mercredi 21 décembre 2016

Le piratage du serveur du parti Démocrate


Quelle valeur attribuer aux preuves ? En principe, l’absence de preuves de ce que l’on avance est la marque d’une information erronée, partielle ou partiale. Mais tout n’est pas si simple. Si une source a lancé un certain nombre de nouvelles ou d’accusations sans preuves, elle finit par être enfermée dans ce comportement. Si après un certain nombre d’accusations sans preuves elle donne une preuve de ce qu’elle annonce maintenant, cette preuve devient de facto une invitation à mettre en doute tout ce qu’elle a annoncé auparavant.
D’autre part, certains éléments de preuve peuvent représenter un danger pour la sécurité nationale. Il est donc très difficile de se faire une religion sur la prétendue (ou réelle) attaque du serveur du parti démocrate par la Russie.
La « Harvard Gazette » a interviewé l’ancien général Kevin Ryan sur ce sujet. Actuellement à la retraite il est le directeur des projets de défense et de renseignement au Centre Belfer à la Harvard Kennedy School, où il analyse les relations de sécurité entre les États-Unis et la Russie, les renseignements militaires et les capacités de défense antimissile. Le général Kevin Ryan a été dans sa carrière attaché de défense à l’ambassade des Etats-Unis en Russie et directeur régional principal pour les États slaves au bureau du secrétaire à la Défense.
Pour lui, un piratage ne serait pas une menace à la sécurité nationale américaine, « …parce que cela ne vient même pas menacer de près ou de loin l’existence des États-Unis. » Le serveur piraté n’était pas un serveur de l’administration. Mais, le général Ryan ajoute immédiatement après : « L’idée que les gouvernements étrangers voudraient soutenir des candidats amis pendant une élection est ancienne. C’est aussi vieux que l’histoire. Et les États-Unis eux-mêmes ouvertement, et avec certaines ressources, soutiennent les candidats dans certains pays qui, selon eux, seraient bénéfiques aux intérêts et aux objectifs des États-Unis dans le monde. Donc, qu’un pays comme la Russie tente de s’immiscer dans notre processus électoral n’est pas inconnu. Je n’essaie pas de faire valoir que c’est correct, ou que c’est équivalent à ce que nous avons fait, par exemple, pour aider les candidats et les partis en Ukraine et en Géorgie avec les « révolutions de couleur ».
Quant à imaginer que Donald Trump puisse être une « marionnette de la Russie », le général Ryan n’y croit pas un seul instant : « Tout d’abord, Trump n’est pas manipulé par le FSB russe ou le SVR [services de sécurité]; Il n’est pas le « candidat manchou ». Il prend clairement ses propres décisions et ne répond à aucune orientation ou directive du président Poutine, sans parler de la plupart des gens aux États-Unis. »
Enfin, en ce qui concerne d’éventuelles preuves d’un piratage russe, le général Ryan précise : « Il est important de noter que c’est plus qu’une simple possibilité, mais c’est moins qu’une certitude – je pense que c’est cela qu’ils veulent dire. Cela signifie, par exemple, que le directeur de l’intelligence nationale James R. Clapper croit que le gouvernement russe a dirigé le processus de compromission des courriels afin d’influencer ou d’interférer avec le processus électoral. (…) Je suppose que nous n’obtiendrons pas les preuves directes… »
D’autres, comme Paul Craig Roberts fait remarquer que si la Russie était impliquée, cela voudrait dire que plusieurs centaines de personnes seraient au courant du côté russe et il s’étonne que personne n’ait parlé.
Dans un article daté du 12 décembre, le « New York Times » explique que Vladimir Poutine a « posé le pouce sur un plateau de la balance pour faire élire le candidat le plus pro-russe ».
La CIA est certaine que les hackers qui ont piraté le site du parti démocrate et les mails du directeur de la campagne d’Hillary Clinton non seulement sont russes, mais ont reçu leurs ordres directement du président russe. Le FBI, de son côté est moins affirmatif, parlant simplement de « preuves circonstancielles », c’est à dire de celles qui ne tiennent pas devant un tribunal. Il est vrai que le FBI doit tenir compte dans ses enquêtes de la réaction des juges, un problème auquel la CIA ne doit, le plus souvent, pas faire face.

