mercredi 7 janvier 2015

Saurons-nous sortir des sanctions contre la Russie ?


La question mérite d’être posée au moment où François Hollande semble prendre un virage plus conciliant vis à vis de Moscou. J’attends la réaction de l’Allemagne avant de me réjouir. D’autre part, les Etats-Unis qui sont à l’origine de ces sanctions ont mis un demi siècle à reconnaître que celles qu’ils appliquaient à Cuba étaient sans effet, ou plutôt n’ont pas produit les effets escomptés. Espérons que l’Union Européenne sera plus rapide. Il en va d’ailleurs de sa propre survie.
Ce que nous faisons aux autres en dit long sur ce que nous sommes. Cette phrase est un détournement du dicton « Ce que nous disons des autres en dit plus long sur nous-mêmes que sur les autres ». Elle me semble bien s’appliquer à la situation présente.
Je reviens d’un voyage en Ukraine et en Russie. J’ai passé le nouvel an chez des amis en banlieue de Moscou, et, nous nous sommes remémoré nos expériences des années 90. On ne le sait pas en Europe, ou on ne veut pas le savoir, mais la « période Eltsine » a été celle du chaos économique, politique et social à l’intérieur. A l’extérieur, ça a été celle de l’humiliation. Mes amis me rappelaient les visites de Michel Camdessus à Moscou quand la Russie vivait sous perfusion du FMI et de la Banque Mondiale. Les crises se sont succédées à cette époque. Notre hôte expliquait, à mon avis avec juste raison, qu’ « il y a plus d’expérience de la gestion des crises en Russie que dans n’importe quel autre pays européen ».
Cet élément est essentiel pour comprendre les réactions russes face à la crise actuelle, la chute du rouble et celle des prix du pétrole. Je remarquerais en passant que la chute du rouble amortit fortement celle des prix de l’or noir et ne l’aggrave pas comme semblent le penser certains de mes confrères.
Quel est le l’objectif des pays qui ont « décidé » les sanctions contre la Russie ? Officiellement, cela va de « faire comprendre à Moscou que son comportement en Crimée est inacceptable », à « provoquer un changement politique dans le pays », avec des nuances entre ces deux extrêmes.
Les sanctions sont supposées faire mal. Elle doivent provoquer un mal insupportable, et elle ont été calibrées en fonction de ce que les Occidentaux seraient prêts à supporter (c’est logique), mais la limite en Russie est beaucoup plus haute.
Il y a deux points sur lesquels les Occidentaux se trompent, leurs dirigeants, en tout cas. Le premier,  c’est que le peuple russe peut supporter des choses qui briseraient la volonté d’autres pays.
Le second c’est que la culture russe accorde une grande importance au groupe. Les spécialistes des relations interculturelles parlent de « communautarisme ». Ainsi, plus on appliquera de pression sur eux, plus les Russes feront bloc, et ils feront bloc autour de leurs dirigeants. On l’a vu depuis quelques mois, après l’agression occidentale contre la Russie, via l’Ukraine, la cote de popularité de Vladimir Poutine qui oscillait autour des soixante pour cent est rapidement passée au delà de quatre vingt pour cent.
Alors, il y a peut-être un point de rupture, un point au delà duquel le soutien au président baisserait au lieu d’augmenter. C’est ce que semble croire Barak Obama. Personnellement, j’en doute et l’histoire confirme mon impression. Mais même si ce point de rupture existe, il est forcément au delà du point de rupture des Occidentaux. Car les sanctions ne pénalisent pas seulement la Russie, mais les pays européens aussi, les statistiques le montrent clairement maintenant. L’Europe est en train de jouer sa survie, mais on ne le lui dit pas. La France joue son avenir, mais on lui cache.
Les sanctions sont destinées à faire mal. Nous décidons donc les sanctions en fonction de ce qui nous fait mal. Dans quel domaine a-t-on choisi d’appliquer ces sanctions ? Dans le domaine de l’économie et de la finance (des voyages aussi, mais c’est anecdotique).
Cela montre que les Occidentaux sont tellement habitués à vivre l’économie comme le centre de leur univers, qu’instinctivement c’est là qu’ils frappent. Ils oublient simplement que pour d’autres, dans d’autres pays, l’homme est toujours le centre de leur univers. Chez eux l’économie est au service de l’homme, et pas le contraire. Les rapports humains viennent avant les relations financières. Que l’économie aille moins bien n’est pas l’essentiel. Et puis, cela va passer. Les temps changeront comme le temps changera.
La nature des sanctions décidées est une nouvelle preuve que l’homme est oublié, dans les pays occidentaux, où l’économie a été mise au centre des préoccupations. Nous voyons tous les jours les dégâts que provoque cette approche. Mais on ne fait pas le lien entre les différents éléments du problème.
La conséquence de cela est que les pays Occidentaux ne sont pas prêts, psychologiquement à abandonner le système des sanctions. Abandonner ce système, c’est reconnaître que, dès le départ, on s’est trompé. Et il ne s’agit pas d’une erreur de détail, mais d’une erreur essentielle. Les Russes se moqueraient-ils de l’état de leur économie ? Une telle réaction, est la marque d’une autre erreur d’appréciation qui tient au point de vue occidental, à sa vision de la réalité qui n’est pas la réalité.  Alors, au début ils n’y croient pas, c’est impossible, se moquer de son économie ! Bien sûr les Russes se préoccupent d’économie, ils ont des statistiques économiques, et ils consomment, mais ce n’est pas le centre de leur vie.
Admettre cela, c’est admettre que d’autres pays, et pas des moindres, ne pensent pas comme eux et sont malgré tout heureux (allez voir les Russes chez eux en ce moment, rien ne semble avoir changé, sauf peut-être chez les mangeurs compulsifs de camembert, mais il y en a très peu…).
Les Russes qui dans les années 90 rêvaient de ressembler aux Etats-Unis ou aux pays de l’Union Européenne ont découvert ce qu’étaient ces pays et que leur façon de vivre ne leur convenait pas. Ils ont tourné leurs recherches existentielles vers eux-mêmes et leur Est, bien avant 2014. Ils ont aussi pris la mesure de l’incapacité de l’Union Européenne à gérer la crise économique et financière qui n’en finit pas depuis 2008/09. Cette prise de conscience s'est produite dans le courant de 2013 et c’est pour cela qu’ils se sont alors tournés vers les pays des BRICS.
La prise de conscience de l’inefficacité des sanctions sur la population russe serait une excellente occasion pour les Européens de réaliser qu’il y a une vie hors de l’économie et de la consommation.
La France n’est pas la Russie, c’est une évidence. La France devrait-elle copier la Russie ? Pas non plus. Mais la France devrait tirer de l’observation de la Russie un exemple à suivre. La Russie demande qu’on la laisse vivre sa différence et que chaque pays traite les autres pays comme des égaux, souverains et libre de vivre leur différence chez eux.
Ce serait l’occasion pour la France de redevenir ce qu’elle est, hors des schémas qui lui sont imposés de l’étranger. La France n’a jamais été aussi grande que quand elle était elle-même. Elle se cherche aujourd’hui car elle s’est perdue. Elle se sent envahie par des étrangers parce qu’elle ne sait plus qui elle est. Se retrouver, ce n’est pas un recul, un retour en arrière, c’est accepter sa différence et, par voie de conséquence celle des autres. C’est à ce prix qu’elle retrouvera la possibilité de vivre harmonieusement avec des gens qui ne sont pas comme elle. Quand elle saura de nouveau qui elle est.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire