi


De nouvelles manœuvres diplomatiques autour de l’Ukraine ont commencé, et elles ont commencé sans la présence physique des Etats-Unis.
Le 17 août dernier, les quatre ministres des affaires étrangères d’Allemagne, France, Russie et Ukraine se sont réunis à Berlin. L’absence des Etats-Unis a été très remarquée alors que ce pays, on le sait, intervient en Ukraine depuis plusieurs années et a piloté politiquement et militairement les évènements récents. Très peu a filtré des conversations et on peut maintenant penser que c’est parce qu’il s’agissait de préparer les rencontres au niveau présidentiel.
Mme Merkel sera donc à Kiev demain, samedi, pour rencontrer M. Poroshenko. Il s’agit d’une énorme concession, une sorte de cadeau pour M. Poroshenko (le président ukrainien aurait pu se rendre à Berlin, mais c’est Mme Merkel qui va à Kiev). Comme, en politique internationale, on ne fait pas de cadeaux, le gouvernement allemand attend quelque chose en retour et on peut espérer une évolution positive de la position de Kiev dans la crise ukrainienne. Nous rappellerons qu’au début des opérations militaires dans l’ouest de l’Ukraine, avant l’attaque du vol MH17, Berlin et Moscou avaient été en tête des manœuvres diplomatiques pour résoudre la crise. Je pense que nous pourrions apprendre que le gouvernement de Kiev décide d’un cessez-le-feu unilatéral alors que la poursuite de ses opérations punitives risque de plus en plus de déclencher une réaction russe. Et qui dit cessez-le-feu dit négociations.
Ce voyage arrive à un moment où le soutien pour l’Ukraine est en train de faiblir en Europe. On commence à ressentir les conséquences des sanctions économiques, les médias qui avaient, dans leur grande majorité, ignoré les opérations militaires de Kiev commencent à mentionner la crise humanitaire déclenchée par ces opérations. Le feuilleton du convoi d’aide humanitaire envoyé par Moscou n’est certainement pas étranger à cette évolution de la couverture médiatique. D’autre part, l’Ukraine va avoir besoin d’un soutien financier colossal. Le pays était déjà en faillite au début de la guerre et les opérations menées par l’armée de Kiev et par des bataillons non contrôlés par Kiev, ont provoqué d’importantes destructions dans la région la plus industrialisée du pays. Le FMI interviendra sans doute, mais on sait de quoi sont accompagnées ses aides, et du caractère destructif qu’elles auraient pour un pays dans la situation de l’Ukraine. Berlin et Moscou pourraient, eux, avoir une approche plus constructive.
Trois jours après cette rencontre, une autre réunion va avoir lieu à Minsk, une réunion peut-être plus importante que celle entre les dirigeants allemand et ukrainien, une réunion où M. Poroshenko va rencontrer M. Poutine. Il s’agit, au départ, d’une réunion de l’Union Douanière Russie, Biélorussie, Kazakhstan à laquelle se joindra M. Poroshenko et un représentant de l’Union Européenne. Il ne vous aura pas échappé qu’ainsi, le président ukrainien aura eu, à trois jours de distance, une réunion avec chacun des deux blocs économiques qui sont ses voisins, l’Union Européenne, représentée par son membre le plus important, et l’Union Douanière qui doit devenir, le 1er janvier 2015, l’Union Economique Eurasiatique.
On notera que M. John Kerry n’est pas annoncé à Minsk non plus mardi prochain. Pour une raison qui n’est pas évidente pour le moment, Washington semble se désintéresser de la crise ukrainienne et a passé le relais à Mme. Merkel. On ne peut que se réjouir de cette situation nouvelle puisque l’ensemble des pays concernés sont des pays européens. Il est possible qu’après avoir sous-estimé la résolution de la Russie qui fait bloc derrière son président, les Américains aient compris qu’ils n’atteindraient pas le but recherché et qu’ils abandonnent le terrain avant que l’on ne constate leur défaite face M. Poutine. De toute façon, ils n’ont pas dit leur dernier mot puisqu’ils contrôlent l’Otan et les principales organisations internationales comme, entre autres, le FMI.
Je mentionnerai, pour conclure que si toutes ces nouvelles semblent positive pour l’Europe au sens large, il est encore un peu tôt pour se réjouir. N’oublions pas que depuis quelques mois, chaque fois qu’une issue diplomatique semblait possible, un événement tragique, réel ou supposé, est venu stopper cette évolution. Il y a eu le drame du vol MH17 attribué d’abord par Kiev aux rebelles et à Moscou (on a vu maintenant que la responsabilité serait plutôt quelque part du côté ukrainien), puis cette histoire irréelle d’un convoi de 23 véhicules blindés soi-disant russes qui auraient tenté d’envahir l’Ukraine avant d’être détruit par les forces de Kiev (si la Russie devait un jour envahir son voisin le ferait-elle seulement avec 23 transports de troupe blindés ? Qui peut croire cela ? Et il n’existe aucune photo ou vidéo de ce soi-disant épisode). Kiev a ensuite accusé les rebelles d’avoir bombardé un convoi de réfugiés, faisant plusieurs morts. Maintenant, il y a ce convoi d’aide humanitaire envoyé par la Russie qui ferait également un excellent prétexte pour un groupe cynique qui ne voudrait pas de la paix. Il y a, dans le conflit ukrainien une guerre militaire mais aussi une vaste entreprise de désinformation qui semble pilotée depuis Kiev et relayée par les médias occidentaux, et, ce qui semble bien pire, par des gouvernements européens ou américains.
 