Elu avec un déficit de près de trois millions de voix populaires


Pour comprendre comment un président américain peut être élu avec une minorité de voix, il faut se souvenir que l’élection n’a pas été conçue en 1789 comme une élection nationale, mais comme une élection état par état. Chacun des états américains vote pour un candidat en désignant des grands électeurs qui voteront pour le candidat pour lequel ils ont été désignés. Le nombre de grands électeurs par état est calculé en fonction de sa population.
Dans 48 des 50 états, le candidat qui obtient le plus de votes populaires emporte la totalité des grands électeurs de l’état. Ainsi, qu’un candidat gagne avec mille voix ou un million de voix d’avance dans un état, le résultat est le même. D’autre part, certains états votent traditionnellement « républicain » ou « démocrate » depuis de nombreux scrutins. La plus grande partie de l’avantage de Hillary Clinton sur Donald Trump dans le décompte des voix populaires a été gagnée en Californie et dans l’état de New York, deux états qui, de toute façon sont des « états démocrates » et très peuplés.
Mais le système a été élaboré précisément pour éviter que le choix du président fédéral soit le fait uniquement des états les plus peuplés.
Il existe 13 états dans lesquels chaque élection est indécise (les « swing state ») et dans ces états, Donald Trump a reçu 48,3% des voix alors que Hillary Clinton recevait 46,6%. C’est là qu’il a « fait la différence ».

lundi 12 décembre 2016

La Russie centre du monde ?


Un professeur de Sciences Po aime commencer son cours par cette phrase : « La Russie est le trou noir du monde ». En lisant la presse américaine et la presse européenne qui n’en est souvent qu’une traduction, on pourrait penser, au contraire, que la Russie est devenu le centre du monde.
Elle a pris la main au Moyen Orient où elle est sur le point de redresser la situation de la Syrie, empêchant par là même Daech de prendre Damas comme cela aurait été le cas si le génial ministre des affaires étrangères français avait eu gain de cause en ce qui concerne le président syrien. Elle est devenu le seul pays capable de parler avec tous les protagonistes du drame qui se joue là-bas.
Elle a largement participé à l’accord des pays producteurs de pétrole qui ont accepté de réduire leur production pour soutenir les cours.
Elle met en place un réseau de distribution de gaz[1] qui assurera l’approvisionnement de l’Europe sans être soumis aux caprices ukrainiens.
Voilà pour le concret, et la liste n’est pas exhaustive.
Passons maintenant dans le domaine de l’imaginaire, le domaine du « récit convenu » en provenance principalement des Etats-Unis.
Selon ce « récit convenu », les chaînes d’information russes inondent l’occident de leur propagande et ont fait perdre aux populations le sens du réel, du vrai. Comme chacun sait, l’information des uns est la propagande des autres. Les dirigeants occidentaux qui depuis des dizaines d’années s’ingénient à étendre un voile opaque sur leurs activités sont effectivement très contrariées que quelqu’un ait le front de venir exposer publiquement ce qu’ils cherchent à cacher.
Quelle audace ! Depuis plus de soixante ans, l’Union Européenne, le projet supra national de Jean Monnet et de son équipe, est construite patiemment dans une grande opacité[2] pour aboutir à ce monstre administratif qui se croit maintenant assez fort pour braver la démocratie, et la souveraineté des états, comme en Grèce. Souvenez-vous de ce que disait Jean-Claude Junker : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Les populations européennes supportent de moins en moins la férule de Bruxelles et le disent dans des référendums, mais c’est « la Russie de Poutine » qui est la cause de cette réaction en raison de la « propagande » de la chaîne de télévision RT et de l’agence d’informations Spoutnik.
Horreur, la main de Vladimir Poutine est derrière la décision du peuple britannique de sortir de l’Union Européenne.
Les Etats-Unis votent en novembre pour élire un nouveau président. Le vainqueur n’est pas le favori des responsables politiques américains, des dirigeants européens et des médias, donc le vote a été faussé. Qui est coupable ? « La Russie de Poutine » évidemment. Le peuple a mal voté comme en Grande Bretagne. Ici ce n’est pas la « propagande » des médias russes qui est responsable, mais l’intervention directe de hackers qui ne peuvent être que russes. Dans un article daté du 12 décembre, le « New York Times » explique que Vladimir Poutine a « posé le pouce sur un plateau de la balance pour faire élire le candidat le plus pro-russe ».
La CIA est certaine que les hackers qui ont piraté le site du parti démocrate et les mails du directeur de la campagne d’Hillary Clinton non seulement sont russes, mais ont reçu leurs ordres directement du président russe. Le FBI, de son côté est moins affirmatif, parlant simplement de « preuves circonstancielles », c’est à dire de celles qui ne tiennent pas devant un tribunal. Il est vrai que le FBI doit tenir compte dans ses enquêtes de la réaction des juges, un problème auquel la CIA ne doit, le plus souvent, pas faire face.
Le grand cirque américain de l’intrusion russe dans les élections américaines a commencé pendant la campagne électorale, un moment où la réflexion est à son niveau le plus bas et où tout argument est bon s’il affaiblit la position de l’adversaire. Ce sont les Démocrates qui ont « invité » la Russie dans la campagne car ils pensaient que cela affaiblirait Donald Trump qu’ils présentaient comme une marionnette de Vladimir Poutine. Argument surprenant, mais encore une fois, dans le feu de l’action on réfléchit moins que d’habitude, si tant est que d’habitude on réfléchisse vraiment.
Mais l’élection est terminée, les Etats-Unis ont un président. Qu’il plaise ou non à « l’establishment », il n’en est pas moins le président. On nous dit que le système électoral compliqué est la raison de la défaite de Madame Clinton qui pourtant avait la majorité des voix de la population. Sans doute, mais le système électoral est en place depuis 1789. Donald Trump n’est pas le premier président élu avec une minorité des voix de la population.
Il serait donc temps de réfléchir aux arguments que l’on utilise pour essayer de décrédibiliser le président élu. Je n’ai évidemment pas d’informations confidentielles me permettant d’opter pour une version ou une autre aussi me contenterai-je de considérer des hypothèses et de me poser des questions.
Quel intérêt la Russie aurait-elle eu à favoriser Donald Trump ? Il a, bien sûr, annoncé son intention de discuter avec la Russie. Mais il a aussi expliqué qu’il voulait le faire à partir d’une position de force et a annoncé une augmentation du budget de la défense. Il a annoncé qu’il voulait cesser d’intervenir militairement dans des pays qui ne menacent pas directement les Etats-Unis. On pense tout de suite au Moyen Orient, mais la Russie a déjà pris la main dans cette région. De plus, le président américain n’est pas tout puissant dans son pays. Les Russes comme le reste du monde savent bien comment le Département de la Défense et les différentes agences de sécurité ont contrecarré les initiatives de Barack Obama en politique étrangère. Et puis Donald Trump était, il est toujours, d’ailleurs, une quantité largement imprévisible, alors qu’Hillary Clinton est bien connue des autorités russes qui ont eu affaire à elle pendant de nombreuses années.
Pour beaucoup d’hommes politiques russes à qui j’ai pu parler, un interlocuteur difficile mais prévisible et professionnel est largement préférable à un interlocuteur imprévisible même s’il peut paraître à première vue plus favorable.
Ces arguments, j’en conviens peuvent ne pas paraître convainquants à certains. Passons donc aux faits concrets. On nous explique que des hackers ont attaqué des systèmes informatiques aux Etats-Unis. Je doute que cela soit une première. Je pense plutôt que dans la plupart des pays, des pirates informatiques attaquent à longueur d’année de nombreuses cibles, dans un but d’espionnage politique, diplomatique ou économique.
Des hackers russes auraient donc réussi à pirater des systèmes informatiques américains ? Ceux-ci ne sont-ils donc pas protégés ? Le piratage a duré dans le temps bien après les premières annonces. Les Etats-Unis ne seraient-t-ils donc pas capables de défendre leurs réseaux ? Comment alors ont-ils pu mettre en place le système de surveillance généralisée dont nous ont parlé Edward Snowden et d’autres « lanceurs d’alertes » ? Les Russes auraient-ils pris le dessus dans ce domaine-là aussi ?
Il est vrai qu’ils font très peur. C’est d’Allemagne que nous viennent maintenant des manifestations d’inquiétude. Les hackers russes, après le « Brexit » et l’élection de Donald Trump  vont-ils perturber les prochaines élections allemandes ?
Tout ceci semble bien difficile à croire. Mais le déchaînement de haine est tel, dans certains camps[3] que beaucoup de politiques et de journalistes sont malheureusement descendus au niveau zéro de la réflexion politique.


[1] Deuxième gazoduc sous la Baltique, nouveau gazoduc vers la Turquie sous la Mer Noire.
[2] Voir l’excellent livre de Christopher Booker et Richard North publié chez « l’Artilleur » avec une préface de Jacques Sapir
[3] Cf. les déclarations du sénateur John McCain qui traite Vladimir Poutine de « voyou » et « d’assassin ».