dimanche 19 juillet 2015

Peut-on faire confiance à l'Allemagne ?


Depuis le milieu de la semaine dernière, la presse système, sans parler des bloggeurs, s’emplit d’articles dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas tendres avec l’Allemagne, sa chancelière et son ministre des finances. L’accord inique imposé à la Grèce semble avoir délié les langues, alors que le comportement de Berlin dans les négociations n’est que la confirmation d’une attitude observée depuis maintenant plusieurs années.
On se demande ici et là en Europe en général et en France en particulier si on peut faire confiance à l’Allemagne, bien qu’il soit déjà un peu tard pour y réfléchir. Si l’on considère la question du point de vue des différences culturelles entre la France et l’Allemagne, on ne peut pas ne pas penser qu’il est parfaitement légitime de s’interroger en France, tout en remarquant que les Allemands ont déjà leur réponse, tout aussi légitime : ils pensent que l’on ne peut pas faire confiance aux Français.
Mais revenons tout d’abord un peu en arrière dans l’exposé des faits.
Le 31 octobre 2011, Georges Papandréou alors premier ministre grec annonçait un référendum sur les nouvelles (déjà) mesures d’austérité, provoquant, au sein de l’eurozone, un tollé tel qu’il renonçait à cette idée deux jours plus tard. Il avait cependant lancé une série de réactions en chaîne qui devait aboutir à sa démission. Pour le remplacer, Berlin et Bruxelles parvenaient à imposer Lucas Papademos, un ancien vice président de la Banque Centrale Européenne, (BCE), un europhile pur et dur, sous le gouvernement duquel, Bruxelles imposait déjà sa politique mortifère d’austérité. On connaît aujourd’hui les résultats de ce type de politique.
Une opération du même type, à la même période, aboutissait au remplacement, en Italie, de Silvio Berlusconi par Mario Monti, un autre technocrate comme on les aime à Bruxelles et à Berlin. Ceci amenait Simon Heffer à écrire le 8 novembre 2011 dans le “Daily Mail” : “ Dans le passé, il aurait fallu une invasion militaire pour renverser le gouvernement d’un pays européen. Aujourd’hui on peut faire cela en utilisant simplement la pression économique ».
De son côté, Nigel Farage qui n’est connu ni pour son europhilie compulsive ni pour un usage incontrôlé de la « langue de bois » déclarait au Parlement Européen : « Nous vivons maintenant dans une Europe dominée par l’Allemagne, quelque chose que le projet européen était justement supposé éviter, quelque chose contre lequel d’autres avant nous ont versé leur sang. Je ne veux pas vivre dans une Europe allemande ».
Aujourd’hui, après la signature de ce que Jacques Sapir, sur son blog[1], qualifie de « diktat » les analyses de cette nature sont plus nombreuses.
James K. Galbraith, dans un article publié le 16 juillet 2015, par « Harper’s Magazine », utilisait le même mot de « diktat » avant de constater « en un mot, la Grèce n’est plus un état indépendant ». Plus loin dans ce même article il citait Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des finances qu’il connaît bien et qui évoquait les négociations en ces termes : «  (…) Le manque complet de démocratie de la part des défenseurs supposés de la démocratie européenne (…) voir des personnages très importants vous regarder dans les yeux et dire vous aviez raison dans ce que vous disiez mais qu’ils allaient tout de même vous écraser[2] ».
Pour l’Irlandais Finian Cunningham, contributeur régulier de la presse internationale, « le fait que quelques heures après le référendum Alexis Tsipras demande à Yanis Varoufakis de démissionner au motif que Allemagne et d’autres créditeurs intransigeants ne voulaient plus de lui à la table de négociation est, en soi, une extraordinaire capitulation face au diktat anti-démocratique de Berlin et des banquier à sa botte ».
Pour Jacques Sapir plus mesuré dans ses propos mais outré par ce qui s’est passé, « les conditions dans lesquelles les termes de ce véritable diktat ont été imposés a fait exploser la prétention de l’Union européenne d’être un espace de coopération et de solidarité, dénué de conflits. La zone Euro s’est révélée n’être qu’un instrument de domination voulu par l’Allemagne avec l’acquiescement de la France. L’Allemagne va d’ailleurs très vite comprendre le prix politique réel de son apparente victoire. Elle a fait disparaître en quelques jours tout le capital de sympathie relative, et en tous cas de respectabilité, qu’elle avait acquis en plusieurs dizaines d’années ».
Nous mentionnions en commençant, les différences culturelles entre la France et l’Allemagne. C’est dans cet ordre d’idée que le journaliste américain Ethan Corey remarquait dans un article du 17 juillet 2015 paru dans le magazine « The Nation » que le comportement des responsables allemands et français correspondait de près à leur opinion publique, ce que nous traduirons par « correspond évidemment à leur culture nationale ».
