mercredi 22 avril 2015

Guerre Froide, guerre non terminée !


Les médias occidentaux posent souvent la question : sommes nous revenus au temps de la Guerre Froide ? Au delà de la facilité de langage qui séduit les paresseux, le concept même de guerre froide s’applique-t-il à la situation actuelle de tension entre les Etats-Unis et la Russie ?
Si l’on considère que la guerre froide n’était qu’une confrontation entre deux idéologies à vocation planétaire, la réponse est non. L’une des deux idéologies a disparu et elle a été remplacée en Russie par un système qui n’est ni le communisme, ni le libéralisme, et qui ne cherche pas à s’étendre. La Russie ne veut pas reconstruire un empire, elle le dit par la voix de son président et de ses politiques et le fait que l’Occident ait fait le choix de ne pas le croire ne transforme pas ces déclarations en mensonges.
Cela dit, il s’agit effectivement d’un système différent et au moment où surgissent des doutes sérieux sur l’efficacité et la légitimité du système libéral, les gens peut sûrs d’eux-mêmes ont du mal à accepter les différences. Ils se sentent menacés et donc deviennent agressifs.
La fin de la Guerre Froide a été annoncée à plusieurs reprises, mais elle a eu lieu dans des conditions qui manquent de clarté et c’est ce manque de clarté qui laisse penser qu’il n’y eut pas réellement fin. Essayons d’analyser les évènements pour mieux comprendre la situation actuelle.
L’erreur fondamentale, semble-t-il, a été de confondre la fin de la Guerre Froide avec la fin du communisme. Ce sont en fait deux évènements différents bien qu’ils soient tous deux la conséquence d’une seule et même politique lancée par Mikhaïl Gorbachev. Un seul homme, ou presque, a provoqué un changement radical du monde en cette fin de vingtième siècle.
Né le 2 mars 1931 dans la région de Stavropol, dans le sud du pays, entre la Mer Caspienne et la Mer Noir, Mikhaïl Gorbachev ne faisait pas partie de la « couche sociale intermédiaire[1] » comme le mentionne Andrei Grachev[2].
Il fait des études de droit à l’Université de Moscou (МГУ) où il devient chef du bureau du Komsomol[3] de l’Université avant d’être admis au parti communiste en 1952. C’est là qu’il rencontre celle qui va devenir son épouse, Raïssa, une brillante étudiante en philosophie.
De retour à Stavropol, Mikhaïl Gorbachev y gravira les échelons de l’administration locale jusqu’au poste de premier secrétaire du comité régional du Komsomol, en 1961. Puis, deux ans plus tard, il était à la tête du comité chargé des problèmes d’organisation du comité régional du parti communiste. En 1968, à trente sept ans, il devenait deuxième secrétaire du comité régional du parti.
Sa progression dans la direction du parti de la région de Stavropol lui permit de nouer des relations haut placées à Moscou, dans des conditions moins formelles qu’il n’aurait pu le faire dans la capitale. En effet, près de Stavropol se trouve la station thermale de Mineralnye Vody ou les dirigeants âgés aimaient venir se soigner. Stavropol était une sorte d’étape sur la route de la station.
C’est ainsi que, par exemple, Mikhaïl Gorbachev fit la connaissance de Iouri Andropov en 1969. Le chef du KGB se prit de sympathie pour le jeune dirigeant local et il protègera sa carrière jusqu’à sa mort. C’est en grande partie à lui que Mikhaïl Gorbachev devra sa progression au plus haut niveau de la hiérarchie à Moscou[4].
En avril 1970, il devenait secrétaire général du comité régional du parti communiste de la région de Stavropol, le plus jeune dirigeant de région de l’Union Soviétique.
Huit ans plus tard, il était nommé à Moscou comme secrétaire du comité central du parti. Il était, de nouveau, le plus jeune occupant de ce poste.
Mikhaïl Gorbachev est nommé secrétaire général du parti communiste d’Union soviétique à un moment où les dirigeants ont conscience que le système est sur le point de se bloquer complètement. D’autre part, le pays sort d’une série de funérailles nationales qui a sérieusement entamé son moral. Leonid Brejnev a été remplacé par deux secrétaires généraux qui ont tenu leur poste à peine un an chacun, soit trois enterrements en à peu près trois ans.
Ces deux éléments ont pesé dans la décision de choisir un « jeune » secrétaire. Mikhaïl Gorbachev a moins de 55 ans. Son arrivée provoque immédiatement un espoir extrêmement fort dans l’ensemble de la population. Le lancement de la « glaznost » encourage cet espoir et les stades se remplissent de jeunes qui scandent « peremen ! » (changement).
Mikhaïl Gorbachev lance aussi la « perestroïka », réforme économique qui autorise la propriété privée dans certaines conditions et aboutira en novembre 1986 à la loi sur les activités de travail individuel et à la création de sociétés privées.
La personnalité du nouveau secrétaire général et les premières annonces vont être à l’origine d’un immense espoir dans une population fatiguée d’entendre de vieux dirigeants répéter sans fin les mêmes discours auxquels plus personne ne croit, pas même ceux qui les prononcent. Les attentes de la population sont si fortes qu’elles en peuvent qu’être déçues.
En revanche, dans le domaine de la politique internationale, la vision avant-gardiste du nouveau maître du Kremlin fera des merveilles. Convaincu que l’énergie employée à entretenir la guerre froide pourrait être réorientée utilement vers les réformes intérieures et que la dissuasion nucléaire faisait courir un grand risque à l’ensemble de l’humanité, Mikhaïl Gorbachev lance alors des initiatives visant à provoquer une réelle détente dans les relations entre les deux blocs. A-t-il conscience à ce moment qu’il est en train de préparer la fin de l’Union Soviétique ? Certainement pas, car ce n’est pas son objectif. Il veut réorganiser et moderniser le système existant, pas le remplacer.
Pourtant, il s’agit d’un tournant stratégique de première importance. Il ne peut qu’être motivé par une nouvelle vision du monde en contradiction avec celle des dirigeants soviétiques qui l’ont précédé. Elle est d’ailleurs également en contradiction avec la vision qui domine dans le monde occidental. Certains analystes comme Gérard Grasset ont parlé d’intuition « l’intuition fulgurante des intérêts généraux, la conviction aussitôt acquise et fermement assurée[5] ».
Dès le début de son mandat, il renvoie les dirigeants des républiques soviétiques à leurs responsabilités : « Je tiens à ce que vous sachiez que nous respecterons désormais les principes d’égalité entre les Etats et de non-ingérence dans la politique intérieure de nos voisins, principes que nous n’avons jamais réellement appliqués jusqu’ici. Vous êtes donc responsables du bon fonctionnement de vos institutions. Nous avons besoin de la perestroïka et nous allons l’appliquer chez nous. Libre à vous d’en faire de même[6] ».
Il s’agit d’une prise de position de première importance. La Russie renonce à imposer sa loi par la force dans les pays du pacte de Varsovie. Ce jour là, vraisemblablement sans en avoir conscience, Mikhaïl Gorbachev vient de décider la fin de l’Union Soviétique. En effet, s’il avait employé la force, aucun de ces pays n’aurait pu résister.
La suite sera logique : le 8 décembre 1987, Mikhaïl Gorbachev et Ronald Reagan signent le traité de Washington sur les armes nucléaire à courte et moyenne portée. En mars 1988, les deux hommes se retrouvent à Genève. La Russie annonce son intention de se retirer d’Afghanistan. Le retrait sera effectif un an plus tard.