Mais les guerres finissent un jour. Pourquoi pas la semaine prochaine en Ukraine ?

jeudi 14 août 2014

Où en est-on avec les boites noires du MH17 ?


Jeudi 17 juillet, un avion de ligne de la Malaisia Airlines, le vol MH17 s’écrase dans l’Est de Ukraine, dans une zone où les combats avec les séparatistes font rage. Il avait à son bord 298 passagers et membres d’équipage dont une majorité de Hollandais et un grand nombre d’Australiens.
Le 18 juillet, la BBC annonce, sur la foi d’un correspondant à Kiev, que les services de sécurité ukrainiens ont confisqué les enregistrements des conversations entre les contrôleurs aériens et l’équipage du Boeing malaisien.
Ce même 18 juillet, le New York Times, « porte-voix» du gouvernement américain annonce que le gouvernement des Etats-Unis a conclu que l’avion abattu au dessus de l’Ukraine l’a été par un missile sol-air de fabrication russe et très probablement fourni par la Russie aux séparatistes de l’Est de l’Ukraine. Au lendemain de la catastrophe, et avant toute enquête, le scénario est déjà prêt.
Le 19 juillet, le gouvernement allemand annonce, dans un communiqué que la chancelière Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine sont tombés, d'accord cours d'un entretien téléphonique, pour qu'une enquête internationale et indépendante sous la direction de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale ait lieu pour élucider le crash aérien en Ukraine.
Ce même 19 juillet, le gouvernement ukrainien annonce qu’il a la preuve que la Russie a fourni le missile qui a abattu le Boeing. L’annonce est relayée par le New York Times. Dans une conférence de presse, Vitaly Nayda, directeur des services de sécurité ukrainien présente une photo du lanceur prise, selon lui, dans une zone contrôlée par les séparatistes. Il sera rapidement prouvé que la photo a été prise loin du lieu supposé, dans une zone contrôlée par l’armée ukrainienne. Le New York Times ne mentionnera pas cette correction, évidemment.
Le 20 juillet, le secrétaire d’état John Kerry déclare : « Il est clair qu’il s’agit d’un système (les missiles) qui a été transmis par la Russie aux mains des séparatistes. Nous savons avec certitude, avec certitude (sic), que les Ukrainiens n’avaient pas un tel système dans cette région à ce moment, ce qui désigne clairement les séparatistes ». Et il déclare à peu près la même chose dans cinq émissions de télévision américaines auxquelles il participe le même jour. On notera, pour mémoire, comme le fait remarquer le journaliste américain John Parry, qu’il s’agit du même Kerry qui le 30 août 2013 déclarait avoir la preuve formelle que le gouvernement syrien était responsable de l’attaque aux armes chimiques du 21 août. Preuve qui n’a jamais été produite et qui a même été infirmée plus tard.
Le 21 juillet, le Ministère de la défense de la Fédération de Russie présente sa version des faits. Et il ne s'agit pas que d'une version. Cartes satellites à l'appui avec explications et trajectoires, deux généraux montrent à la presse que l'avion a dévié de 14km de son corridor de vol et lorsqu'il a tenté de le reprendre, il a été abattu, qu’une batterie BUK est apparue dans la zone proche des combattants, détectée ensuite côté ukrainien, puis a totalement disparue, qu’un autre avion, probablement un chasseur SU25 ukrainien, a été détecté à distance de tir de l'avion de ligne, enfin qu’un satellite américain était orienté sur la zone de combat juste au moment du tir.
Le 22 juillet, le Conseil de Sécurité de l’ONU vote, à l’unanimité, la résolution 2166 qui exige la tenue d'une enquête multilatérale et indépendante sur la tragédie « en conformité avec les principes qui régissent l'aviation civile internationale ».
La représentante permanente des États-Unis à l'ONU Samantha Power déclare que l'avion a probablement été abattu par un missile de type « sol-air », avant d’expliquer qui les séparatistes ne disposent pas de ce type d’arme et que l’armée de Kiev n’a pas mené de tirs de missiles le jour du crash du Boeing 777. Suivez mon regard…
