mercredi 24 septembre 2014

La fin de la diplomatie ?


Parmi les citations célèbres du président russe, Valdimir Poutine la suivante est à la fois la plus reprise et la moins bien comprise : « La chute de l’Urss a été plus grande catastrophe géopolitique du siècle ». La plupart des « experts du monde russe contemporain » qui hantent les plateaux de télévision y voient l’aveu de la nostalgie de l’Union Soviétique. Quoi de plus normal d’ailleurs, venant d’un ancien « directeur du KGB » comme on décrit si souvent le président russe. Un ami américain me faisait d’ailleurs remarquer, récemment, que l’on ne parlait jamais de M. Bush Sr. comme de « l’ex-directeur de la CIA » qu’il fut cependant.
Le vrai sens de cette phrase (et la « catastrophe » dont il s’agit) est plutôt à chercher dans les conséquences géopolitiques de la disparition de l’Urss. Cette disparition a laissé un pays seul en position dominante sur la scène mondiale. Si l’on veut être indulgent avec les Etats-Unis on dira que ce pays n’avait pas eu le temps de se préparer à occuper cette position. Que ses premières réactions ont donc été dictées par une grande surprise et des réflexes hérités de la période où il rêvait d’éliminer son adversaire idéologique, sans toutefois penser qu’il y arriverait.
Plus de vingt-deux ans après, on est moins enclin à l’indulgence en constatant ce que les Etats-Unis ont fait de leur position dominante. Le monde est moins sûr qu’il ne l’a jamais été, le droit est bafoué, la démocratie n’est plus que l’ombre d’elle même à force d’avoir été utilisée comme paravent à diverses manœuvres de déstabilisation de pays menant à des changements de régime. Lorsqu’un pays tente de tenir tête aux Etats-Unis la première réaction est d’essayer d’en changer le régime. Les méthodes ont varié avec les présidents, mais l’objectif est resté le même : mettre à la tête du plus grand nombre de pays possible, des gouvernements acquis aux thèses américaines.
Sous l’ère Georges W. Bush, les Etats-Unis se cachaient derrière la lutte contre le terrorisme et les interventions prenaient la forme d’invasions militaires, comme en Irak ou en Afghanistan. M. Obama, lui, se veut le champion de la « légalité » et agit sous couvert d’opérations de défense de la démocratie. Je n’en veux pour exemple que ce qui s’est passé à Téhéran en 2009 (tentative manquée), au Vénézuela quatre ans plus tard (autre tentative manquée), en Egypte, tentative réussie de renversement d’un président démocratiquement élu, par une opération de « défense de la démocratie » et, plus récemment en Ukraine ou les Etats-Unis soutenus par l’Union Européenne ont, là encore, soutenu le renversement d’un président démocratiquement élu (élections jugées honnêtes par l’EU elle-même à l’époque), au nom de la démocratie.
Tout cela peut paraître un peu confus, mais on comprend mieux les différentes situations quand on est capable de savoir à quel moment remplacer, dans le discours, le terme « démocratie », par le terme « démocratie américaine ».
Parallèlement à ces opérations, la notion même de diplomatie a été vidée de son sens, de la même façon que l’avait été celle de démocratie. Cette tendance de fond a débuté précisément avec la fin de l’Urss et ce que l’Américain Francis Fukuyama a appelé à l’époque, la « fin de l’histoire ». Il est d’ailleurs revenu sur cette métaphore erronée, reconnaissant que  sa vision de l’époque n’était pas juste. Sans doute l’effet de surprise mentionné au début de cet article.
Cette reconnaissance de son erreur par M. Fukuyama a été évidemment moins prise en compte que ses premières déclarations plus « percutantes », il faut bien l’admettre, et les dirigeants occidentaux et américains en particulier ont continué à agir de la même façon. On ne parle plus de la recherche en commun de solutions acceptables par toutes les parties à un conflit d’intérêt (diplomatie) mais de décision « juste », basée sur les normes, les valeurs, la vision du monde de l’occident.  Ces valeurs et cette vision sont d’autant moins remises en cause qu’elles auraient prouvé leur justesse par la victoire qu’elles ont permise contre l’ennemi idéologique.
Cette méthode n’est évidemment pas du goût de tous les pays, et c’est pourquoi à l’époque de M. Bush junior, il a fallu faire appel à la force militaire pour faire accepter les « décisions justes » de l’Amérique. Mais il s’agissait de méthodes par trop grossières qui ne pouvaient décemment être mise en œuvre que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Tous les pays qui cherchent à tenir tête aux Etats-Unis ne peuvent raisonnablement pas être taxés de terrorisme, même si on a déjà eu tendance à Washington à abuser un peu de cette qualification.
Les Etats-Unis et leurs alliés sont donc passés à des méthodes de persuasion moins évidemment violentes. La force militaire a été remplacée par les pressions politiques, économiques et, plus récemment, informationnelles. J’ai mentionné dans un précédent article cette phrase de M. Obama qui aurait sans doute déclenché un tollé international, en d’autres temps : « notre capacité à modeler l’opinion du monde a permis d’isoler la Russie dès le départ ».
Mais, justement, cette méthode qui exclue toute négociation sérieuse avec la partie adverse ne fonctionne pas quand cette partie adverse est du calibre de la Russie. Toute personne sensée comprend que le Kremlin ne cèdera jamais à ces méthodes. Cela n’empêche pas les Etats-Unis et l’Union Européenne de continuer à appliquer des méthodes qui n’ont pas fonctionné en espérant toujours obtenir un résultat différent de celui des tentatives précédentes. Une forme de folie.
Sortira-t-on de la situation bloquée actuelle ? Vraisemblablement. Sans se faire la guerre ? Sans doute. Cela sera-t-il facile ? J’en doute. Il est beaucoup plus facile de mettre des sanctions en place que de les lever. Il est beaucoup plus facile de détruire la confiance que de la construire. Et, au plan économique, il est plus facile de prendre des positions que de les regagner.
Tout cela pour quoi ? Les Ukrainiens ont signé avec l’Union Européenne un accord économique qui vient d’être reporté à début 2016. Certains fonctionnaires de Bruxelles parlent, en privé, de « funérailles discrètes ». La situation économique du pays qui n’a jamais été brillante depuis 1991 est maintenant désespérée. Les besoins financiers sont au delà des possibilités de l’Europe, du FMI ou des Etats-Unis, sans l’aide de la Russie. Cependant tous les voisins de l’Ukraine ont intérêt à vivre près d’un pays stable et prospère.
Depuis le début de la crise, la Russie demande à participer à des négociations tripartites. On lui a répondu que ce problème ne la concernait pas. Pourtant, il va bien falloir, maintenant, discuter à trois, Union Européenne, Russie, Ukraine.
Combien de vies humaines aurait-on pu épargner en commençant à négocier tout de suite ?

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