Le grand symbole sera, évidemment la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Elle a été la conséquence d’une évolution de la situation en Allemagne de l’Est que Moscou n’a pas cherché à bloquer. Fidèle à sa philosophie de non recours à la force, il a laissé la direction du pays libre de ses décisions. Mais cette direction n’était déjà plus maitresse de la situation. Mikhaïl Gorbachev avait la possibilité d’intervenir de façon décisive en Allemagne de l’Est. Il y avait là-bas à ce moment, en 1989, trois cent mille soldats d’élite soviétiques. Il ne l’a pas fait.
Ces évènements ouvrent une question d’importance capitale. Mikhaïl Gorbachev va-t-il accepter la réunification des deux Allemagnes et quelle sera la position de ce nouveau pays par rapport à l’Otan. Admettre une Allemagne réunifiée dans l’Alliance Atlantique, c’est y faire entrer un ancien membre du pacte de Varsovie.
La question sera discutée à plusieurs reprises entre la Russie et l’Allemagne et entre la Russie et les Etats-Unis. Finalement, Mikhaïl Gorbachev acceptera la réunification et même l’entrée de l’Allemagne réunifiée dans l’Otan si tel est le désir de sa population, mais en échange, il reçoit à plusieurs reprises la promesse que l’Alliance Atlantique ne cherchera pas à s’étendre à l’Est de ses limites du moment.
Le 2 décembre 1989, Mikhaïl Gorbachev et Georges H. Bush se retrouvent à Malte et cette promesse faite initialement par le chancelier allemand Helmut Kohl est confirmée par le président américain. Mikhaïl Gorbachev ne demandera pas de confirmation écrite de cette promesse. Ses concitoyens lui reprochent toujours ce qu’ils qualifient de « naïveté ».
Certains ont vu dans la réunion de Malte de la fin de la guerre froide. En effet, le communiqué final mentionne que « nous ne nous considérons plus comme des ennemis l’un pour l’autre ». L’enthousiasme de l’étranger vis à vis de Mikhaïl Gorbachev et de son action trouva une expression concrète dans l’attribution en 1990 du prix Nobel de la Paix.
Mais, parallèlement aux évolutions de la situation internationale, la situation générale à l’intérieur du pays se dégrade de plus en plus. Les choses bougent dans la République Soviétique de Russie sous l’impulsion de Boris Eltsine, l’adversaire intime de Mikhaïl Gorbachev. La République déclare sa souveraineté le 12 juin et Boris Eltsine se fait élire président de la République Soviétique de Russie. Il est élu au premier tour, au suffrage universel, ce qui renforce énormément sa position politique vis à vis de son adversaire.
Vers la fin de 1990 les attaques politiques contre Mikhaïl Gorbachev se multiplient, venant presque de tous les côtés du spectre politique. Anatoli Tcherniaiev, un de ses mentors politiques et fidèle entre les fidèles, remarquait dans son journal[7] que « Mikhaïl Sergueievich commençait à présenter les symptômes de l’homme traqué ». Il faut dire que, sur le plan économique, la pérestroika était loin d’avoir donné les résultats espérés. Au printemps 1991, le souci principal de Mikhaïl Gorbachev était de trouver des devises pour acheter des vivres à l’étranger.
En politique internationale, Mikhaïl Gorbachev avait aussi de bonne raisons de se sentir abandonné par ses anciens « amis ». Après la dissolution du Pacte de Varsovie en mars 1991, les dirigeants occidentaux n’avaient plus grand-chose à attendre du Kremlin, ayant obtenu les concessions les plus importantes. De plus, ils commençaient à douter sérieusement de sa capacité à sauver la situation, même avec le soutien financier extérieur qu’il cherchait fébrilement. Au sommet du G7 de Londres, en juin 1991 où il venait demander une nouvelle aide économique, il fut traité avec condescendance et rentra les mains vides.
Le putsch d’août 1991 a fini de faire descendre Mikhaïl Gorbachev du piédestal sur lequel l’avaient fait monter les attentes et les espoirs de tout un peuple. Les événement de décembre paraissent maintenant, avec un peu de recul comme la suite logique de ce qui s’est passé alors. Le 8 décembre, les présidents des trois républiques slaves d’Union Soviétique[8] se sont réunis dans la campagne biélorusse, à Belovejskaya Pouchia, près de Minsk et ont signé des documents constatant la disparition de l’Union Soviétique en tant que sujet de droit international.
Plus tard, le 21 décembre les présidents de onze des quinze républiques soviétiques (sans l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, et la Géorgie) entérinaient cette décision et s’entendaient pour que le siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Urss revienne à la Russie.
Suite à cette décision, Mikhaïl Gorbachev démissionnait de son poste le 25 décembre 1991 confirmant, si besoin en était la disparition de l’Union Soviétique.
Ainsi donc, en une période de moins de quatre ans, Mikhaïl Gorbachev a été la cheville ouvrière de la fin de la guerre froide et de la disparition de l’Urss. Pour Mikhaïl Gorbachev, l’origine de la fin de la guerre froide est la perestroïka de 1985 qui a tout rendu possible[9], et sa coopération ultérieure avec Ronald Reagan puis Georges H. Bush.
Comme nous le voyons, la fin de la guerre froide ne correspond pas à la disparition de l’URSS. De 1988 à 1990, les principaux leaders du monde occidental ont déclaré que la guerre était terminée. En décembre 1989, Georges H Bush et Mikhaïl Gorbachev l’ont annoncé à Malte, Jack Matlock, l’ambassadeur de Ronald Reagan à Moscou a écrit abondamment à ce sujet. Stephen Cohen[10], spécialiste américain de l’URSS et de la Russie l’a répété dans une interview en date du 17 avril 2015, confondre la fin de l’Union Soviétique et la fin de la guerre froide est une erreur historique.
Mais la date de la fin de la guerre froide n’est pas le seul problème qui reste à régler. Il y a aussi la façon dont cette guerre s’est terminée et qui ne ressemble pas à la fin d’un conflit.
En effet, la fin de la guerre de Cent ans a été marqué par le traité de Picquigny le 29 août 1475, les guerres d’Italie se terminent par La paix de Cateau-Cambrésis, conclue le 3 avril 1559, la première guerre mondiale se termine par l’armistice du 11 novembre 1918 et le traité de Versailles, la seconde guerre mondiale se termine par la signature de la capitulation sans conditions du IIIe Reich le 8 mai 1945, la guerre d’Algérie se termine le 18 mars 1962 par les accords d’Evian, la guerre de Corée le 27 juillet 1953 par la signature d’un pacte de non-agression, etc.
Mais la guerre froide qui n’en était pas une à proprement parler s’est terminée d’une façon non habituelle pour les guerres. Pas de vainqueur, pas de vaincu, ça on l’avait vu à la fin des guerres d’Italie, mais pas de conférence internationale qui règle la nouvelle situation, aucun accord formel. Cette absence de reconnaissance est à l’origine de beaucoup des problèmes posés aux relations entre la Russie actuelle et l’Occident.
En particulier le fait qu’il y ait ou non un vainqueur et un vaincu. En effet, les présidents Georges H. Bush et Mikhaïl Gorbachev avaient bien précisé à Malte que la guerre froide se terminait sans vainqueur ni vaincu. Du côté russe, Mikhaïl Gorbachev était simplement convaincu que c’est lui qui avait lancé ce processus.
Georges H. Bush s’en est tenu à cette position jusqu’à ce que les sondages le donnent second derrière Clinton pendant la campagne présidentielle américaine. A ce moment là, en 1992, il commença à expliquer que c’étaient les Etats-Unis et lui en particulier qui avaient gagné la guerre froide. Personne, alors, ne leur a disputé cette « victoire » car personne en Russie ne semblait vouloir prendre la responsabilité de la chute de l’Urss. Mais d’après le témoignage de Stephen Cohen et de sa femme Katrina vanden Heuvel[11] qui connaissent bien Mikhaïl Gorbachev, ce dernier  en fut profondément touché, se sentant trahi.
