mardi 30 juin 2015

Démocratie, vous avez dit démocratie ?


Ainsi donc, dans un juste retour de l’histoire, la Grèce serait-elle sur le point de nous donner une leçon de démocratie ? En tout cas, la crise de la zone euro survenue à l’occasion des difficultés grecques a mis en lumière une dérive tyrannique[1] désormais bien visible au sein de l’Union Européenne.
Il y a quelques année, Emmanuel Todd[2] expliquait comment la démocratie s’avérait être un système non stable et comment, elle avait tendance depuis la fin de l’Union Soviétique à s’affaiblir dans les pays dits « démocratiques » comme les pays européens ou les Etats-Unis alors qu’elle progressait dans les pays « non encore démocratiques ». Dans les pays démocratiques, on assiste au glissement vers un système oligarchique. Ce glissement que l’auteur présentait en 2002, s’est poursuivi pour produire aujourd’hui des régimes « pseudo démocratiques » dont l’Union Européenne est un exemple.
Les premiers signes étaient visibles depuis plusieurs années, que l’on pense, par exemple, au référendum de 2005 en France et en Hollande. Dans les deux cas, la majorité avait voté « non » au traité européen. Après quelques modifications purement formelles, et un changement de nom, le même traité a été adopté par des élus réunis en congrès et tenus par la discipline de parti. On s’est bien gardé, en France, de faire de nouveau appel à un référendum dont on connaissait le résultat d’avance. Mais il fallait faire passer le texte sans demander l’avis des citoyens qui, de toute façon « n’étaient plus capables de comprendre les enjeux ». On notera au passage que les deux derniers présidents français, Nicolas Sarkozi et François Hollande avaient fait campagne en 2005 pour le « oui ».
La Grèce aura donc été le grand révélateur de l’évolution oligarchique de l’Union Européenne. Peu après les élections qui avaient mené Alexis Tsipras au pouvoir, Jean-Claude Juncker déclarait qu’il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens, ce qui veut dire qu’une fois les traités négociés par des oligarques dont beaucoup ne sont pas élus, les peuples ne peuvent plus remettre en cause ces décisions prises sans eux. C’est exactement la logique qui sous-tend l’accord transatlantique, pour autant que l’on puisse en juger à partir des « fuites » organisées autour de ces négociations secrètes.
De la même façon, l’Union Européenne, menée par l’Allemagne, se refuse à toute déviation de la politique d’austérité que des oligarques allemands ont décidée pour défendre leurs intérêts économiques et financiers. L’Allemagne est sans doute un des pays qui profite le plus de l’Union Européenne. Cette dernière doit donc subsister coûte que coûte, surtout si cela coûte à des citoyens d’autres pays. Même les plus réalistes qui comprennent qu’une telle politique ne peut mener qu’à un rejet total de l’Union Européenne par les populations ont tendance à s’associer à cette politique en souhaitant que l’Union Européenne subsiste le plus longtemps possible.
Les mêmes nous disent qu’ils ne peuvent pas soutenir un pays de « paresseux », pour ne retenir que le moins désobligeant des qualificatifs que les médias et certains politiques allemands utilisent à propos de la Grèce. Si tant est que cela soit vrai, ce qui reste à prouver, le seraient-ils devenus justement en 2001[3] ?
La Grèce ne devait pas entrer dans la zone euro et devrait d’ailleurs en sortir. L’entrée a été voulue par les oligarques qui gouvernaient le pays et elle a été acceptée par les oligarques qui dirigent les autres pays de la zone et l’Union Européenne pour des raisons politiques et culturelles, tout en sachant que ce pays ne remplissait pas les critères d’admission.
Les critères de convergence n’étaient pas respectés, même avec des comptes présentés de façon malhonnête par un gouvernement grec conseillé par une grande banque d’affaires américaine. On ne me fera pas croire que l’Union Européenne n’était pas au courant de ces manipulations, alors que l’actuel président de la Banque Centrale Européenne est un ancien dirigeant de la banque en question, que le commissaire européen à la concurrence est aussi un proche de cette banque et que gestionnaire de la dette grecque est un ex-trader de la banque[4].
Toutes ces erreurs seront payées par le peuple grec car même les « aides » accordées cette année sont des prêts accordés à la Grèce qui ont servi essentiellement à rembourser les créanciers privés, essentiellement des banques, ce qui loin de diminuer la dette du pays l’a au contraire alourdie. Mais dans l’opération, un prêteur public a pris la place de prêteurs privés (les banques), suivant le principe néolibéral bien connu de la privatisation des profits et de la nationalisation des pertes.
Sur cette base désastreuse, la politique économique imposée par l’Union Européenne, le FMI et la Banque Mondiale a conduit le pays au désastre. Comme le soulignent un certain nombre d’économistes éminents dans une déclaration publiée récemment[5], « Ce désastre est dû au plan imposé par la troïka et dont l’échec est complet, puisqu’il a fait chuter notre PIB, entre 2008 et 2015, de 26 %. Aucun pays n’a jamais subi un désastre d’une telle ampleur en temps de paix : le chômage officiel touche 27 % de la population active, l’austérité excessive, idée fixe des dirigeants de l’UE et qui vise directement la stabilité de l’euro, a détruit l’économie et a plongé en même temps l’Europe tout entière dans une récession permanente et un équilibre de sous-emploi. La Grèce, c’est malheureux, est utilisée comme premier animal de laboratoire ».
Mais il n’est pas question de laisser la Grèce restructurer sa dette sans lui imposer, sous forme d’ultimatum, de nouveau, des épreuves qui seront évidemment subies par la population. Comme l’explique Alexis Tsipras dans sa déclaration du 27 juin, « Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême austérité ».
Depuis les élections législatives grecques, les oligarques européens ont cherché par tous les moyens, y compris les moins démocratiques, à faire rentrer dans le rang ces « irresponsables » qui veulent le bien être de leurs électeurs. La peur faisait partie de la panoplie, mais chacun a un certain niveau de tolérance à la souffrance et à la peur. Une majorité de la population grecque a dépassé ce niveau elle ne veut simplement plus avoir peur, comme on l’a vu lors de la manifestation de soutien au gouvernement qui a suivi l’annonce du référendum.
Quant au gouvernement grec, son premier ministre considère que : « Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et cette proposition a été adoptée à l’unanimité ».
A dimanche !