Ce que reprend Emmanuel Todd[3] dans une interview publiée initialement par le quotidien belge « Le Soir » et reprise le lendemain par « Harper’s Magazine » et dans laquelle il explique à propos des positions relatives de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Europe du Nord » et « l’Europe du Sud » : « Ce qui ressort, ce n’est donc pas du tout une opposition gauche-droite, c’est une opposition culturelle aussi ancienne que l’Europe. Je suis sûr que si le fantôme de Fernand Braudel (grand historien français : 1902-1985) ressortait de la tombe, il dirait que nous voyons de nouveau apparaître les limites de l’Empire romain. Les pays vraiment influencés par l’universalisme romain sont instinctivement du côté d’une Europe raisonnable, c’est-à-dire d’une Europe dont la sensibilité n’est pas autoritaire et masochiste, qui a compris que les plans d’austérité sont autodestructeurs, suicidaires. Et puis en face, il y a une Europe plutôt centrée sur le monde luthérien – commun aux deux tiers de l’Allemagne, à deux pays baltes sur trois, aux pays scandinaves – en y rajoutant le satellite polonais – la Pologne est catholique mais n’a jamais appartenu à l’empire romain. C’est donc quelque chose d’extraordinairement profond qui ressort ».
Les ressorts culturels de cette opposition sont le rapport à la loi et la notion de liberté, deux éléments culturels forts et très différents dans les cultures allemande et française. La liberté, dans la culture allemande est la capacité de l’individu de participer à l’élaboration de lois et de règlements qui ensuite s’appliqueront à tous sans exception. La liberté, dans la culture française est, pour reprendre l’expression de Philippe d’Iribarne[4], « celle de l’homme qui, ayant fait librement allégeance à un pouvoir qui incarne ce qui est grand, voit celui-ci respecter les privilèges coutumiers de son état », tout en gardant la possibilité de changer de suzerain si celui qu’il a reconnu s’avère indigne de lui.
Il s’agit là de conceptions profondément ancrées dans les cultures et à ce titre, parfaitement légitimes… dans leur pays respectifs. Le problème surgit, comme d’habitude, lorsqu’il s’agit de faire cohabiter les membres de deux cultures différentes.
Il existe pour chacun une vision de la position de l’autre marquée par son propre à-priori culturel. Ainsi, les Français « tendront à regarder comme servitude la soumission à la communauté qu’accepte, ou même qu’exalte la vision allemande de la liberté[5] », alors que les Allemands retiendront « du brillant qui caractérise la manière française d’être libre une soumission au regard social, à la mode, aux apparences[6] ».
Mais plus encore que cela, ce qui sépare irrémédiablement les cultures allemande et française, au delà de la notion de liberté est le rapport à la loi. Pour la culture allemande, après la période de négociation, une fois la loi ou le règlement promulgués, il s’applique dans toute sa force à tous les membres de la communauté. En revanche, en France, et nous citons de nouveau Philippe d’Iribarne « Lorsque les règles et les procédures ont été dûment mises en place, chacun en prend et en laisse en fonction de son appréciation personnelle, sans se sentir vraiment lié par ce qui est écrit. Il existe un écart considérable entre l'« officiel » et l’« officieux », écart dont les intéressés ne font pas mystère, bien qu'ils en parlent parfois avec une certaine gêne[7] ».
Si, dans ce domaine, vous regardez la culture allemande du point de vue français, vous trouvez les gens « bornés » incapables de s’adapter aux situations changeantes, donc imprévisibles, donc indignes de confiance. Si, en revanche, vous regardez la culture française du point de vue allemand, le fait que l’on puisse choisir quelle partie de la loi on va appliquer à un instant donné en fonction des circonstances et à l’appréciation de chacun, les français sont « tricheurs », imprévisibles et donc, indignes de confiance.
Comme l’explique Robin Boblett, le directeur de l’organisme de recherche londonien « Chatham House », « l’Allemagne a toujours rêvé d’une eurozone à l’image de l’Allemagne Fédérale où la solidarité est basée sur le respect des règles », comment accorder cela avec une vision « française » (ne parlons pas d'une vision « grecque ou italienne ») ?
Et nous n’avons touché qu’à une dimension culturelle. Les cultures sont des constructions extrêmement complexes qui ont des implications dans tous les secteurs des comportements humains et dont les individus n’ont en général pas conscience. Comme l’explique Friedrich von Hayek[8], dans son livre « Droit, législation et liberté » paru en 1983 : « La culture n’est ni naturelle, ni artificielle, elle n’est ni transmise génétiquement, ni rationnellement élaborée. Elle est transmission de règles apprises de conduite, qui n’ont jamais été inventées et dont la fonction reste habituellement incomprise des individus qui agissent. Il est surement aussi justifié de parler de sagesse de la culture que de sagesse de la nature ». Ces règles dont les psycho sociologue nous disent qu’elles sont apprises par chaque membre du groupe entre la naissance et l’âge de sept ans ont permis de « soumettre les instincts animaux héréditaires aux habitudes non rationnelles qui permirent de constituer des groupes vivants de façon ordonnée et de dimensions graduellement croissantes[9] ».
Voilà pourquoi, à notre avis, une Union Européenne totalement intégrée comme certains cherchent à nous la « vendre » est du domaine de l’utopie, et il faudrait lui substituer une Europe des nations dans laquelle chacun vit chez soi dans les règles élaborées par sa propre culture tout en apprenant à déchiffrer les comportement des membres des autres nations afin de comprendre leurs comportements et d'accorder leurs visions. Et oublions le plus vite possible une zone euro qui fut, certes, un beau rêve mais dont l’échec est maintenant patent.


[3] Anthropologue, donc spécialiste des cultures, et démographe français
[4] Philippe d’Iribarne, directeur de recherches au CNRS, a publié notamment, « La Logique de l’Honneur » (Seuil), « Cultures et Mondialisation » (en collaboration, Seuil) et « L’Etrangeté Française » (Seuil).
[5] Philippe d’Iribarne, in « L’Etrangeté Française » Editions du Seuil, Paris 2006
[6] ibid.
[7] Philippe d’Iribarne, in « La Logique de l’Honneur » Editions du Seuil.
[8] Friedrich von Hayek, philosophe et économiste britannique d’origine autrichienne et prix Nobel d’économie en 1974.
[9] « Droit , législation et liberté », Friedrich von Hayek, Presses Universitaires de France, 1983.

mardi 14 juillet 2015

La fin de l’Europe


Je pense, comme beaucoup de mes confrères que ce à quoi nous venons d’assister est le début de la fin de l’Europe, en tout cas de cette Europe que les technocrates bruxellois ont cherché à mettre en place ces dernières années.
Cette Europe ne pouvait subsister longtemps. Elle existe encore à cause (ou grâce) à divers subterfuges inventés par des politiques démissionnaires qui, à un moment donné, ont trouvé commode de se décharger d’une part importante de leurs responsabilités devant leur apparente incapacité à faire vivre leur pays dans le paradigme néolibéral que veut leur imposer la puissance dominante du moment.
Ce transfert de responsabilité voulu par les nouveaux maîtres du monde a été possible parce que les deux parties y trouvaient leur intérêt. D’une part, les politiques pouvaient se cacher derrière les règles communes afin de s’exonérer auprès de leurs électeurs de la responsabilité de l’échec de leurs politiques. De l’autre des technocrates royalement rémunérés ne voyaient pas d’inconvénients à endosser ces responsabilités puisqu’ils n’ont pas de compte à rendre à un quelconque électorat et que cela ne faisait que renforcer leur pouvoir, donc assurer la pérennité de leur position.
Ce faisant, la démocratie était étranglée par des dirigeants de fait qui n’étaient pas comptables des reculs démocratiques que leur politique imposait, tandis que ceux qui en sont normalement comptable pouvaient rejeter la responsabilité sur d’autres.
Si seulement les technocrates savaient comment gérer ce bateau ivre qu’est devenu l’Europe et assurer aux populations un minimum de qualité de vie, ce système aurait pu persister, tant il est vrai que dans une ambiance de bien être minimum, il est difficile aux idéalistes de tous bords de susciter des mouvements de protestation.
Au départ, le scénario semblait bien réglé. Construire une Europe qui canalisera les énergies de chacun de ses membres, sans pour autant accéder à une puissance économique qui en fasse un rival dangereux pour les Etats-Unis. Pour cela il fallait pousser à un élargissement continu et mal maitrisé qui empêchait tout progrès réel dans le domaine de l’intégration afin de garder l’ensemble à un niveau économique non inquiétant. La stratégie a parfaitement fonctionné. Dans ce cas de figure de regroupement d’états dans une entité unique, il faut à tout moment choisir entre l’élargissement et l’approfondissement des liens. Les Brics l’on bien compris qui, pour le moment, refusent d’accueillir de nouveaux membres.
De son côté, l’Europe a poursuivi une course folle à l’élargissement qui n’a fait que l’affaiblir, ce qui, nous venons de le dire, était le but recherché. Les pressions sont peut-être allées un peu trop loin quand les Etats-Unis ont poussé à l’intégration de la Turquie dans l’Europe. C’était le pas de trop, mais qui n’a pas pour autant déclenché de prise de conscience dans les opinions publiques européennes.
De toute façon, cette intégration de la Turquie n’était pas nécessaire à l’accomplissement du dessein concernant le contrôle de la puissance de l’Europe. Une nouvelle composante venait jouer ce rôle : la monnaie unique. Cette monnaie unique mal pensée, mal organisée et mal gérée portait en elle, dès sa mise en place les germes qui allaient plonger l’Europe dans une maladie incurable dont nous voyons aujourd’hui les effets s’aggraver.