Cela ne suffira pas à Bush pour se faire réélire, mais cela ouvrira la voie à la politique de William Clinton, d’une incroyable arrogance, ligne favorisée par la faiblesse économique de la Russie des années 90 et son absence de direction politique. Les Etats-Unis ont commencé à considérer la Russie comme l’Allemagne ou le Japon de la fin de la seconde guerre mondiale. La Russie pourrait donc décider de sa politique intérieure dans une certaine mesure, elle serait autorisée à jouer un rôle dans les affaires internationales, mais comme un participant mineur soucieux des intérêts américains.
On retrouve cela dans les mémoires de Strobe Talbott, le secrétaire d’état adjoint de Clinton, pour qui les grandes déclarations d’amitié éternelle avec Boris Eltsine et de partenariat avec la Russie n’étaient que des bobards. Il y avait un courant fort de pensée dans l’administration Clinton pour qui la Russie était à terre et il fallait la maintenir là. Un des représentants de ce courant était Paul Wolfowitz[12], sous-secrétaire d’état de Georges H. Bush en 1992. Ce sont eux qui ont mené l’expansion de l’Otan vers les frontières russes.
Selon Stephen Cohen, une part de la responsabilité est également du côté russe et, en particulier du côté de Boris Eltsine. « Il était tellement désespérément à la recherche, non pas seulement de la reconnaissance de l’Amérique, mais de l’affection américaine. Il était si peu sûr de lui et, à mesure que sa santé déclinait de plus en plus captif des oligarques, qu’il voulait avoir autant d’importance pour Washington que Mikhaïl Gorbachev en avait eu. Il était près à faire et dire n’importe quoi pour Washington, jusqu’à la guerre de Serbie. C’est alors qu’il a réalisé que les Etats-Unis avaient leur propre programme et que ce programme incluait l’expansion de l’Otan. Mais il était trop tard, il avait usé tout son capital politique[13] ».
Après Boris Eltsine est venu Vladimir Poutine. Au début, en 2000, les médias système américain, particulièrement le « New York Times » et le « Washington Post » le présentaient comme un vrai démocrate qui, en plus, contrairement à son prédécesseur était sobre. Mais sous Vladimir Poutine, la Russie a commencé à relever la tête. Discrètement au départ. C’est la période où les problèmes intérieurs occupaient le plus clair du temps du président, celle où il a laissé les Etats-Unis gérer les problèmes du Moyen Orient à leur guise.
Comme le disait récemment Alexeï Poushkov, le président de la commission des affaires étrangères de la Douma fédérale, de passage à Paris, dans son style imagé, « A l’époque, nous étions encore des sortes d’écoliers face aux grandes capitales occidentales. » Mais l’écolier a grandi et même un peu trop vite au goût de ses professeurs. Un certain nombre d’habitudes avaient été prises dans les années 90, et quand la Russie a voulu siffler la fin de la récréation, son attitude a été considérée comme une agression, alors qu’elle ne faisait que réclamer la place qui, selon elle, lui revenait. Et le responsable de cette attitude arrogante était Vladimir Poutine. Il fallait absolument lui rendre le sens des réalités et le remettre à la place dont on avait décidé qu’elle serait la sienne.
Les maîtres du monde, occupés à gérer le chaos qu’ils avaient eux-mêmes organisés n’avaient pas vu la lente transformation de la Russie. Le premier coup d’arrêt organisé par la « Russie de Poutine », bien que cela se soit fait, d’ailleurs sous la présidence du « bon » Dimitri Medvedev, a été la guerre d’août 2008 avec la Géorgie. Puis sont venus les « affronts » politiques comme par exemple l’intervention de la Russie dans la crise organisée en Syrie, intervention qui  a bloqué un processus d’intervention militaire presqu’enclenché.
La réponse des Etats-Unis a été une vaste entreprise de diabolisation de Vladimir Poutine. Ce n’était plus le vrai démocrate de 2000, mais un nouvel Hitler (rien que ça !). La diabolisation du président russe était la réaction quasi instinctive de gouvernants américains pris de cours et ne comprenant pas la Russie. A l’époque de la guerre froide, il y avait une école très forte de « soviétologues » qui comprenaient à peu près l’Union Soviétique. Cette école d’où étaient issus des gens comme Condoleezza Rice avait disparu. Comme le disait Henri Kissinger l’année dernière, la diabolisation de Poutine n’est pas une politique, c’est l’alibi d’une absence de politique.
Le drame, c’est que cette diabolisation interdit toute réflexion sérieuse sur ce qui se passe en Russie. Suivant la formule de Georges Bush junior, si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. Si vous refusez la condamnation systématique de la politique russe, vous devenez automatiquement un suppôt, un espion de Poutine. On ne vous met pas en prison pour autant (McCarthy est mort) mais vous êtes rejeté de tous les médias système. Cela se passe ainsi en France aujourd’hui également. On ne discute plus, on condamne, on sanctionne. La situation est confortable pour les simples d’esprit, les paresseux et les peureux, car c’est justement le degré zéro de la réflexion. Comme l’explique Stephen Cohen dans l’interview mentionnée plus haut, « nous sommes comme des drogués en manque, nous ne sommes plus capables de penser à autre chose que notre obsession de Vladimir Poutine ».
Et de poursuivre, « notre politique post soviétique après 1991, en fait a été la poursuite de la guerre par d’autres moyens. A mon avis, la guerre froide n’est pas terminée. La tactique a changé, la stratégie aussi, peut-être, mais il n’y a pratiquement pas eu de pause ».
Que faire ? Laisser aller les choses jusqu’à la « guerre chaude » en Ukraine ? Attendre que les élections présidentielles donnent un nouveau président à l’Amérique ? Les candidats déclarés ou même potentiels ne donnent que peu d’espoir d’un changement de politique pour le meilleur.
L’Europe doit prendre son destin en main, s’éloigner d’un navire qui menace de sombrer avant qu’il ne l’entraine avec lui. Il ne s’agit pas de se retourner contre un ancien allié. Il s’agit de comprendre que cet allié n’a toujours eu qu’un objectif, son propre bien, son pouvoir. Quel homme politique responsable pourrait le lui reprocher ? Mais son programme n’est pas notre programme quoiqu’il cherche à nous faire croire.
Il se pourrait aussi que le navire Amérique ne sombre pas, que le dollar survive à la prochaine tempête, mais alors l’Europe resterait un vassal de cet empire diminué. La Russie s’est déjà tournée vers l’Est. Les Etats-Unis peuvent également se tourner vers le Pacifique. Que peut faire l’Europe ? Regardez une carte, elle restera isolée, une puissance de seconde zone, seule mais liée, peut-être, par un traité « commercial » qui aura terminé de couper les ailes de nos politiques.
Le monde ne peut rester dominé par les Etats-Unis. Ils n’en ont plus les moyens. Aucun autre pays ne rêve de prendre la place de nouvelle super puissance. Nous nous dirigeons vers un nouveau système multipolaire. Pour beaucoup en occident, le système multipolaire est considéré comme instable car il est associé au système qui a mené aux deux premières guerres mondiales. Il faudra donc faire évoluer les règles du jeu, ce ne sera pas simple, bien sûr, mais cela se fera, avec l’Europe ou sans l’Europe, avec la France ou sans la France. Je préfèrerais que cela se fasse avec la France !