[1] Jacques Sapir parle de Tyrannus ab exercitio soit un pouvoir qui, quoi qu’issu de procédures légitimes, se conduit néanmoins en Tyran. http://russeurope.hypotheses.org/4019
[2] « Après l’empire - Essai sur la décomposition du système américain », Emmanuel Todd, éditions Gallimard, Paris 2002.
[3] La Grèce est entrée dans la zone euro en janvier 2001.
[4]http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/11/14/goldman-sachs-le-trait-d-union-entre-mario-draghi-mario-monti-et-lucas-papademos_1603675_3214.html
[5] http://russeurope.hypotheses.org/4031

jeudi 25 juin 2015

Espionnage, vous avez dit espionnage ?


Ainsi donc, nous « révèlent » « Médiapart » et « Libération » les Etats-Unis écoutent la France. Ils écoutent nos présidents depuis de nombreuses années, en fait, ils ont écouté Jacques Chirac, Nicolas Sarkozi et François Hollande. Quelle nouvelle !
Tout le monde sait que depuis bien plus longtemps, les Américains espionnent leurs adversaires comme ceux qui se croient leurs alliés. Le développement des moyens techniques a permis le développement de ces écoutes qui maintenant permettent le stockage d’une quantité d’informations qui dépasse l’entendement, on parle de « yotabites[1] », et dans laquelle on ne peut se retrouver qu’en utilisant des mots clés. Cela dit, quand on écoute un téléphone en particulier, on peut tout analyser.
Mais, à dire vrai, presque tous les pays écoutent tout le monde, la France n’est pas en reste. Au temps de la guerre froide on écoutait les pays du pacte de Varsovie, le grand ennemi. Mais on écoutait aussi ses amis. Il est particulièrement utile, dans une négociation internationale importante de connaître à l’avance la position de l’autre partie.
En résumé, tout le monde écoute tout le monde et tout le monde le sait. Alors pourquoi ces réactions ? Le président et le premier ministre, pour ne citer qu’eux, ont immédiatement empoigné le flambeau de la sécurité et de l’indépendance nationale. Le président a convoqué un Conseil de Défense à la suite duquel il a fait savoir que la France : "ne tolèrerait aucun agissement mettant en cause sa sécurité".
Le ministre des affaires étrangères, ce héros martial a « convoqué » l’ambassadrice des Etats-Unis en France, en voilà du courage ! A sa sortie du quai d’Orsay, Mme Hartley était très souriante. On imagine la terreur que la France et Laurent Fabius lui inspirent ! Pour faire bonne mesure, ce dernier s’est exprimé devant la presse invitée, fait exceptionnel, à cette occasion, reprenant la position exprimée plus tôt par François Hollande.
Que veut donc dire ce cirque ?
L’opération de communication, car ce n’est pas autre chose, a deux cibles. La première, et qui n’est pas en l’occurrence la plus importante, les Etats-Unis : le message est quelque chose comme : « Je peux supporter que vous me méprisiez, moi et le pays que je gouverne, à condition que cela ne se voie pas trop ». La deuxième cible est l’opinion intérieure. A elle on veut dire en substance : « Vous voyez comme je vous défend bien, je ne me laisse pas marcher sur les pieds, même par un pays aussi puissant. Les Etats-Unis ne font pas ce qu’ils veulent en France ».
Réponse de Barak Obama, « on a cessé depuis longtemps d’écouter votre président (donc vous reconnaissez l’avoir fait) et je promets de ne plus le faire ». A Paris, on fait semblant de le croire, trop fort ce président Hollande !