Ce même 22 juillet, Marie Harf, porte-parole du département d’état américain admet que les « preuves » de la responsabilité russe viennent principalement des réseaux sociaux. Ainsi donc, comme le fait remarquer Daniel McAdams de l’Institut Ron Paul, « cela veut dire qu’avec un budget vraisemblablement supérieur à 100 milliards de dollars, la communauté du renseignement américaine base des décisions qui pourraient mener à une guerre nucléaire, sur des Tweets et des vidéos YouTubes de simple citoyens ! »
Mais un peu plus tard dans la journée, des représentant des services secrets américains reconnaissaient qu’ils n’avaient pas de preuve directe de la participation de la Russie. Robert Parry citait même une de ses sources dans les services de renseignement américains qui lui a dit qu’une photo en leur possession montrait une batterie de missiles « BUK » dans la région d’où aurait pu venir le tir, servie par des militaires en uniforme ukrainien. Le département d’état devait d’ailleurs modifier ensuite sa position en déclarant que le missile avait vraisemblablement tiré par un « déserteur » de l’armée Ukrainienne…
En Ukraine, c’est aussi le 22 juillet que les séparatistes ont remis le deux boites noire du vol MH17 à des représentants de la compagnie aérienne. Elles devaient être remises à l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale, mais elles iront finalement en Grande Bretagne pour y être analysées.
Dans les médias européens on aura tout lu et tout entendu, jusqu’au quotidien britannique « The Guardian » qui laisse la parole, dans une tribune à une membre des Pussy Riot qui accuse les médias russes « de couvrir la complicité de Poutine dans la tragédie MH17 ». On notera au passage que les médias russes n’ont pas fait preuve non plus de beaucoup de retenue…
Mais depuis trois semaines, plus rien à propos des boites noires du vol MH17. Elles sont en Angleterre, remises par des officiels hollandais qui, eux-mêmes les avaient reçu de la compagnie malaise à qui les séparatistes ukrainiens les avaient données le 22 juillet. Les officiels hollandais avaient déclaré qu’elles étaient un peu abîmées, mais semblaient en bonne état et exploitables.
Beaucoup de commentateurs avaient fait remarquer que la Grande Bretagne n’était peut-être pas le pays le plus neutre dans cette affaire. D’autres faisaient valoir que c’était des scientifiques qui allaient analyser le contenu des boites et que l’on pouvait faire confiance à leur conscience professionnelle.
Je ne sais quel parti prendre à ce propos. Ce qui me semble certain, en revanche, c’est qu’au moins deux pays sont au courant de la vérité sur l’attaque du vol MH17 : les Etats-Unis et la Russie. L’Ukraine est actuellement surveillée par tout ce que ces deux pays ont comme moyens surveillance et d’espionnage dans la région. Les preuves sous forme de photos satellites, enregistrements d’activité radar et autres, existent. Je soupçonne la France d’être capable d’avoir aussi des informations à ce propos.
Les Russes ont donné certaines information précises (mais sans doute pas toutes celles à leur disposition) et ont posé des questions non moins précises à leur homologues américains. Ces derniers n’ont pas fourni de réponses à ces questions et aucune preuve matérielle crédible (autre que les réseaux sociaux) alors qu’ils en ont. Les services secrets n’aiment pas divulguer d’informations trop précises de peur de dévoiler par la même occasion la qualité de leurs moyens d’observation.
Il est donc à craindre que l’on n’en sache pas beaucoup plus sur le MH17 que sur le MH370 qui, lui, n’a même pas été retrouvé.
Il ne nous reste donc qu’à chercher à qui profite le crime. La campagne médiatique anti russe qui s’est déchaînée après l’accident et qui était prévisible, me semble exclure ce pays de la liste. Les Américains s’ils les détenaient auraient certainement sauté sur l’occasion trop belle et montré des preuves de la complicité russe, comme celles utilisées par le ministère russe de la défense. Mais rien, pas de photos satellite, pas d’enregistrements de la tour de contrôle et maintenant rien à propos des boîtes noires. Etrange…
Doit-on lier à tout ceci le fait que l’on ait « démissionné » avant-hier Andriy Paroubiy, secrétaire du Conseil de la sécurité nationale et de la défense ukrainien et fondateur, avec Oleh Tyahnybok du “Parti Social-Nationaliste d'Ukraine” ?

vendredi 8 août 2014

Que se passe-t-il en Ukraine ? - Introduction


Je participais récemment à une conférence à Paris où un sénateur français m’a posé la question suivante : « Que se passe-t-il en Ukraine ? Que veut exactement Poutine ? Je ne comprend pas ». Je lui répondis (on répond toujours à un sénateur…). « Je serais tenté de dire que Vladimir Poutine veut que l’on ne s’occupe pas de l’Ukraine. Mais je crains qu’il n’y ait pas de réponse simple à votre question. Il s’agit d’un problème extrêmement complexe et qu’il est trop tard pour régler rapidement et simplement. »

Cette réponse eut l’air de le satisfaire, mais elle ne me satisfaisait pas, moi.

Je vais essayer de vous donner, dans ce texte et les suivants sur le même sujet, une série d’explications qui, je l’espère, vous permettront sinon de trouver la solution, du moins d’y voir plus clair. Tout ce que j’ai pu lire jusqu’à présent dans les médias officiels (ce que d’autres appellent les médias-système, ou encore de façon plus directe la presstitute) est soit parcellaire, soit orienté, soit complètement faux. La mauvaise foi le dispute à l’incompétence, à la bêtise ou à la paresse.

Il y a trois intervenants au problème et un groupe d’intervenants. Les intervenants sont les Etats-Unis, la Russie et l’Ukraine évidemment et le groupe, c’est l’Union Européenne.

Nous commencerons par un retour en arrière dans l’histoire de ces intervenants et de leurs relations car on ne peut plus rien comprendre si on accepte de vivre comme les médias-systèmes nous y invitent, dans un éternel présent, sans passé, donc sans causes directes, concrètes et sans futur, donc sans conséquences à nos actes.

Puis nous détaillerons les évènements qui nous ont amenés à la situation présente en tentant autant que possible de démêler le vrai du faux dans ce fatras d’informations dont nous sommes bombardés à longueur de journée par des sources rarement désintéressées et souvent mensongères, y compris les sources les plus proches des divers gouvernements concernés.

La première partie sera donc consacrée aux Etats-Unis. Nous verrons l’influence que la formation de ce pays a eue sur sa politique internationale.

Je me pencherai ensuite sur la Russie dont il ne faut pas oublier qu’elle est née à Kiev, ville qui est aujourd’hui la capitale de l’Ukraine.

Puis je passerai à la formation de l’Ukraine qui est un pays récent dans sa forme actuelle. La création de l’Ukraine a évidemment une grande influence sur ce qui s’y passe actuellement. Le fait, en particulier, qu’elle n’ai pas su se trouver une véritable classe politique dirigeante depuis son indépendance il y a plus de vingt ans joue bien sur un rôle prédominent dans ses problèmes actuels.

Le retour historique se terminera avec l’Union Européenne qui, si on y regarde bien, n’est sans doute pas ce que l’on veut nous faire croire aujourd’hui.

J’espère qu’avec cela nous serons armés intellectuellement pour mieux comprendre le déroulement récent des évènements récents qui ont secoué l’Ukraine sous le regard cynique des participants mentionnés ci-dessus.

jeudi 7 août 2014

Mes débuts de "journaliste"

Je suis né à Toulouse d'un père français et d'une mère allemande. Quand ils se sont rencontrés, elle poursuivait ses études de philologie en France et lui était un jeune professeur de littérature. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il est devenu auteur à succès, pour une série de romans se passant France et en Italie, pendant la Renaissance. J'avais quatre ans quand ma mère est partie faire un doctorat à Cologne, à la suite de quoi elle a décidé d'enseigner en Allemagne. J'ai donc partagé ma vie entre les deux pays, vivant tantôt avec mon père, tantôt avec ma mère qui, s'entendant toujours fort bien, n'avaient pas jugé bon de divorcer. Nous passions de longues vacances à trois, le plus souvent en montagne.

Une éducation comme celle là m'avait évidemment donné le goût du mouvement et du changement. En première et en terminale, je logeais chez ma tante, rue Ganneron et j'ai passé mon bac à Paris, avant une licence de philosophie. Après la licence, j'ai réalisé que la philo ne me permettrait sans doute pas de satisfaire mon désir de changement et je me suis inscrit à la faculté de journalisme de Lille. Une fois mon diplôme en poche, j'ai rejoint ma mère et j'ai passé un an dans une fac de journalisme en allemagne.

J'ai commencé ma carrière dans un grand quotidien du Nord de la France avant d'être embauché par un quotidien du soir à Paris. Comme je parle couramment quatre langues, j'ai été envoyé à l'étranger. Mais très rapidement j'ai commencé à en avoir  marre de me battre constamment avec un rédacteur en chef qui avait des idées préconçues sur des pays dans lesquels il n'avait même jamais mis les pieds.

En fait, j'ai quitté mon dernier employeur à cause de la Russie. En 93 j'avais été invité à faire des cours à la section française de la fac de journalisme de Moscou.

Je passe donc deux semaines à Moscou en donnant à peu près trois heures de cours par jour ce qui me laissait pas mal de temps libre. C'était l'époque des grands changements, l'ambiance était incroyable, tout semblait possible, il y avait une effervescence inimaginable, il fallait y être pour le croire. Le pays changeait complètement de système, de style de vie, et tout était à créer. C'était parfois un peu violent, mais je n'ai jamais ressenti de danger réel, comme ça m'est arrivé dans d'autres pays. Je n'avais pas du tout envie de partir à la fin de mes cours à la fac, et voilà que le poste de correspondant à Moscou se libère. Je le demande et, à ma grande surprise, le rédacteur en chef accepte tout de suite.

Ma joie n'a été que de courte durée, en fait, ça a été une galère permanente. Le journal avait une vision très négative du pays et la plupart des confrères à la rédaction n'étaient pas sortis de la guerre froide, surtout le rédacteur en chef. Moi, j'envoyais des papiers plutôt optimistes, présentant les choses comme je les voyais sur place. Inutile de dire qu'ils ne passaient pas ou qu'ils étaient abondamment corrigés, ce qui me rendait fou. Cela a duré presque quatre mois pendant lesquels je n'ai presque rien eu de publié. Là dessus, Paris envoie un journaliste pour couvrir un événement important, sans me prévenir. Quand je l'ai appris, j'ai donné ma démission qui a été immédiatement acceptée. Avec le recul, je suis persuadé que l'envoi du collègue parisien n'était qu'une provocation pour me pousser dehors.

J'ai donc décidé de continuer le métier comme journaliste indépendant. Maintenant, avec l'expérience, je sais quel genre de reportage je peux proposer à qui et je n'ai plus de problèmes. En plus comme j'écris aussi bien en français qu'en anglais ou en allemand, j'ai  un grand choix de journaux et de magazines.

Mon premier reportage d'indépendant s'est passé en Afrique. Un magazine anglais m'avait commandé un article sur le développement des forages off-shore en Afrique de l'Ouest. J'y ai passé trois mois. J'ai écrit deux longs articles, mais surtout, j'ai commencé à recueillir les éléments d'un dossier plus important.

Je n'ai pas eu le temps de le finir ni de le publier. Je me suis assez vite rendu-compte que j'étais surveillé, ma chambre a été fouillée à l'hôtel. Quelques personnages importants avaient eu vent de mon enquête et j'ai fini par être arrêté. On m'a questionné pendant trois jours et on m'a mis dehors du pays après, m'avoir confisqué toutes mes affaires et fait comprendre que si je publiais quoi que ce soit, je risquais de gros ennuis.

On a saisi mon ordinateur, mais j'avais pris mes précautions. Quand j'ai commencé à penser que j'étais suivi, j'ai copié toutes les infos sur une clé que je me suis envoyée ici, par la poste. Ceux qui me surveillaient n'ont pas bien fait leur boulot et j'ai eu de la chance que la lettre ne soit pas interceptée. J'ai tous les éléments et je ferai peut-être un long reportage un de ces jours que les Anglais ou les Allemands me prendront sans doute. En France ça m'étonnerait, cela gênerait un peu trop de gens importants. Mais, de toute façon, je dois encore attendre quelques années et le résultat, en attendant, c'est que je ne peux plus mettre les pieds dans au moins deux pays d'Afrique avant longtemps.

Mais le reste du monde est bien assez grand et il s'y passe, malheureusement beaucoup de choses dramatiques sur lesquelles je peux exercer mes talents.

Autant vous prévenir tout de suite, je suis "persona non grata" dans beaucoup de titres de la presse système en Europe et aux Etats Unis, qui n'apprécient pas mon point de vue parfois trop éloigné de la ligne que leur impose leur gouvernement. Je dois aussi avouer qu'il m'arrive de "romancer" un peu certains de mes reportages. Tout n'y est pas toujours réel, mais je suis convaincu que je suis plus près de la vérité que la presse système sus-mentionnée...

Bonne lecture !