[1] « Dans le jargon du système soviétique, la couche des intellectuels qui n’appartenaient ni à la classe ouvrière, ni à la classe paysanne. Par extension, l’ensemble de l’élite, politique, artistique et culturelle. »
[2] Andrei Gratchev in “Le Mystère Gorbatchev”, Editions du Rocher 2001.
[3] Jeunesses communistes. La quasi totalité des étudiants faisaient parti du Komsomol jusqu’à l’âge de 24 ans environ. Ensuite, ils pouvaient devenir membres du parti communiste à condition d’être parrainés et après un stage de deux ans comme « candidat ».
[4] Certains historiens russes ont écrit qu’une bonne partie des réformes introduites après 1985 avaient été ébauchées par Iouri Andropov.
[5] Philippe Grasset, “Faits et Commentaires” du 6 décembre 2008, in www.dedefensa.org
[6] cité par Nathan Gardels, in  The WorldPost, 09/11/2014
[7] Anatoli Tcherniaiev « Sovmestnyi iskhod. Dnevnik dvukh epokh 1972-1991 gody » Rosspen, Moskva, 2008. (en russe)
[8] Boris Eltsine, pour la Russie, Leonid Kravtchouk, pour l’Ukraine et Stanislaw Chouchkievitch pour la Biélorussie
[9] Interview de Mikhaïl Gorbatchev par Katrina vanden Heuvel et Stephen F. Cohen, publiée dans l’édition du 16 novembre 2009 du magazine américain “The Nation”
[10] Professeur émérite de Princeton et de l’Université de New York.
[11] Rédactrice en chef de l’hebdomadaire américain « The Nation ».
[12] On se souvient de la « doctrine Wolfowitz », nom donné à un mémo sur la politique extérieure des Etats-Unis rédigé sous sa direction et qui a « fuité » dans le « New York Times » en 1992. Son caractère impérialiste ayant suscité un tollé général, le mémo a été réécrit sans lui.
[13] Stephen Cohen dans une interview du 17 avril 2015 à Patrick L. Smith

mardi 14 avril 2015

Les USA en guerre contre les Etats-Unis (IV)


Ceci est le quatrième d'une série de cinq articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en reste.

Les faiblesses de l’économie et de la finance
Il est souvent difficile de se faire une idée précise de la situation économique d’un pays tant la présentation des statistiques peut avoir d’influence sur leur perception. Dans le même temps, on a observé récemment que l’économie était devenu un nouveau terrain de lutte entre pays. De tous temps, les gouvernements ont eu tendance à prendre des mesures pour favoriser l’économie nationale. En période de croissance, ces mesures n’avaient pas l’agressivité dont elles ont commencé à faire preuve en période de stagnation.
Vers la fin des années vingt, les autorités américaines avaient employé ce genre de méthodes pour se sortir de la crise. Les résultats n’avaient pas été ceux attendus, beaucoup s’en faut, certains économistes pensant même que ces mesures avaient allongé la période de récession.
Depuis 2008, les exemples de mesures agressives ne manquent pas. Les poursuites de l’état américain contre des banques européennes ont lancé le mouvement. On pense évidemment au cas de la BNP qui a été contrainte à payer 8,9 milliards de dollars d’amende pour non respect de l’embargo décidé par les autorités américaines contre différents pays. Il s’agit d’un premier cas d’application ex territoriale d’une loi américaine. Pourquoi la BNP ne pouvait-elle que payer ? Parce que les autorités américaines ont la possibilité de restreindre les activités de la banque aux Etats-Unis, un des centres mondiaux de la finance. Une telle mesure aurait coûté beaucoup plus cher à la banque française.
Mais BNP n’est pas la seule banque étrangère touchée. Les autorités américaines se sont également attaquées au Crédit Suisse et même à une banque anglaise, HSBC. Tout ceci a pour résultat de rendre les opérations aux Etats-Unis plus coûteuses pour les banques étrangères et donc de favoriser les banques commerciales américaines.
Mais l’attaque pourrait aller encore plus loin. La Réserve Fédérale s’est mis en tête de soumettre les banques étrangère installées aux Etats-Unis à un « stress test » de son cru, pour les forcer à augmenter leurs réserves. Ce faisant, elle limite d’autant les possibilités de prêt sur le territoire américain, ce qui, de nouveau, favorise les JP Morgan, City Bank et consorts.
En réponse, l’Union Européenne a décidé de s’en prendre aux sociétés de technologie américaines réputées pour leur allergie aux impôts qui n’a d’égal que la capacité de leurs conseillers à les aider à construire des systèmes hautement sophistiqués leur permettant de ne pas, ou peu, payer d’impôts en Europe. Systèmes dont certains pays européens se sont d’ailleurs rendu complices.
Hors d’Europe, la manipulation des cours du pétrole par l’Arabie Saoudite et ses alliés a pour but de fragiliser la concurrence des sociétés américaines produisant du pétrole de schiste et qui ont des prix de revient très élevés. D’après Jacques Sapir[1], « si les grandes entreprises arrivent à produire du pétrole de schiste avec des gains de productivité importants et ont, aujourd’hui, des points zéro autour de 40 à 45 dollars le baril, les petites entreprises, elles, ont des points d’équilibre plus proches de soixante dix à quatre vingt dollars. » Or ces entreprises ont des couvertures d’assurance qui courent jusqu’au mois d’octobre[2]. Il y aura donc cet été, si les cours du pétrole ne remontent pas un certain nombre de catastrophes dans ce secteur économique américain.
Vers la fin du vingtième siècle, ce genre de problème aurait été réglé en coulisse, par des accords entre les différents pays considérés. Mais c’était l’époque de la croissance. Aujourd’hui il est question de se partager un gâteau dont la taille diminue.
Les déclarations optimistes des autorités américaines quant à l’état de l’économie américaine ont du mal à cacher une réalité bien mieux illustrée par l’agressivité du gouvernement américain.
Les Etats Unis sont un pays qui vit à crédit depuis de nombreuses années et qui a besoin, pour poursuivre sa politique, que ses créditeurs gardent confiance dans le dollar. Mais la confiance devient une denrée rare. Elle se soutien évidemment avec une bonne communication, mais cela ne suffit pas. Les quotidiens et magazines français dont on connaît les allégeances se sont félicités de la baisse du déficit budgétaire et de la hausse de l’emploi. L’un d’entre eux titrait même « le miracle américain ».
Le déficit budgétaire a effectivement baissé sensiblement. Mais cela ne signifie pas que la dette de l’état baisse également. Tant qu’il y a déficit, il y a augmentation de la dette. Cette dette qui s’était maintenue entre 55 et 65% du PIB de 1992 à 2008 a augmenté de façon extrêmement importante ensuite pour se situer fin 2012 à 16.433 milliards de dollars, soit 103,6% du PIB et elle continue d’augmenter quoique plus lentement. D’autre part, la dette est détenue à près de 80% par des pays étrangers dont la Chine (29,2%), le Japon (15,4%), la Belgique (13,8%) ou la Grande Bretagne (13%) pour ne citer que les plus importants détenteurs[3]. Les Etats-Unis doivent donc à tout prix maintenir la confiance du monde dans leur économie.
Jusqu’à présent, la Réserve Fédérale a réussit à maintenir les taux en dollars à des niveaux extrêmement bas, pour aider les banques à se remettre de la crise de 2008/09, allégeant par là même également le fardeau de la dette.
Mais, selon Mike Patton dans un article publié par Forbes, le 18 septembre 2014, la Réserve Fédérale pense que la dette va continuer à augmenter en particulier à partir de 2020 essentiellement pour des raisons démographiques. Il est peu probable que le parlement américain, dans l’état actuel de son irresponsabilité politique, soit capable d’enrayer ce mouvement. Il se contentera sans doute comme il vient de le faire à plusieurs reprises d’augmenter le plafond de dette autorisé. Ce plafond se trouve actuellement à 17.200 milliards de dollars après 16.700 milliards en mai 2013 et 14.700 en août 2011.
Du côté de l’emploi, les choses ne vont pas non plus aussi bien que ne pourraient le laisser penser les statistiques officielles. Les Etats-Unis, comme d’ailleurs de nombreux pays européens comme la France, ne présente qu’une partie des chiffres. L’autre, bien qu’elle ne soit pas gardée secrète est beaucoup moins visible ou facile à trouver. Ainsi quand les médias claironnent que le chômage aux Etats-Unis est à 5,3%, ils ne vous présentent qu’une partie de la photographie et oublient de mentionner que le chiffre total prenant en compte les divers types de chômage (le taux U6 pour reprendre la classification du « Bureau Américain de l’Emploi ») est à 10,9%.
En ce qui concerne le crédit, les erreurs du passé sont en train de se reproduire. La nouvelle bulle est celle des crédits automobiles. Le consommateur américain peut obtenir un crédit de cent pour cent de la valeur du véhicule acheté (même un peu plus pour tenir compte des frais) même pour les véhicules d’occasion. Mieux encore, il peut emprunter en mettant sa voiture en gage. Comment cela est-il possible ? Simplement, ceux qui accordent ces crédits les regroupent, les transforment en obligations (securitization) et les mettent sur le marché suivant le système bien connu des « mortgage bonds » qui ont provoqué la crise de 2008/09.
Pour David Stockman, l’ancien directeur du budget[4] de Ronald Reagan, les Etats-Unis sont tellement « accro » à la dette qu’une catastrophe est imminente.
En attendant, c’est la fuite en avant et la déstabilisation du monde car tout le temps que les Etats-Unis apparaîtront, par comparaison, comme un havre de sécurité financière, la demande de dollar subsistera et c’est bien l’objectif : assurer l’espace des échanges en dollars, l’écoulement de la dette US et des flux de commandes à l’industrie militaires US.


[1] Jacques Sapir, conférence aux « Rencontres DFR » de l’Association Dialogue Franco-Russe, le 12 mars 2015
[2] Selon une étude du magazine américain « Oil World »
[3] Source : http://finance.townhall.com/columnists/politicalcalculations/2014/07/20/summer-2014-who-really-owns-the-us-national-debt-n1863927/page/full
[4] Office of Management and Budget

samedi 11 avril 2015

Les USA en guerre contre les Etats Unis (III)


Ceci est le troisième d'une série de cinq articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en reste.

Les dérives politiques
Le développement de l’état de surveillance a également des effets néfastes sur la politique intérieure. Sous la bannière de « Peur et Terreur » inspirée par Osama Bin Laden, les Etats-Unis ont connu une transformation incroyable dont les Américains eux-mêmes ne prennent pas toujours conscience car ils vivent au cœur de la transformation. Ils vivent dans un nouveau pays et un pays qui n’a aucune intention de supporter un retour en arrière.
Et pourquoi un retour en arrière ? Le système n’est pas efficace ? Qui s’en soucie ? En juin 2013, les révélations d’Edward Snowden exposaient au monde entier l’étendue de la surveillance organisée par la NSA. Les conversations de plus de 35 chefs d’états ont été enregistrées, celles du secrétaire général de l’ONU, des bureaux de l’Union Européenne et de sociétés commerciales. Une fois passé la surprise et les mouvements d’humeur de diverses intensités[1] des principaux concernés, le monde est retourné à sa routine. Mais la NSA poursuit sa surveillance. Est-ce vraiment indispensable ?
Comme le fait remarquer Tom Engelhardt dans un article daté du 17 février 2015 : « Peu de terroristes ont été trouvés, pratiquement aucun complot n’a été déjoué et très peu d’information utilisable a été fournie au gouvernement malgré les « yotabytes[2] » d’informations collectés et stockés. Après les révélations, les efforts auraient dû être stoppés ou diminués radicalement. Les méthodes de l’agence (la NSA) violaient la constitution, tournaient en ridicule l’idée même de vie privée et transgressaient toutes sortes de souverainetés. Au contraire, le système de surveillance globale reste inscrit dans notre monde et continue à grandir ».
Le souci de surveillance du monde est maintenant à un niveau tel que sous la présidence de Barack Obama (prix Nobel de la Paix, ne l’oublions pas), les autorités américaines ont poursuivi plus de lanceurs d’alerte que sous l’ensemble des présidences précédentes.
Qu’il s’agisse du complexe militaro industriel ou de le Sécurité Intérieure, les sommes mises en jeux ont créé un ensemble puissant de sociétés dont les dirigeants et les actionnaires n’ont aucun intérêt à un retour à une situation plus normale. Une inflexion de la politique intérieure et extérieure des Etats-Unis vers moins d’agressivité, moins de projection de forces à l’étranger, équivaudrait à une diminution des budget de la défense et de la sécurité nationale et donc à une baisse de leurs revenus. Que cela puisse correspondre également à une baisse du déficit de l’état ne semble pas les préoccuper outre mesure.
Ils font donc tout ce qu’ils peuvent pour s’y opposer et le développement qu’ils ont connu depuis 2001 leur donne des moyens financiers gigantesques. Ne nous intéressons qu’à l’élection présidentielle. Tout le monde (ou presque) connaît le fonctionnement du système américain en ce qui concerne la désignation du candidat de chaque grand parti à l’élection présidentielle. Des primaires sont organisées dans tout le pays avant la grande convention qui entérinera le choix des électeurs des primaires. Mais la campagne des primaires coûte de plus en plus cher et avant de pouvoir se lancer, un futur candidat doit s’assurer de récolter des fonds importants. Il trouvera la plus grande partie de ce financement auprès des sociétés privées dont les contributions sont de plus en plus mal encadrées par la loi. Les dizaines ou les centaines de millions de dollars qu’ils peuvent donner à un candidat décideront de ses chances de succès. De tels soutiens ne sont pas, évidemment, sans contre parties si le candidat devient président.
A titre d’exemple, la dernière campagne présidentielle aurait coûté, suivant des évaluations du site politique américain « The Hill[3] », au minimum 2,34 milliards de dollars. Toujours d’après le même site, la campagne 2016 pourrait coûter jusqu’à 5 milliards de dollars. D’où viendra l’argent ? Qu’attendront les bailleurs de fonds en échange de leurs contributions ? Est-ce ainsi que fonctionne une démocratie ?
Aujourd’hui, les médias américains évaluent les chances des candidats (non encore déclarés officiellement) à l’aune de leur capacité à collecter des fonds pour leur campagne. Et quels sont les noms qui émergent pour l’instant ? Clinton et Bush ! Non seulement on ne change pas les méthodes qui ne fonctionnent pas, mais pour plus de sûreté on ne change pas les hommes (ou les femmes) non plus ! Selon Don Peebles le roi de l’immobilier, spécialiste de la collecte de fonds électoraux et qui a travaillé à ce titre pour la campagne de Barak Obama : « Clinton a une forte capacité à collecter des montants très importants », et d’ajouter « Bush est un collecteur de fonds  incroyablement efficace », pour conclure « il pourrait donner du fil à retordre à Clinton ». Où sont les programmes politiques des candidats ? Qui s’en soucie ?
Et même si un peu plus d’un Américain sur deux participe au vote, la sélection des candidats a déjà été faite pour eux dans des « primaires avancées » qui ont lieu dans des cercles de millionnaires et de milliardaires, comme les industriels Charles et David Koch et leur cercle de donateurs qui ont annoncé en février de cette année leur intention de dépenser près de neuf cent millions de dollars pour influer sur la politique du pays.
Nous assistons depuis de nombreuses années à une privatisation des élections américaines. La conséquence logique a été une privatisation, également, du fonctionnement politique. Nous avons déjà parlé des sociétés privées de sécurité qui mènent des opérations de guerre pour le gouvernement US. Une affaire récente éclaire un autre aspect de cette privatisation, c’est celle des e-mails de Hilary Clinton quand elle était secrétaire d’état (ministre des affaires étrangères).
En principe, toutes les communications des responsables politiques dans l’exercice de leurs fonctions doivent passer par le réseau de communication officiel, sur lequel elles sont archivées. C’est une façon de garantir la possibilité d’un certain contrôle de leurs actions par le peuple. Mme. Clinton, elle, a utilisé son propre réseau de mails protégé pour conduire ses affaires officielles. Une privatisation de la politique encore inconnue jusque là.
Dès l’instant où il y a privatisation des activités, y compris des activités politiques, les intérêts particuliers entrent en jeu. Des intérêts qui, bien sûr, sont conflictuels. Chacun pensant à ses intérêts ou à ceux du groupe auquel il appartient ou celui qui le finance, il n’y a plus d’unité d’action dans le gouvernement.
Ainsi, peut-on voir le leader de la majorité à la chambre, John Boehner, inviter Benjamin Netanyahu à faire un discours au congrès, dans le but de torpiller les négociations entre les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire. Ou bien, le sénat débat de l’autorisation de faire la guerre à l’Etat Islamique en Syrie et en Irak, alors que les opérations ont commencé depuis de nombreux mois et que le vote n’aura aucune influence sur la continuation des opérations. S’il voulait se décrédibiliser, le Sénat n’agirait pas autrement.
Quant au président, il semble avoir perdu le contrôle de son équipe, au moins en Ukraine où Victoria Nuland mène sa propre politique, faisant des déclarations ne correspondant pas au discours de la Maison Blanche. De la même façon, le général Breedlove, patron de l’Otan annonçe des livraisons d’armes à l’Ukraine alors que le président, de son côté pèse encore le pour et le contre.
C’est ce qui fait dire à un observateur[4] expérimenté de la situation de ce qu’il appelle le système BAO, que l’administration américaine est en « phase ukrainienne ». Quand on sait dans quel état est ce pays…
Les américains eux-mêmes ne sont pas loin de partager cette opinion, bien qu’ils l’expriment évidemment différemment. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter le dernier sondage effectué par l’Université de Chicago[5]. On trouvera le détail en suivant le lien en note. Pour résumer, le niveau de confiance de la population dans le président, le congrès et la Cour Suprême n’a jamais été aussi bas. Le pourcentage de personnes ayant une grande confiance en ces trois piliers de la « démocratie américaine » est de 11% pour le président, 23% pour la Cour Suprême et 5% pour le congrès.
On assiste également à une baisse considérable de la résistance civile. Dans un livre paru en février 2015, « L’Age de l’Acceptation », Steve Fraser se demande pourquoi au dix neuvième siècle, autre période d’excès des gouvernants, d’inégalités, de concentration des richesses et de corruption, le peuple américain a toujours eu le courage de descendre dans la rue pour exprimer son mécontentement, y compris pendant de longues périodes, alors qu’il ne le fait plus maintenant. J’ai trouvé au moins un élément de réponse en visionnant pendant mes recherches pour cet article, les vidéo de l’évacuation par le police des « Occupy Wall Street ». Il y en a d’autres, comme le mutisme de la presse système aussi bien dans le domaine de la politique étrangère que de la politique intérieure. Quel est aussi l’impact de la société de surveillance sur la volonté de la population de se défendre ? Je n’ai pas de réponse concrète à cette dernière question pour le moment.


