jeudi 1 janvier 2015

Les « Mistral », un problème franco-français


L’année 2014 aura été riche en évènements. Les jeux Olympiques de Sochi, tant critiqués par les médias internationaux qui se sont soldés par un double succès pour la Russie, sur le plan de l’organisation et sur celui des médailles. Les grincheux de tous bords se sont accrochés au coût soi-disant exorbitant de l’organisation, en prenant soin de ne pas faire la différence entre les coûts directs de l’organisation et les travaux d’infrastructure.
Malheureusement, il y a eu aussi la reprise de la guerre en Irak, l’épidémie de fièvre hémorragique « Ebola », et, bien sûr, plus près de nous, le coup d’état en Ukraine et la guerre civile qui s’en suivit faisant plus de quatre mille cinq cent morts dont beaucoup de civils, d’innombrables blessés, des déplacés et des destructions énormes. Le pays ne s’en remettra qu’au prix d’efforts incroyables. Des efforts qui, d’ailleurs, pèseront sur le portefeuille des Européens, donc le nôtre. Je me prends à rêver à un système qui permettrait de faire payer par les  dirigeants le prix de leurs erreurs ! Car en Ukraine également, qui paye le plus lourd tribu au chaos organisé par les dirigeants locaux avec le soutien de l’Union Européenne et des Etats Unis ? La population, bien sûr, qui pourtant n’est pour rien ou presque dans ce qui s’est passé.
On a beaucoup parlé aussi, en particulier en France, de la vente des navires Mistral, enfin surtout de leur livraison, car, curieusement, c’est la livraison qui a fait couler le plus d’encre. Mais l’élément déclencheur était bien la vente, non ? En août 2008, le président Sarkozy, alors président de l’Union Européenne intervenait dans le conflit entre la Russie et la Géorgie à la satisfaction générale, et en particulier à celle de la Russie. Il ne se laissait, en effet, pas impressionner par la propagande américaine ni celle de certains pays européens prétendant que la Russie avait attaqué son pauvre voisin, alors que l’assaillant était effectivement, la Géorgie, ce qu’une enquête de l’Union Européenne devait confirmer plus tard. Pour le remercier de son intervention, la Russie décidait de commander deux navires ce qui réglait un problème grave aux chantiers navals de Saint Nazaire. Je ne me souviens pas avoir entendu à l’époque de réactions négatives. Sauf, peut-être en Russie ou un bon nombre de militaires expliquaient que de tels navires ne correspondaient pas à la doctrine d’emploi de la marine russe. Ils n’ont pas été entendus du côté russe car il s’agissait aussi d’un acte politique qui visait à resserrer les liens entre la Russie et la France dans un domaine hautement stratégique, celui de la défense.
Mais en 2014, l’offensive contre la Russie était lancée par les Etats-Unis, via l’Otan et l’Union Européenne, par l’intermédiaire du coup d’état orchestré en Ukraine. Alors, il devenait impensable qu’un pays membre de l’Otan puisse livrer du matériel militaire à « l’ennemi ». On remarquera que c’est le même Nicolas Sarkozy qui a signé le contrat de vente des Mistral et qui a ramené la France dans le commandement intégré de l’Otan, rendant impossible la livraison de ce qu’il avait contribué à vendre…
Depuis quelques mois, les commentaires vont bon train. Livrer, ne pas livrer, tous les « grands esprits » de la politique française, ou presque ont donné leur avis, ce qui ne contribue évidemment pas à la clarté des débats. Du côté russe également, les commentaires se sont multipliés. Une fois la poussière des mouvements retombée, que reste-t-il ? On a parlé de pénalités astronomiques en cas de non livraison. Où en sommes-nous ? Le côté russe ne demande, en fait, que le remboursement des sommes versées. « Rendez-nous notre argent et gardez vos navires. Ils sont parfaitement adaptés à la doctrine d’emploi de la marine française qui n’est pas la nôtre et, en plus, ils sont extrêmement vulnérables, ce qui implique une organisation tactique particulière qui n’est pas non plus la nôtre ».
Le manquement à la parole ? Les Russes sont bien placé pour évaluer cet argument à sa juste valeur, eux qui ont renoncé, en septembre 2010, par décision du président de l’époque, Dimitri Medvedev, à livrer à l’Iran cinq batteries de missiles S300 pourtant dûment commandées et payées. Après des réactions enflammées, un accord a été trouvé comme un accord sera trouvé avec la France. Quelle influence cela aura-t-il sur la « signature française » au niveau international ? Sans doute beaucoup moins que ne veulent le dire des journalistes avides de sensations et qui ne connaissent pas grand chose à ce sur quoi ils prétendent avoir un avis.
Que reste-t-il de tout cela ? La France reste avec deux navires dont elle n’a pas besoin, des navires qu’il lui sera difficile de vendre ailleurs car ils ont été construits suivant des normes spécifiques au client initial et un constructeur privé qu’il va bien falloir indemniser. Avec quel argent ? Vous connaissez la réponse comme moi. Tâchez de vous en souvenir en 2017 ! Nous voilà donc, avec un problème franco-français.
Le plus important, à mon avis, n’est pas ce problème d’épicier. Le plus important est ce que la crise Ukrainienne a provoqué et que je n’ai pas vu soulevé par mes « chers confrères ». Il me faut admettre, ici, que je les lis de moins en moins et donc une éventuelle réaction de ce type a pu m’échapper. Le plus important donc c’est que maintenant, l’Europe ne peut plus faire semblant d’être indépendante. Elle ne l’était pas, c’est évident, mais elle pouvait toujours essayer de faire croire le contraire. Depuis l’affaire des Mistral, mais surtout depuis les sanctions décidées sous la pression des Etats-Unis et dont on a maintenant la preuve qu‘elles pénalisent l’Europe autant que le Russie, sinon plus, il n’est plus possible de prétendre que l’Europe a une politique indépendante des Etats-Unis. Mais le pire, c’est que maintenant le monde entier le sait, en particulier la Chine et la Russie. Et l’Europe sait que la Chine et la Russie le savent…
Vous pouvez imaginer comment vont se passer les réunions internationales en 2015 ? Les dirigeants européens avaient déjà abdiqué leurs responsabilités au profit de l’Union Européenne. « Je ne peux pas prendre ces décisions car elles vont à l’encontre des règlements européens ». Maintenant, j’ai admis que je ne pouvais pas non plus prendre de décisions sans l’approbation des Etats-Unis. Entre Bruxelles et Washington, quelle est la marge de manœuvre de, disons, au hasard, François Hollande ?
Est-ce qu’il commencerait à réaliser la situation et faudrait-il expliquer ainsi son escale rapide à Moscou en revenant d’Astana ? Ou est-ce que je continue à prendre mes désirs pour des réalités ?...

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