Je pense, comme beaucoup
de mes confrères que ce à quoi nous venons d’assister est le début de la fin de
l’Europe, en tout cas de cette Europe que les technocrates bruxellois ont
cherché à mettre en place ces dernières années.
Cette Europe ne pouvait
subsister longtemps. Elle existe encore à cause (ou grâce) à divers subterfuges
inventés par des politiques démissionnaires qui, à un moment donné, ont trouvé
commode de se décharger d’une part importante de leurs responsabilités devant
leur apparente incapacité à faire vivre leur pays dans le paradigme néolibéral
que veut leur imposer la puissance dominante du moment.
Ce transfert de
responsabilité voulu par les nouveaux maîtres du monde a été possible parce que
les deux parties y trouvaient leur intérêt. D’une part, les politiques
pouvaient se cacher derrière les règles communes afin de s’exonérer auprès de
leurs électeurs de la responsabilité de l’échec de leurs politiques. De l’autre
des technocrates royalement rémunérés ne voyaient pas d’inconvénients à
endosser ces responsabilités puisqu’ils n’ont pas de compte à rendre à un
quelconque électorat et que cela ne faisait que renforcer leur pouvoir, donc
assurer la pérennité de leur position.
Ce faisant, la démocratie
était étranglée par des dirigeants de fait qui n’étaient pas comptables des
reculs démocratiques que leur politique imposait, tandis que ceux qui en sont
normalement comptable pouvaient rejeter la responsabilité sur d’autres.
Si seulement les
technocrates savaient comment gérer ce bateau ivre qu’est devenu l’Europe et
assurer aux populations un minimum de qualité de vie, ce système aurait pu
persister, tant il est vrai que dans une ambiance de bien être minimum, il est
difficile aux idéalistes de tous bords de susciter des mouvements de
protestation.
Au départ, le scénario
semblait bien réglé. Construire une Europe qui canalisera les énergies de
chacun de ses membres, sans pour autant accéder à une puissance économique qui
en fasse un rival dangereux pour les Etats-Unis. Pour cela il fallait pousser à
un élargissement continu et mal maitrisé qui empêchait tout progrès réel dans
le domaine de l’intégration afin de garder l’ensemble à un niveau économique
non inquiétant. La stratégie a parfaitement fonctionné. Dans ce cas de figure
de regroupement d’états dans une entité unique, il faut à tout moment choisir
entre l’élargissement et l’approfondissement des liens. Les Brics l’on bien
compris qui, pour le moment, refusent d’accueillir de nouveaux membres.
De son côté, l’Europe a
poursuivi une course folle à l’élargissement qui n’a fait que l’affaiblir, ce
qui, nous venons de le dire, était le but recherché. Les pressions sont
peut-être allées un peu trop loin quand les Etats-Unis ont poussé à
l’intégration de la Turquie dans l’Europe. C’était le pas de trop, mais qui n’a
pas pour autant déclenché de prise de conscience dans les opinions publiques
européennes.
De toute façon, cette
intégration de la Turquie n’était pas nécessaire à l’accomplissement du dessein
concernant le contrôle de la puissance de l’Europe. Une nouvelle composante
venait jouer ce rôle : la monnaie unique. Cette monnaie unique mal pensée,
mal organisée et mal gérée portait en elle, dès sa mise en place les germes qui
allaient plonger l’Europe dans une maladie incurable dont nous voyons
aujourd’hui les effets s’aggraver.
Car, pour faire bonne
mesure, il fallait non seulement imposer ce carcan qui en quelques années a
plongé l’ensemble de l’Europe dans l’austérité, mais y faire entrer au moins un
germe supplémentaire qui assurerait l’affaiblissement définitif du malade. Ce
germe a été, pour son malheur, la Grèce, qui est à l’origine, à son corps
défendant, d’une aggravation de l’état du malade qui pourrait causer sa perte.