[1] Les réactions les plus marquées sont sans doute venues d’Allemagne où la Chancelière Merkel a fait remarquer que cela ne se faisait pas d’écouter les dirigeants de pays alliés.
[2] Un yottabyte est égal à 1024 bytes. Il n’existe pas, pour l’instant, de mot pour désigner l’unité de rang supérieur.
[4] Philippe Grasset (dedefensa.org), le Bloc Américano Occidentaliste.

vendredi 10 avril 2015

Les Etats-Unis ont aussi leur « Mr. Bean »


Il s’appelle Tom Cotton.
Il n’est pas dans les habitudes de ce blog de se moquer des gens, en particulier en raison de leur apparence physique. Aussi, ne vous y trompez-pas, ce n’est pas à cause de son air d’intellectuel que nous avons choisi de vous parler de Tom Cotton, mais plutôt de ses récents méfaits.
C’est ce sénateur récemment  élu de l’Arkansas qui est la cheville ouvrière du groupe de sénateurs « néo cons » qui ont envoyé une lettre aux dirigeants iraniens pour leur expliquer qu’ils ne devaient pas signer d’accord nucléaire avec Barak Obama. La lettre explique, entre autres que « vous ne semblez pas comprendre le fonctionnement de notre système institutionnel… tout ce qui n’est pas approuvé par le Sénat n’est qu’un accord de gouvernement et le prochain président pourrait révoquer cet accord d’un trait de plume[1] ».
Imaginez-vous des sénateurs français écrivant aujourd’hui aux dirigeants d’un pays étranger en négociation avec la France qu’il ne faut pas signer d’accord avec François Hollande au motif que son successeur pourra annuler cet accord ?
Questionné sur ce qu’il envisageait à la place d’un accord, Tom Cotton, tout d’abord hésitant a fini par expliquer plus tard qu’à son avis une guerre contre l’Iran serait une « promenade de santé[2] » !
Ce qui est « cool » avec les « néo cons », c’est leur incroyable capacité à tirer immédiatement les conséquences de leurs erreurs passées…
Comme je vous le disais dans un article plus sérieux que celui-ci, « si ça n’a pas marché, ce n’est pas parce que l’on a mal fait, c’est parce que l’on n’en a pas assez fait ». Si seulement ils n’avaient pas un tel pouvoir de nuisance !

jeudi 9 avril 2015

Les USA en guerre contre les Etats Unis (II)


Ceci est le deuxième d'une série de cinq articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en reste.