Quand au message à l’opinion publique française, outre le fait qu’il montre à quel point « nous sommes là pour le protéger », ce qui est plus facile, soit dit en passant, que de faire baisser le chômage, il permettra, le moment venu, de faire passer l’accord transatlantique que la Commission Européenne négocie en secret avec les Etats-Unis et qu’il faudra tout de même, enfin on l’espère, faire ratifier par l’Assemblée. « Nous acceptons ce traité, mais, souvenez-vous, nous savons être intraitables quand il le faut vraiment ».
Tout va bien, habitants de la France, dormez tranquille !


[1] Un yottabyte est égal à 1024 bytes. Il n’existe pas, pour l’instant, de mot pour désigner l’unité de rang supérieur.

samedi 20 juin 2015

Propagande, vous avez dit propagande ?


A l’heure où l’affrontement est-ouest s’est déplacé dans le domaine médiatique, les lignes ont tendance à se brouiller, même pour les observateurs avertis. Bien que regrettant que la concurrence ait trop tendance à déboucher sur l’affrontement, je me réjouis tout de même que le "poids des mots" puisse remplacer parfois le "choc des balles".
Cela dit, le mauvais usage des mots peut aussi faire des dégâts, tant il est vrai que "lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté[1]". Les exemples ne manquent pas de déni de démocratie y compris dans les pays qui ont le front de vouloir étendre ce système au monde entier.
Deux évènements dont j’ai été témoin cette fin de semaine m’ont amené à écrire ces lignes. Le premier s’est produit mercredi 17 juin. Je participais à la présentation, au sein d’une association, du livre de Guy Mettan, "Russie-Occident, une guerre de mille ans. La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne", excellent livre, au demeurant et dont je recommande la lecture, mais ce n’est pas le sujet. Ainsi donc l’auteur parlait des recherches qu’il a menées pendant un an sur le sujet. Il mentionnait la propagande médiatique anti russe des médias occidentaux, ce qui semblait agacer un spectateur assis derrière moi que je "sentais" s’agiter sur sa chaise et entendais marmonner.
Lorsque l’on est passé aux questions de la salle, mon voisin n’a pas demandé le micro, mais n’a pu s’empêcher de couper la parole de l’orateur pour dire, dans une réaction de timide énervé : « on ne parle pas de la propagande russe » ? Je ne sais pourquoi cette remarque m’est restée en mémoire alors que l’on trouve ce genre de réaction en boucle sur les principaux médias occidentaux. Quand on ne peut répondre aux arguments de son interlocuteur, on cherche à le diaboliser, la méthode est bien connue.
Le deuxième événement a été la conférence de presse du président russe, Vladimir Poutine au Forum de Saint-Pétersbourg vendredi après midi. Il a répondu pendant deux heures aux questions de Charlie Rose, présentateur de la chaîne américaine CBS[2], en direct, devant des centaines de représentants du monde international de la politique et des affaires, et les caméras de télévision.
Le premier événement m’est alors revenu en mémoire et je me suis demandé : où est la propagande quand le président russe accepte de répondre en direct aux question d’un journaliste américain ?


[1] Confucius
[2] Vous imaginez Barak Obama répondant pendant deux heures, en direct, aux questions de Dimitri Kisselev ?

jeudi 18 juin 2015

La Russie n’a jamais appartenu au G7


D’abord G5, puis rapidement G6 avant de devenir G7, le groupe mettra vingt deux ans pour devenir G8. Encore seize ans et le voilà à nouveau G7. Est-ce le début d’une tendance ? La baisse va-t-elle se poursuivre et si oui, où s’arrêtera-t-elle ?
Le groupe qui avant 1975 réunissait de façon informelle cinq pays, l’Allemagne, les Etats-Unis, la France, le Japon et le Royaume Uni, est passé à six cette année là avec l’arrivée de l’Italie puis à sept avec le Canada en 1976. En 1998, le G7 accueillait la Russie, une Russie affaiblie par sept ans d’une transition mal maitrisée par des dirigeants sans expérience de ce processus, conseillés par des étrangers sans beaucoup plus de compréhension de la situation, quand ils n’étaient pas rêveurs ou de mauvaise foi.

Lorsque Boris Eltsine participe pour la première fois à une réunion en tant que membre, ce n’est toutefois pas sa première intervention au G7 et avant lui, Mikhaïl Gorbachev était également intervenu, en marge du sommet, en 1991. Il venait chercher une aide financière et repartit les mains vides. A chaque fois, la Russie n’était pas apparue comme un partenaire potentiel, mais comme un quémandeur d’aide. La démarche ne faisait pas l’unanimité en Russie non plus et Vladimir Girinovski, par exemple, se plaignait qu’un dirigeant de la Russie « demande la permission d’assister au sommet dans le couloir ».

Il y avait des voix à l’intérieur du groupe qui soutenaient l’entrée de la Russie comme, par exemple, celle de Jacques Attali, le président de la BERD ou celle de l’Allemagne, mais elle était combattue par le Japon. Elle s’est donc faite progressivement, le pays n’étant tout d’abord associé qu’au volet politique des sommets à Naples en 1994 et à  Halifax en 1995. Pour beaucoup de pays à ce moment, l’entrée de la Russie était vue comme une nouvelle possibilité de contrôler l’économie du pays et ce n’est pas un hasard si un des plus chauds partisans de cette entrée était l’Allemagne, détentrice en 1992 de près de la moitié de la dette extérieure russe.

Ainsi, du 15 au 17 mai 1998, le sommet de Birmingham voyait la Russie rejoindre le groupe qui devenait le G8. Mais cette entrée n’était encore que partielle, il y avait des volets de la discussion auxquels elle ne participait pas et on attendait d’elle qu’elle s’intègre progressivement au système économique mondial. Le sommet de 2002 au Canada verra une plus grande intégration, au moins au niveau politique en raison du début de la guerre généralisée contre le terrorisme, mais, là encore, des soupçons subsisteront sur la capacité de la Russie à participer à la lutte anti terroriste dans le domaine financier. On décidera toutefois que le pays prendra désormais son tour dans la présidence tournante et accueillera le sommet de 2006, à Saint-Pétersbourg. Logiquement, ce tour devait revenir huit ans après, en 2014 et le sommet était programmé pour Sochi. Le coup d’état d’Ukraine et ses suites devaient en décider autrement.

L’Ukraine était en réalité une excuse, une occasion de se débarrasser d’un partenaire dont la voix dissonante devenait de moins en moins supportable à mesure que diminuait la confiance d’un certain nombre de membres dans les incommensurables bienfaits du néo libéralisme. C’est un phénomène psychologique bien connu, plus on se sent sûr de soi et plus on est prêt à accepter les critiques. Quand cette confiance en soi diminue, les critiques sont rapidement prises pour des mises en causes qui ne font qu’augmenter le malaise né de la baisse de confiance. On cherche alors, dans tout groupe à exclure celui qui a le front de ne pas adhérer à la « pensée de groupe » en vigueur.

Et dès le début des années 2000, la Russie faisait entendre une voix progressivement de plus en plus indépendante, non consensuelle à mesure que s’affirmait sa confiance en une nouvelle voie politique.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, le consensus. On se réunit une fois par an, entre gens de bonne compagnie et il faut que tout le monde soit d’accord. D’accord avec qui ? En voilà une question, tout le monde le sait bien, avec le « pays indispensable », et comme entre gens de bonne compagnie la contradiction n’a pas sa place, on n’invite plus ceux qui n’ont pas compris cette règle du jeu implicite.

Depuis plusieurs années, les Etats-Unis se sont confortablement installés dans un déni de réalité qui a grandi progressivement pour atteindre maintenant des sommets. Ils vivent dans un monde virtuel « proudly made in America » et un mépris total de la réalité. Dans cette "réalité" américaine, on affirme, et point n’est besoin de prouver ce que l’on avance car on crée la vérité en parlant. Il est vrai que la dernière fois qu’ils se sont laissés aller à essayer de prouver ce qu’ils avançaient, les résultats n’ont pas été vraiment probants. Vous vous souvenez des fioles de poudre blanche de Colin Powell à l’ONU ?

Dans ce monde virtuel, on ne peu tolérer de voix discordantes car ces voix sont comme des cris qui ne manqueront pas de réveiller le somnambule et chacun sait comme il est dangereux de réveiller un somnambule ! On n’accepte plus à sa table que des interlocuteurs qui ne poseront pas les questions qui fâchent, celles qui réveillent.

Depuis 1998, la Russie était une voix discordante dans ces réunions. On tolérait cette voix tout le temps que le pays était faible ou considéré comme tel. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, donc elle agace. Si on la laissait faire elle nous empêcherait de vivre dans notre « réalité améliorée ». Qu’elle s’en aille et même si en faisant cela on la pousse vers des organisations qui représentent plus de la moitié de la population mondiale, dans notre monde à nous, elle est désespérément isolée. D’ailleurs, dans la conférence de presse finale du dernier sommet en Allemagne, Barak Obama a accusé la Russie d’isolationnisme ! Etonnant, non ?

Le bassin atlantique est en pleine dépression. Il semble aller se répétant : « Le monde a changé, il change toujours, mais nous ne voulons pas le savoir. L’ancien monde était si confortable, on ne nous forcera pas à en changer ». Sahra Wagenknecht, députée au Bundestag et membre du parti "Die Linke", parle à propos de la dernière réunion du G7 de « cour de récréation de l’asile de fous ».

Pendant ce temps, la Russie s’engage dans sa propre voie, une sorte de voie médiane entre communisme et libéralisme. N’oublions pas que le pays a goûté des deux systèmes entre 1917 et 2000. Que cette voie déplaise à certains, à l’étranger, est parfaitement légitime, après tout, les institutions russes ont été construites dans une culture particulière et si on appartient à une autre culture, tout cela peut paraître étrange ou incompréhensible. On peut ne pas souhaiter que le système russe soit appliqué dans son propre pays, là aussi la réaction n’est pas seulement légitime, elle est logique. Mais de quel droit pourrait-on reprocher à un peuple de vouloir vivre selon sa culture, selon ses valeurs, dans les limites des frontières de son pays ?

Les réactions de l’occident vis à vis de la Russie sont passées d’une certaine tolérance à une opposition violente non seulement à mesure que le pays se rétablissait et retrouvait de son importance passée, mais aussi à mesure que les populations occidentales commençaient à douter du système qui leur était imposé, et il est tout à fait significatif que parallèlement à la montée de l’opposition des dirigeants européens vis à vis de la Russie, la démocratie ait été de plus en plus souvent remise en cause dans ces pays mêmes qui songent toujours à l’imposer au monde.

