La question mérite d’être
posée au moment où François Hollande semble prendre un virage plus conciliant
vis à vis de Moscou. J’attends la réaction de l’Allemagne avant de me réjouir.
D’autre part, les Etats-Unis qui sont à l’origine de ces sanctions ont mis un
demi siècle à reconnaître que celles qu’ils appliquaient à Cuba étaient sans
effet, ou plutôt n’ont pas produit les effets escomptés. Espérons que l’Union
Européenne sera plus rapide. Il en va d’ailleurs de sa propre survie.
Ce que nous faisons aux
autres en dit long sur ce que nous sommes. Cette phrase est un détournement du
dicton « Ce que nous disons des autres en dit plus long sur nous-mêmes que
sur les autres ». Elle me semble bien s’appliquer à la situation présente.
Je reviens d’un voyage en
Ukraine et en Russie. J’ai passé le nouvel an chez des amis en banlieue de
Moscou, et, nous nous sommes remémoré nos expériences des années 90. On ne le
sait pas en Europe, ou on ne veut pas le savoir, mais la « période
Eltsine » a été celle du chaos économique, politique et social à
l’intérieur. A l’extérieur, ça a été celle de l’humiliation. Mes amis me
rappelaient les visites de Michel Camdessus à Moscou quand la Russie vivait
sous perfusion du FMI et de la Banque Mondiale. Les crises se sont succédées à
cette époque. Notre hôte expliquait, à mon avis avec juste raison, qu’ « il
y a plus d’expérience de la gestion des crises en Russie que dans n’importe
quel autre pays européen ».
Cet élément est essentiel
pour comprendre les réactions russes face à la crise actuelle, la chute du
rouble et celle des prix du pétrole. Je remarquerais en passant que la chute du
rouble amortit fortement celle des prix de l’or noir et ne l’aggrave pas comme
semblent le penser certains de mes confrères.
Quel est le l’objectif
des pays qui ont « décidé » les sanctions contre la Russie ?
Officiellement, cela va de « faire comprendre à Moscou que son
comportement en Crimée est inacceptable », à « provoquer un
changement politique dans le pays », avec des nuances entre ces deux
extrêmes.
Les sanctions sont
supposées faire mal. Elle doivent provoquer un mal insupportable, et elle ont
été calibrées en fonction de ce que les Occidentaux seraient prêts à supporter
(c’est logique), mais la limite en Russie est beaucoup plus haute.
Il y a deux points sur
lesquels les Occidentaux se trompent, leurs dirigeants, en tout cas. Le premier,
c’est que le peuple russe peut supporter
des choses qui briseraient la volonté d’autres pays.
Le second c’est que la
culture russe accorde une grande importance au groupe. Les spécialistes des
relations interculturelles parlent de « communautarisme ». Ainsi, plus
on appliquera de pression sur eux, plus les Russes feront bloc, et ils feront
bloc autour de leurs dirigeants. On l’a vu depuis quelques mois, après
l’agression occidentale contre la Russie, via l’Ukraine, la cote de popularité
de Vladimir Poutine qui oscillait autour des soixante pour cent est rapidement
passée au delà de quatre vingt pour cent.
Alors, il y a peut-être
un point de rupture, un point au delà duquel le soutien au président baisserait
au lieu d’augmenter. C’est ce que semble croire Barak Obama. Personnellement,
j’en doute et l’histoire confirme mon impression. Mais même si ce point de
rupture existe, il est forcément au delà du point de rupture des Occidentaux.
Car les sanctions ne pénalisent pas seulement la Russie, mais les pays
européens aussi, les statistiques le montrent clairement maintenant. L’Europe
est en train de jouer sa survie, mais on ne le lui dit pas. La France joue son
avenir, mais on lui cache.
Les sanctions sont
destinées à faire mal. Nous décidons donc les sanctions en fonction de ce qui
nous fait mal. Dans quel domaine a-t-on choisi d’appliquer ces sanctions ?
Dans le domaine de l’économie et de la finance (des voyages aussi, mais c’est
anecdotique).
Cela montre que les
Occidentaux sont tellement habitués à vivre l’économie comme le centre de leur
univers, qu’instinctivement c’est là qu’ils frappent. Ils oublient simplement
que pour d’autres, dans d’autres pays, l’homme est toujours le centre de leur
univers. Chez eux l’économie est au service de l’homme, et pas le contraire. Les
rapports humains viennent avant les relations financières. Que l’économie aille
moins bien n’est pas l’essentiel. Et puis, cela va passer. Les temps changeront
comme le temps changera.
La nature des sanctions
décidées est une nouvelle preuve que l’homme est oublié, dans les pays
occidentaux, où l’économie a été mise au centre des préoccupations. Nous voyons
tous les jours les dégâts que provoque cette approche. Mais on ne fait pas le
lien entre les différents éléments du problème.
La conséquence de cela
est que les pays Occidentaux ne sont pas prêts, psychologiquement à abandonner
le système des sanctions. Abandonner ce système, c’est reconnaître que, dès le
départ, on s’est trompé. Et il ne s’agit pas d’une erreur de détail, mais d’une
erreur essentielle. Les Russes se moqueraient-ils de l’état de leur
économie ? Une telle réaction, est la marque d’une autre erreur
d’appréciation qui tient au point de vue occidental, à sa vision de la réalité
qui n’est pas la réalité. Alors, au
début ils n’y croient pas, c’est impossible, se moquer de son économie !
Bien sûr les Russes se préoccupent d’économie, ils ont des statistiques
économiques, et ils consomment, mais ce n’est pas le centre de leur vie.
Admettre cela, c’est
admettre que d’autres pays, et pas des moindres, ne pensent pas comme eux et
sont malgré tout heureux (allez voir les Russes chez eux en ce moment, rien ne
semble avoir changé, sauf peut-être chez les mangeurs compulsifs de camembert,
mais il y en a très peu…).
Les Russes qui dans les
années 90 rêvaient de ressembler aux Etats-Unis ou aux pays de l’Union Européenne
ont découvert ce qu’étaient ces pays et que leur façon de vivre ne leur
convenait pas. Ils ont tourné leurs recherches existentielles vers eux-mêmes et
leur Est, bien avant 2014. Ils ont aussi pris la mesure de l’incapacité
de l’Union Européenne à gérer la crise économique et financière qui n’en finit
pas depuis 2008/09. Cette prise de conscience s'est produite dans le courant de 2013 et c’est pour cela qu’ils se sont alors tournés vers les pays des
BRICS.
La prise de conscience de
l’inefficacité des sanctions sur la population russe serait une excellente
occasion pour les Européens de réaliser qu’il y a une vie hors de l’économie et
de la consommation.
La France n’est pas la
Russie, c’est une évidence. La France devrait-elle copier la Russie ? Pas non
plus. Mais la France devrait tirer de l’observation de la Russie un exemple à
suivre. La Russie demande qu’on la laisse vivre sa différence et que chaque
pays traite les autres pays comme des égaux, souverains et libre de vivre leur
différence chez eux.
Ce serait l’occasion pour
la France de redevenir ce qu’elle est, hors des schémas qui lui sont imposés de
l’étranger. La France n’a jamais été aussi grande que quand elle était
elle-même. Elle se cherche aujourd’hui car elle s’est perdue. Elle se sent
envahie par des étrangers parce qu’elle ne sait plus qui elle est. Se
retrouver, ce n’est pas un recul, un retour en arrière, c’est accepter sa
différence et, par voie de conséquence celle des autres. C’est à ce prix
qu’elle retrouvera la possibilité de vivre harmonieusement avec des gens qui ne
sont pas comme elle. Quand elle saura de nouveau qui elle est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire