Quand “faire quelque
chose” veut dire “faire quelque chose militairement”, on se prépare à des
échecs et des retours de flamme. C’est le manque d’imagination de nos
dirigeants qui pose problème.
Plutôt que d’imaginer des
solutions, une attitude que l’on a semble-t-il oubliée, on réagit « à
chaud », de façon émotionnelle et donc sans réflexion. Un dirigeant a des
émotions, c’est d’ailleurs souhaitable, mais il doit être capable de les
dépasser avant de prendre des décisions aussi importantes que de mener une
guerre. Cela ne semble plus être le cas. J’y vois une conséquence, oserais-je dire
une victoire, du terrorisme. Les hommes politiques et les médias en sont
responsables et nous en sommes complices.
Une réaction « à
chaud » est une réaction qui n’a pas été évaluée correctement. Ce n’est
pas forcément une réaction mauvaise à court terme. Mais justement, elle
représente une vue à court terme, une vue qui ne cherche pas à évaluer
calmement les conséquences au delà de ce « court terme ». On peut
tolérer ce type de réaction d’un individu ordinaire.
Mais diriger, c’est
réfléchir, c’est prévoir, c’est faire preuve d’imagination. Diriger, ce n’est
pas faire comme tout le monde, ce n’est pas imiter ses voisins, c’est être
capable d’imagination. C’est aussi être capable d’analyser le passé pour en
tirer des enseignements. Un président, des ministres, des députés, des
sénateurs sont des personnes qui ont cherché à obtenir le pouvoir, ce pouvoir
qu’ils semblent maintenant ne plus vouloir exercer. Ce pouvoir que nous leur
avons donné à eux, malheureusement parfois, faute de mieux.
Si je prends le cas
français, le manque d’imagination des dirigeants se traduit par des
déclarations du genre « on devrait faire comme en Allemagne », ou
« ça marche bien au Danemark, pourquoi ne pas essayer chez nous ».
Parce que la France n’est ni l’Allemagne, ni le Danemark et les Français ne
sont ni des Allemands ni des Danois.
Dans le domaine des
interventions à l’étranger, le modèle favori des dirigeants politiques français
aujourd’hui, c’est l’Amérique. Où est le temps où l’on moquait volontiers le
manque de subtilité américain ? Peu importe que les Etats-Unis n’aient
connu que des échecs et des défaites, dans leurs interventions, depuis le
Vietnam en particulier, en Afghanistan en 2001 et en Iraq en 2003, sans parler
du Yémen, de la Somalie ou de la Lybie.
En 1991, les Etats-Unis
ont perdu leur adversaire idéologique et se sont retrouvés seule puissance
globale. Une situation qu’ils n’avaient d’ailleurs pas prévue et à laquelle ils
mettront plusieurs années à s’habituer. Le virage de la superpuissance a été
pris au début des années 2000 quand les « néo-conservateurs » on pris
le pouvoir à Washington. Les théories de domination totale ont alors vu le
jour.
Les Etats-Unis étaient
tout puissants, les gardiens de la démocratie mondiale à qui il restait
seulement quelques états de « l’axe du mal » à faire rentrer dans le « droit
chemin ». Jamais dans l’histoire du monde un pays n’avait tenu ce type de
position, assise, de plus, sur une puissance militaire inégalée.
Pourtant, malgré cette
puissance considérable, depuis le début du siècle, aucune intervention
militaire n’a fonctionné. Pas un seul état, fut-il petit, mal équipé, faible,
impopulaire n’a été défait. Pas un groupe terroriste n’a été éliminé, pas un
seul. Et pourtant, la France (elle n’est pas la seule, bien sur) a décidé de
suivre le nouveau « maître du monde » malgré ses résultats peu
convainquants. Je n’ai pas entendu un membre du gouvernement mettre en doute le
bien fondé de la méthode forte. On continue à appliquer toujours les mêmes
méthodes en espérant à chaque fois obtenir un résultat différent. Une forme de
folie.
Et plus le temps passe,
plus cette folie semble toucher de monde. On nous dit que les Etats-Unis sont
au plus haut de leur puissance. Certains dont j’ai fait partie un moment,
voient plutôt un immense empire militaire en train de se désintégrer sous le
poids de son impuissance et plus le temps passe, plus cette désintégration que
personne ne veut encore admettre, pousse à des comportements de moins en moins
raisonnables, de plus en plus psychotiques et donc de plus en plus dangereux (Philippe Grasset décrit très bien cette situation dans
les nombreux articles sur le sujet de son site www.dedefensa.org). Dans son allocution télévisée annonçant la reprise des bombardements en
Irak le président américain a expliqué que cette nouvelle guerre durerait
plusieurs années. Selon certains de mes confrères américains, des « sources
bien informées parlant sous condition d’anonymité » (vous connaissez la
formule consacrée) parlaient de 36 mois au minimum. Ainsi donc, loin de sortir
les Etats-Unis d’Irak, comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale,
il va « léguer » ce conflit à son successeur (Alfred Nobel doit se
retourner dans sa tombe). Et la France suit, merci M. le président…
Il y a cependant
une autre analyse possible de ce comportement américain qui m’a longtemps
semblé incohérent. Elle a été proposée en 2003 par M. Jacques Sapir, à une
époque où les médias ont préféré gloser sur l’opposition franco-germano-russe à
l’intervention en Irak. Dans un article publié par la « Revue internationale et stratégique », il y
expose ce qu’il appelle « l’isolationnisme
interventionniste providentialiste américain ». Il s’agit d’un
glissement de la vision impériale qui dominait jusqu’à la fin du XXe siècle,
vers un isolationnisme qui ne cherche plus à organiser le monde, mais à
détruire toutes les sources de danger pour le continent américain. J’ai abordé
l’aspect « providentiel » dans un autre article.
Cette approche me semble
mieux expliquer l’attitude des dirigeants américains qu’il s’agisse évidemment
de M. Georges W Bush mais aussi, quoi qu’il s’en défende, de M. Barak Obama.
Elle ne fait plus la part belle à une irrationalité et une courte vue qui, bien
qu’elle séduise une frange importante de la population française, ne peut être
imputée à des dirigeants de ce niveau et à leurs conseillers.
Mais si cela rassure mon
sens de la logique, c’est bien le seul aspect rassurant que j’y trouve.
Ainsi on s’en prend à
l’Ukraine de façon cynique parce que l’on veut détruire le lien entre la Russie
et l’Europe et, si possible provoquer un changement de régime en Russie. Peu
importe le nombre d’Ukrainiens qui le paieront de leur vie. Peu importe la
situation économique de l’Ukraine. Au contraire, plus la situation économique
de ce pays est désespérée, moins il y aura de candidats à faire alliance avec
lui, et même si on n’atteint pas le but initial en Russie (et il est fort
probable que l’on n’y arrive pas) on aura évité une alliance entre la Russie et
l’Ukraine qui aurait fait de l’Union Eurasiatique un danger pour les Etats-Unis.
Peu importe que la Russie n’ait plus aucun désir d’envahir ses voisins et de
reformer l’ex-empire soviétique, il suffit de s’en convaincre et de convaincre
la population américaine, car comme le dit Aaron David Miller dans un article de Foreign Policy daté du 23 septembre
: « Nous sommes très bons à nous faire une peur du diable et à agir
ensuite sur cette base. Nous avons fait cela depuis les débuts de la
république… »
De même, les Etats-Unis
soutiennent, arment et financent des mouvements terroristes dans le monde,
pourvu qu’à un instant donné ils servent les intérêts américains. Peu importe
qu’à terme on se retrouve face à ces armes que l’on a distribuées. On l’a vu en
Afghanistan où les Etats-Unis ont armé les Talibans qui luttaient contre
l’Union Soviétique, avant de se retrouver face à ces mêmes Talibans. ISIS a été
considéré comme un allié acceptable contre M. Assad en Syrie jusqu’à ce qu’il
commence à s’étendre en Irak avec le succès que l’on sait.
L’échec en Irak est
patent. Malgré des dépenses ahurissantes, 25 milliards de dollars pour
entraîner une armée irakienne dont on a vu les performances récemment, 60
milliards pour une reconstruction qui n’a pas eu lieu et 2.000 milliards pour
la guerre, sans compter les milliers de morts, il semble qu’il faille tout
recommencer. Cette fois, on ne mettra pas de troupes au sol, promis juré. Mais
il y a trois ans, les Etats-Unis avaient soit disant laissé derrière eux en
Irak un pays stabilisé (discours de M. Obama).
Le ministre des affaires
étrangères français explique que les combats au sol doivent être menés par
« les populations locales »(journal de 20H, A2, dimanche 28 septembre
2014). Mais quelles populations ? Les Irakiens, on a vu leur armée. Les
Kurdes ? Les médias européens ne tarissent pas d’éloge pour les
« Peshmergas » kurdes. Mais qu’en pense la Turquie voisine qui ne
veut pas entendre parler d’un état kurde ?
La France, nous dit-on ne
va bombarder que le territoire irakien, mais pas la Syrie. Notre ministre
d’expliquer qu’en Syrie, nous avons une autre action. Nous soutenons
l’opposition modérée. Mais que savons-nous de cette opposition modérée. En quoi
est-elle modérée ? Bien souvent l’opposition modérée n’est qu’une
opposition soutenue par les Etats-Unis et qui deviendra à terme un groupe
terroriste quand il commencera à s’opposer à celui qui l’a nourri. Et le cycle
recommencera. Pour le moment, la seule opposition modérée en Syrie est
constituée de jihadistes comme Jabhat al-Nusra, Ahrar al-Sham et le Front
Islamique. Leur sectarisme violent n’est pas très différent de celui de l’ISIS.
Je ne suis pas
systématiquement contre une intervention militaire. Il y a des moments où elle
se justifie. Mais j’aime que l’on m’explique, avant de se lancer, pourquoi
cette intervention est légitime. Et attention à la manipulation médiatique.
Quand un responsable m’explique qu’il faut « y aller » parce qu’en
face de nous nous avons des « barbares », tout ministre qu’il soit,
je me dis que tout pays attaquant désire justifier moralement son intervention et
il aura donc une forte tendance à diaboliser son adversaire. Ceci n’est pas une
motivation raisonnable.
L’alternative à ne rien
faire n’est pas agir militairement. Il y a d’autres solutions, comme des solutions
politiques que l’on peut mettre en œuvre grâce à des efforts diplomatiques. Au
lieu de me parler de bombardements, même s’il sont, peut-être, un des éléments
de la réponse appropriée, j’aimerais que l’on essaie de m’expliquer comment
barrer la route au sectarisme en Irak.
Au lieu d’une coalition
militaire, j’aimerais entendre parler d’une coalition diplomatique pour faire
pression sur qui de droit. Cela éviterait, en passant, de donner des armes à
des alliés de circonstance qui, ensuite, retourneront ces armes contre nous.
Pourquoi ne pas relancer
les négociations sur la situation complexe en Syrie. Au lieu de livrer des
armes à une soit disant « opposition modérée », pourquoi ne pas
envisager un embargo sur les armes pour toutes les parties au conflit.
Les Etats-Unis se
lancent, comme à leur habitude, dans une opération militaire qu’ils ne peuvent
pas gagner militairement. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en tireront pas un
profit stratégique. Mais c’est un profit pour les Etats-Unis uniquement, pas
pour ses alliés qui de toute façon ne sont que des éléments d’un décor qu’il
faut morceler au maximum pour empêcher la naissance d’une force capable de
porter la violence sur le territoire américain.
Leur position, aussi
cynique qu’elle soit n’est pas dépourvue d’un épouvantable logique. Mais ou est
l’intérêt de la France dans tout cela ? Le président Hollande a reçu la
mission sacrée de protéger la France et le peuple français. On ne badine pas
avec de tels enjeux qui dépassent largement ces mensonges de campagne oubliés
aussitôt que prononcés. La France était déjà engagée sur trois fronts, était-il
besoin d’en ajouter un autre. Etait-il besoin pour le plaisir de jouer le rôle
de je ne sais quel « matamore » de mettre la France en tête des
listes de pays menacés par le terrorisme ? On ne parle plus là de déficits
à contenir, on parle de la vie des Français.
Je laisserai le dernier
mot à un général américain (eh oui…), le Général Butler qui observait, c’est
une citation reprise d’un article de Noam Chomski au mois d’août :
« C’est un miracle que nous ayons échappé à la destruction jusqu’à
maintenant, mais plus on tente le sort, moins on peut compter sur intervention
divine pour prolonger ce miracle ».