Le Russie a fait un choix de société qui n’est pas celui des pays occidentaux, elle a choisi de remettre l’homme au centre du système quand les pays de G7 continuent à garder l’œil fixé sur des indices économiques qui n’ont plus rien à voir avec le bien-être des populations. Elle n’a donc plus sa place au sein de ce groupe.

Après avoir cherché son chemin dans les pas des Etats-Unis puis de l’Europe et comprenant que ces chemins menaient à des impasses, la Russie de Vladimir Poutine a choisi une troisième voie. Il est intéressant de noter que c’est précisément la prise de conscience de l’impasse dans laquelle l’occident semblait s’engager qui a, d’un côté, poussée la Russie dans cette direction et a, de l'autre, rendu cette décision insupportable aux membres de ce même groupe.

La Russie n’a jamais fait partie du G8 et elle ne pourra jamais y trouver sa place, car elle a pris un autre chemin. A-t-elle raison de le faire, l’avenir nous le dira, mais les autres membres du groupe ont trop peur de l’avenir pour accepter les voix dissidentes en leur sein. C’est pourquoi Moscou observe de loin et avec un intérêt somme toute assez limité les discussions à propos de son éventuel retour. Comme pour les sanctions, la participation de la Russie au G7 est devenu le problème de l’Occident. Ce n’est plus celui de la Russie.

Et du côté du G7, donc, l’avenir ne semble pas très assuré. Le dernier sommet a pris une tournure nouvelle, le G7 s’étant transformé en G6+1 pour certains, ou pour d’autres, dont je suis, plutôt en G5+2. Le changement est visible jusque sur certaines photos qui montrent Barak Obama et Angela Merkel face à face, ou côte à côte marchant en avant du reste du groupe.

On y retrouve la nouvelle configuration du monde occidental. En tête les Etats-Unis toujours aussi persuadés que c’est leur destinée de diriger le monde et de montrer à chacun où se trouvent le bien et le mal, de régler les différents sur la base du droit américain même lorsque tous les éléments du litige se trouvent hors des Etats-Unis. Parallèlement à cela, l’Allemagne qui depuis quelques temps a pris conscience et accepté son rôle de première puissance européenne joue sa partition de premier violon.

Une fois encore, la position de la Russie a servi de révélateur des évolutions. Lorsque l’Allemagne a abandonné son attitude conciliante vis à vis de la Russie en 2013/14, beaucoup se sont dit qu’elle le faisait sous la pression américaine, ce que j’ai moi-même pensé (et écrit ici) en me demandant quels pouvaient être les arguments américains pour provoquer un tel changement. En vérité, j’avais comme tout le monde les éléments sous les yeux, mais je ne les avais pas arrangés comme il fallait.

C’est la désormais célèbre photo de Barak Obama et Angela Merkel face à face pendant une pause champêtre du dernier sommet qui m’a permis de mettre tout cela en place. L’Allemagne a vraiment intégré une position qui l’intimidait peut-être un peu jusque là, ou qu’elle craignait de montrer trop tôt avant qu’elle ne juge son emprise définitive, celle de maître de l’Europe. Après ce déclic, tout s’est mis en place. Le comportement allemand en Europe, l’austérité imposée et qui ne profite qu’à l’Allemagne, ses prises de position dans la crise grecque et les qualificatifs peu amènes dont certains politiques allemands ont affublé les Grecs, et le tournant dans la politique vis à vis de la Russie.

Même les dirigeants économiques allemands qui jusque là avaient su faire entendre leur voix et peser sur la politique de leur pays vis à vis de la Russie qui est tout de même un marché essentiel pour eux, même eux donc, ont été réduits au silence, pour un temps au moins. C’est que, non contente de prendre le pouvoir en Europe, Angel Merkel a réussit un coup de maître en étendant son emprise en Europe de l’Est en douceur et sous couvert de l’extension de l’Union Européenne. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la coopération américano allemande sur le dossier Ukraine et vis à vis de la Russie.

Comment les dirigeants français ont-ils pu se laisser entrainer dans le piège reste cependant une énigme pour moi dans la mesure où je rejette, pour le moment, l’explication facile d’une incompétence rare, ou de la peur. Une peur qui viendrait d’où, d’ailleurs. Cela dit, nous sommes gouvernés par un homme qui a construit sa carrière politique sur la fabrication de compromis à l’intérieur de son parti, compromis dont le seul intérêt apparent était avant tout de sauver l'unité du parti et le poste de son président…

Pour ce qui est des intérêts de la France, de son indépendance qui par le passé a servi non seulement la France mais une partie du monde, il faudra attendre encore !

mercredi 3 juin 2015

Où allez-vous Mme Merkel ?


Le 21 octobre 2014 je posais la question : “Où allons-nous Mme. Merkel ?” Le ton de cet article n’a évidemment rien à voir avec le fait qu’elle ne m’ait pas répondu. Je lui en veux d’autant moins qu’elle ne connaît peut-être pas la réponse.
Le monde occidental est très hiérarchisé et les chefs « exceptionnels » ne donnent à leurs exécutants que le minimum d’informations dont ils ont besoin pour remplir leur mission. Car à l’évidence, Mme Merkel, comme ses collègues européens, est en service commandé.
Me refusant à mettre en doute son fonctionnement intellectuel, je ne peux qu’en venir à cette conclusion quand je lis dans un quotidien allemand qu’elle aurait dit que : « la réunification de la Crimée avec la Russie, l'activité de l'EI, la propagation des infections et le changement climatique (en) font partie » des dangers  qui menacent la communauté international. N’oublions toutefois pas, au passage, que dans la langue occidentale, « communauté international » désigne les bassin atlantique.
A-t-elle bien compris les instruction ? J’ai eu un léger doute en réalisant qui était responsable de la plupart de ces dangers.
La réunification de la Crimée avec la Russie ? C’est le résultat du coup d’état orchestré par les Etats-Unis et leurs supplétifs européens. On notera que tout s’est passé suivant la volonté de la population[1] et sans qu’un coup de feu ne soit tiré[2]. Voilà un danger dont je m’accommoderais, s’il n’était transformé en prétexte par les Occidentaux.
L’activité de l’EI ? Mais qui a créé les conditions de son développement, qui a participé à l’armement et au financement de l’EI ? Suivez mon regard, il va vers l’Ouest, pas vers l’Est.
Pour le changement climatique, on ne peut pas dire que les Etats-Unis soient en pointe sur le sujet. D’ailleurs, en Amérique du Nord, les Etats-Unis ont signé le protocole de Kyoto, mais n’ont pas ratifié l’accord, alors que le Canada, lui n’a même pas signé.
Reste la propagation des infections. Je ne crois pas que la chancelière pensait à l’épidémie qui a frappé les dirigeants américains et dont les symptômes principaux sont un ralentissement de l’activité intellectuelle qui empêche d’avoir une vue d’ensemble des problèmes, pour certains des malades un comportement schizophrénique, et une très forte allergie à tout ce qui vient de Russie.
Mais peut-être n’était-ce pas ce que Mme. Merkel sous-entendait. Etant donné le peu de sens de l’humour de M. Obama sur ce sujet, je pencherais pour cette option. Mais alors où va-t-on ? Chacun sait que la Russie n’acceptera jamais un retour du la Crimée dans le giron ukrainien. Poser cela comme condition ne peut-il pas vouloir dire que l’on n’attend rien de futures négociations après avoir fait une croix sur Minsk II ? Ceci est d’autant plus inquiétant si on considère les déclarations de M. Steinmeier à propos de la liste noire du Kremlin : « À un moment où nous nous efforçons de désamorcer un conflit âpre et dangereux au cœur de l’Europe, cela n’aide pas ». Voir mon commentaire dans le billet précédent.


[1] Si vous en doutez, allez donc voir l’article de « Forbes » à l’adresse : http://www.forbes.com/sites/kenrapoza/2015/03/20/one-year-after-russia-annexed-crimea-locals-prefer-moscow-to-kiev/
[2] A comparer avec les 78 jours de bombardement de la Yougoslavie pendant la guerre qui a mené à l’indépendance du Kosovo.