Les faiblesses militaires
Les dirigeants militaires américains citent volontiers la menace terroriste pour justifier les interventions extérieures et l’accroissement exponentiel du budget militaire. En 2014, les Etats-Unis ont dépensé pour leur armée 661 milliards de dollars soit environ 1,8 milliard par jour. Cela représente également le total des dépenses des neufs pays suivant dans la liste des dix pays qui dépensent le plus pour leur défense[1].
Ces chiffres sont ceux donnés officiellement concernant les dépenses du département de la défense. Mais d’après Tom Engelhardt[2], dans un article du 17 février 2015, paru dans l’hebdomadaire américain « The Nation », si on ajoute les budgets des agences de sécurité, le total des dépenses est beaucoup plus près de mille milliards de dollars. En effet, le gouvernement utilise des subterfuges pour cacher une partie des dépenses militaires ou de sécurité. Ainsi, par exemple, les dépenses de guerre (Irak, Afghanistan, etc.) ne figurent pas au budget de la défense. Le financement des armes nucléaires appartient au budget du « Département de l’Energie », soit quelques 18 milliards de dollars en 2013. Ces détails sont donnés par Mattea Kramer et Chris Hellman, deux analystes du “National Priorities Project” une organisation non commerciale qui s’est donné pour mission d’expliquer le budget des Etats-Unis à destination des contribuables américains.
Et pour quels résultats ? La guerre du Vietnam, la plus longue de l’histoire des Etats-Unis qui a vu, au plus fort du conflit, quelques cinq cent mille soldats américains engagés s’est terminée en 1973 par une humiliante défaite.
Les attentats du 11 septembre 2001, qu’aucune agence de sécurité américaine n’avait vu venir, ont marqué un basculement de la politique américaine aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, avec la déclaration de guerre au terrorisme. Il s’agissait d’une grande première : un état qui déclare la guerre à une doctrine, pas à un autre état. Sans état, sans armée ennemie comment évaluer la progression du conflit et sur quelle base va-t-on décider que l’on a gagné… ou perdu ?
Les interventions en Afghanistan (2001), Irak (2003) dont l’armée américaine n’arrive pas à sortir, en Lybie, au Yémen, autant d’échecs qui ont contribué à la création d’Al Qaeda d’abord, puis de l’Etat Islamique et de ses divers avatars. Des interventions qui ont mis face à face la plus grande puissance du monde et de modestes adversaires, pour se terminer par la victoire des derniers. De septembre 2001 à janvier 2015, pas une seule fois l’armée américaine n’a pu faire état d’un succès durable dans une intervention d’aucune sorte, sans parler de guerre. Si l’on exclue les victoires mémorables de l’invasion de la Grenade en 1983 et du Panama en 1989 (victoires sans opposition il est vrai), l’armée la plus puissante du monde n’a pas gagné une guerre ou un conflit depuis la deuxième guerre mondiale.
Au contraire, l’activisme américain dans le monde et, en particulier au Moyen Orient a contribué à renforcer le terrorisme islamiste. Comme l’explique Jacques Sapir sur son blob : « Le soi-disant « Etat Islamique » se développe sur les ruines laissées par l’intervention de ce qu’avec Maurice Godelier nous appelions en 2003 « l’isolationnisme interventionniste providentialiste » des Etats-Unis. C’est cette intervention, avec ses suites, qui a durablement déstabilisé la région. Elle se fit au mépris du droit international et du droit des individus[3] ».
Au début de 2015, les Etats-Unis en sont à leur troisième intervention en Irak douze ans après le début des hostilités, après la promesse électorale de Barak Obama en 2008 de sortir d’Irak. On portera au crédit du président qu’il a failli réussir à retirer son armée, avant de revenir pour combattre sa créature, l’Etat Islamique.
L’Afghanistan, si on y regarde de près, est une opération qui a débuté en 1979 sous l’égide de la CIA dès le début de l’invasion soviétique et au cours de laquelle les Etats-Unis ont soutenu, armé et formé les combattants opposés à l’armée soviétique, mais en face desquels il se sont retrouvés en 2001, avec, en prime, la création d’Al-Qaeda.
On pourrait donc dire qu’en l’espace de vingt cinq ans, les Etats-Unis qui étaient restés virtuellement sans ennemi et dont le système économique semblait triompher sur presque toute la planète et qui avaient l’armée la plus puissante du monde ont accumulé erreurs et défaites vis à vis d’ennemis qu’ils s’étaient pour beaucoup fabriqués eux mêmes.
Mais tout le monde n’y a pas perdu, et c’est sans doute pourquoi le mouvement se poursuit aujourd’hui encore. En effet, cette période et en particulier les quinze dernières années ont vu se développer aux Etats-Unis un état dans l’état, le complexe militaro industriel et les services de sécurité. Le premier était déjà en excellente santé. Le second a grandi sous l’égide d’une nouvelle structure d’état, le Département de la Sécurité Intérieure[4], sorte de monstre tentaculaire qui regroupe pas moins de dix sept agences[5] et emploie des milliers de sociétés privées de sécurité. Sous les efforts conjugués du complexe militaro industriel, du pentagone et du Département de la Sécurité Intérieure, les Etats-Unis sont devenus un « état de surveillance »  au delà de l’imagination de Georges Orwell.
En plus de ces différentes agences fédérales, les années 2001 à 2014 ont vu se développer un nombre impressionnant de sous-traitants civils spécialisés dans les opérations de sécurité, voire les opérations de guerre. Ainsi, la tristement célèbre société « Blackwater » dont près de mille employés assuraient la sécurité de diplomates en Irak. Devenue « Academi » après une bavure en Irak dans laquelle 31 civils irakiens ont été tués ou blessés en 2007, cette société a touché près de 570 millions de dollars dans le cadre de la lutte anti drogue en Afghanistan, suivant le dernier rapport de l’Inspecteur Spécial Général pour la Reconstruction de l’Afghanistan (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction, ou SIGAR).
Tout est organisé pour, officiellement, assurer la « sécurité de l’Amérique ». Mais en réalité, il semblerait que tout soit organisé pour assurer la sécurité des forces de sécurité et de leurs dirigeants. Et tout est bon pour atteindre cet objectif. Lorsque le sénat a publié un rapport expurgé et pourtant effarant des différentes tortures utilisées par la CIA, pas un seul de ses dirigeants n’a été renvoyé, suspendu ou même simplement réprimandé. Après les évènements de Fergusson où un civil non armé (mais noir) a été tué par un policier, comme dans d’autres cas récents de morts de civils désarmés, les policiers concernés n’ont pas été réellement inquiétés non plus. De la même façon, les Etats-Unis ont refusé toute légitimité à des tribunaux étrangers dans la poursuite de civils américains employés par les sociétés de sécurité opérant à l’étranger
(à suivre) 


[1] Selon le Stockholm International Peace Research Institute
[3] Jacques Sapir, in Le tragique et l’obscène, 25 septembre 2014, http://russeurope.hypotheses.org/
[4]Department of Homeland Security”
[5] Dont les moins connues sont sans doute l’Agence Géospatiale de Renseignements (National Geospatial-Intelligence Agency) qui emploie seize mille personnes pour faire un travail à peine supérieur à ce que Google Earth offre gratuitement, ou le Bureau National de Reconnaissance, NRO (National Reconnaissance Office).