Car, pour faire bonne mesure, il fallait non seulement imposer ce carcan qui en quelques années a plongé l’ensemble de l’Europe dans l’austérité, mais y faire entrer au moins un germe supplémentaire qui assurerait l’affaiblissement définitif du malade. Ce germe a été, pour son malheur, la Grèce, qui est à l’origine, à son corps défendant, d’une aggravation de l’état du malade qui pourrait causer sa perte. La Grèce n’aurait jamais du entrer dans la zone euro, beaucoup l’on dit avant moi et ce, pour certains, dès 2001. Elle ne remplissait pas les critères d’admission et ses comptes publics ont été falsifiés par les oligarques au pouvoir à Athènes, à l’époque, avec l’aide d’une grande banque d’affaires américaine. La décision était politique et les prétextes données à l’époque cachaient cette volonté d’affaiblir la construction européenne.
Une sortie de la Grèce de la zone euro était dangereuse pour l’oligarchie au pouvoir car elle ouvrait la voie de la sortie à d’autres pays qui souffrent particulièrement du carcan de l’euro. D’autre part, il est possible voir probable qu’après une période particulièrement difficile le pays s’en sorte mieux une fois hors de l’euro. Quel déplorable exemple cela serait pour les pays qui y seraient encore. Il fallait donc tout faire pour empêcher Alexis Tsipras de tenir ses promesses électorales et de donner une chance à la Grèce. Et tout a effectivement été fait.
Guerre médiatique avant et pendant les négociations, prises de positions publiques de dirigeants européens. A ce propos, on notera que Mme. Merkel a fait preuve d’indépendance vis à vis des Etats-Unis en évoquant une sortie possible de la Grèce de la zone euro alors que Washington faisait, on le comprend, campagne pour un compromis qui maintienne le pays dans la zone. François Hollande, lui, en bon petit soldat atlantiste, a suivi dès le début la ligne des Etats-Unis. Cela dit, il s’agissait peut-être simplement, du côté d’Angela Merkel de lâcher un peu de lest face aux réactions de la classe politique allemande de plus en plus opposée à un maintient de l’aide à la Grèce.
Jean-Claude Junker, fidèle à lui même et à son mépris de la démocratie recevait à Bruxelles, malgré les résultats du référendum grec, ou peut-être à cause d’eux, d’ailleurs, des représentants de l’opposition grecque, les anciens dirigeants qui avaient mis leur pays dans ce pétrin et sont toujours prêts à tout faire pour l’y maintenir.
Puis vinrent ces « négociations marathon » de près de dix sept heures, le Grèce seule devant les représentants des autres état membres de la zone euro prêts à tout pour la faire plier. Au matin, telle la chèvre de Monsieur Seguin[1], et selon l’expression de Jacques Sapir sur son blog, « ce lundi 13 juillet, le Premier-ministre grec, M. Alexis Tsipras, a fini par capituler. Il a capitulé sous les pressions insensées de l’Allemagne, mais aussi de la France, de la Commission européenne et de l’Euro groupe ».
Jacques Sapir poursuit en expliquant qu’à son avis, « Cet accord est un accord détestable, et pour plusieurs raisons. Il l’est dans le domaine économique. Il saigne à nouveau l’économie grecque sans lui offrir la nécessaire et réelle bouffée d’oxygène dont elle avait besoin. (…) Cet accord est aussi détestable dans le domaine financier. Il engage donc le Mécanisme Européen de Stabilité, ou MES. Mais, cet engagement sera appelé à grandir régulièrement. L’économie grecque va, en effet, continuer à s’enfoncer dans la dépression[2]. »
Pour mon confrère Pepe Escobar, l’Allemagne a sauvé l’euro en humiliant la Grèce. Je partage la deuxième partie de sa phrase tout en émettant de sérieux doute sur la première. Il ne s’agit pas d’un sauvetage et en tout cas le résultat ne eut être que temporaire.
Paul Krugman, lui, sur son blog du New York Times, titre à propos du résultat des négociations de l’Euro groupe : « Killing the European project[3] ».
Quant aux Suisses de le Tribune de Genève qui ne sont pourtant pas réputés pour leurs excès dans le domaine émotionnel, ils titrent « La Grèce reste dans l’euro, un pistolet sur la tempe[4] ».
Nous ne sommes sans doute pas en train d’assister, espérons le au moins, à la fin de l’Europe, mais plutôt au début de la fin d’une certaine idée de l’Europe, cette Europe anti démocratique que les fonctionnaires de Bruxelles essayent depuis de nombreuses années de nous imposer. Il faut maintenant tout faire pour accélérer ce processus afin de pouvoir, sur les ruines des erreurs passées, construire cette nouvelle Europe que beaucoup appellent de leurs vœux, une Europe des nations, libre de toute ingérence étrangère, qui ne se confonde plus avec l’Otan, une Europe de la coopération démocratique construite autour de ce qui rassemble le nations et leurs populations et non pas contre tel ou tel adversaire, contre tel ou tel danger réel ou hypothétique.

jeudi 9 juillet 2015

Le réel et le virtuel


J’ai eu récemment une conversation avec un collègue américain au cours d’un colloque sur les relations entre la Russie et l’Otan. J’aimerais préciser, car la suite pourrait en faire douter, que ce collègue était parfaitement sobre.
Nous parlions de la position des médias occidentaux, et en particulier américains, et de la descriptions qu’ils donnent de ce qui se passe actuellement dans l’est de l’Europe et en Ukraine. J’expliquais que ces positions me semblaient appartenir plus à un monde virtuel qu’au monde réel, ce qui m’attira le commentaire surprenant suivant : « Si vous vous souciez encore de la réalité, c’est que vous faites partie du monde des perdants, des faibles, des esclaves. Les forts ne s’en soucient plus, parce que la réalité, c’est eux qui la créent ».
Cela ressemble à première vue à une boutade. Mais la personnalité de mon interlocuteur et le sérieux avec lequel il a énoncé ce qui semblait être, pour lui, une évidence ne me permettaient pas de considérer son propos comme une boutade. Il était, en réalité, profondément convaincu de ce qu’il disait. Si on arrive à se convaincre que l’on dispose d’une puissance quasiment sans limites, même la réalité ne peut plus être acceptée comme telle en ce qu’elle limiterait la puissance. La réalité doit obligatoirement correspondre à ses désirs et la limite entre le réel et le virtuel a tendance à disparaître progressivement.
Il n’y a donc pas de duplicité, et on ne peut parler d’hypocrisie dans la mesure où dans l’esprit de votre interlocuteur la limite a disparu. Mais c’est particulièrement inquiétant car il n’y a pas non plus d’entente possible. On ne se comprend pas parce que l’on ne peut plus se parler et on ne peut plus se parler parce que chacun vit dans son monde dont il est persuadé qu’il s’agit bien du seul monde « réel ».
Les exemples ne manquent pas que l’on doit maintenant observer différemment. Si un membre du G8 a un comportement non conforme, on ne cherche pas à lui parler, à le convaincre, on ne cherche pas à réévaluer sa propre position, on l’exclut.
Même chose pour les réactions des dirigeants de l’Union Européenne vis à vis de la Grèce. Même chose encore pour l’OSCE, supposée assurer une position d’observateur neutre de la situation en Ukraine et qui vient de voter à Helsinki une motion proposée par une des parties au conflit.
On croit rêver disais-je souvent. En ce moment, j’aimerais être en train de rêver car tout ceci est très inquiétant.

vendredi 3 juillet 2015

Technocrates, vous avez dit technocrates ?


Décidément, la crise grecque, quelle que soit son issue aura eu au moins l’avantage de clarifier les points de vue. Après le « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens » de Jean-Claude Junker, l’obstination d’Angela Merkel dans la politique mortifère d’austérité, voilà le président du parlement européen, Martin Schulz qui appelle de ses vœux un "gouvernement de technocrates" pour en finir avec "l'ère Syriza".
Car, voyez-vous, la population est devenue incapable de comprendre ce qui est bon pour elle et elle ne pense qu’à son bien-être. Il faut donc que ceux qui savent, les personnes intelligentes et éduquées prennent les rênes. On pourrait imaginer que la responsabilité de ces personnes soit d’expliquer ce qui est bon afin que la démocratie puisse jouer son rôle. A quoi bon cette perte de temps, de toute façon, l’économie est devenue tellement compliquée, autant imposer les solutions sans chercher à les expliquer, c’est autant de temps gagné.
J’admets volontiers que l’économie est quelque chose de compliqué. Il n’y a qu’à voir les résultats obtenus dans le monde par ces « brillants esprits » : dépressions, récessions, plans de sauvetage, austérité, chômage, des efforts, toujours des efforts et toujours pour les mêmes, des inégalités toujours grandissantes.
Un humoriste disait un jour, « il faut prendre l’argent des pauvres pour le donner aux riches, comme cela il n’y aura bientôt plus de pauvres, il n’y aura que des riches et tout le monde sera heureux » ! Les néo cons n’ont pas compris que c’était de l’humour, c’est sans doute pour ça qu’on les appelle comme cela.
Martin Schultz n’est pas seul à penser que des « technocrates » peuvent seuls sauver la situation quand tout va mal. Souvenez-vous de l’Italie en 2011/2012. Mario Monti a été désigné premier ministre en remplacement de Silvio Berlusconi. Une année de gouvernement de ce « billant technocrate », ancien consultant de Goldman Sachs a, évidemment, permis de renforcer la confiance de la finance internationale en l’Italie et à faire baisser les taux d’intérêts payés par le pays, c’était quand même la moindre des choses avec un tel curriculum vitae.
Mais pendant cette année, le PIB italien a baissé de 2,4%, principalement en raison de sa politique de rigueur et le déficit est passé de 1,7% à 2,6% du PIB en raison même de cette récession. Quant au chômage, il est passé de 8,6% à 11,1% de fin 2011 à fin 2012.
Pour le Larousse, un technocrate est « un homme, une femme politique ou un haut fonctionnaire qui fait prévaloir les données techniques ou économiques sur les facteurs humains ». L’idée que seules ces personnes puissent gouverner un pays, ou gouverner l’Union Européenne est effrayante quand on pense qu’ils gouvernent justement, des êtres humains. En plus et c’est bien le pire, ils le font, pour la plupart, en toute bonne conscience puisque, comme l’expliquait Emmanuel Todd en 2002 déjà : « Les éduqués supérieurs, après un temps d’hésitation et de fausse conscience, finissent par se croire réellement supérieurs[1] ».



[1] Emmanuel Todd in, « Après l’Empire », éditions Gallimard, Paris 2002