La Grèce n’aurait jamais du entrer dans la zone euro, beaucoup l’on dit avant
moi et ce, pour certains, dès 2001. Elle ne remplissait pas les critères
d’admission et ses comptes publics ont été falsifiés par les oligarques au
pouvoir à Athènes, à l’époque, avec l’aide d’une grande banque d’affaires
américaine. La décision était politique et les prétextes données à l’époque
cachaient cette volonté d’affaiblir la construction européenne.
Une sortie de la Grèce de
la zone euro était dangereuse pour l’oligarchie au pouvoir car elle ouvrait la
voie de la sortie à d’autres pays qui souffrent particulièrement du carcan de
l’euro. D’autre part, il est possible voir probable qu’après une période
particulièrement difficile le pays s’en sorte mieux une fois hors de l’euro.
Quel déplorable exemple cela serait pour les pays qui y seraient encore. Il
fallait donc tout faire pour empêcher Alexis Tsipras de tenir ses promesses
électorales et de donner une chance à la Grèce. Et tout a effectivement été
fait.
Guerre médiatique avant
et pendant les négociations, prises de positions publiques de dirigeants
européens. A ce propos, on notera que Mme. Merkel a fait preuve d’indépendance
vis à vis des Etats-Unis en évoquant une sortie possible de la Grèce de la zone
euro alors que Washington faisait, on le comprend, campagne pour un compromis
qui maintienne le pays dans la zone. François Hollande, lui, en bon petit
soldat atlantiste, a suivi dès le début la ligne des Etats-Unis. Cela dit, il
s’agissait peut-être simplement, du côté d’Angela Merkel de lâcher un peu de
lest face aux réactions de la classe politique allemande de plus en plus
opposée à un maintient de l’aide à la Grèce.
Jean-Claude Junker,
fidèle à lui même et à son mépris de la démocratie recevait à Bruxelles, malgré
les résultats du référendum grec, ou peut-être à cause d’eux, d’ailleurs, des
représentants de l’opposition grecque, les anciens dirigeants qui avaient mis
leur pays dans ce pétrin et sont toujours prêts à tout faire pour l’y
maintenir.
Puis vinrent ces « négociations
marathon » de près de dix sept heures, le Grèce seule devant les
représentants des autres état membres de la zone euro prêts à tout pour la
faire plier. Au matin, telle la chèvre de Monsieur Seguin[1],
et selon l’expression de Jacques Sapir sur son blog, « ce lundi 13 juillet, le
Premier-ministre grec, M. Alexis Tsipras, a fini par capituler. Il a capitulé
sous les pressions insensées de l’Allemagne, mais aussi de la France, de la
Commission européenne et de l’Euro groupe ».
Jacques Sapir poursuit en
expliquant qu’à son avis, « Cet accord est un accord détestable, et pour
plusieurs raisons. Il l’est dans le domaine économique. Il saigne à nouveau
l’économie grecque sans lui offrir la nécessaire et réelle bouffée d’oxygène
dont elle avait besoin. (…) Cet accord est aussi détestable dans le domaine
financier. Il engage donc le Mécanisme Européen de Stabilité, ou MES. Mais, cet
engagement sera appelé à grandir régulièrement. L’économie grecque va, en
effet, continuer à s’enfoncer dans la dépression[2]. »
Pour mon confrère Pepe Escobar,
l’Allemagne a sauvé l’euro en humiliant
la Grèce. Je partage la deuxième partie de sa phrase tout en émettant de
sérieux doute sur la première. Il ne s’agit pas d’un sauvetage et en tout cas
le résultat ne eut être que temporaire.
Paul Krugman, lui, sur
son blog du New York Times, titre à propos du résultat des négociations de
l’Euro groupe : « Killing the European project[3] ».
Quant aux Suisses de le
Tribune de Genève qui ne sont pourtant pas réputés pour leurs excès dans le
domaine émotionnel, ils titrent « La Grèce reste dans l’euro, un pistolet
sur la tempe[4] ».
Nous ne sommes sans doute
pas en train d’assister, espérons le au moins, à la fin de l’Europe, mais
plutôt au début de la fin d’une certaine idée de l’Europe, cette Europe anti
démocratique que les fonctionnaires de Bruxelles essayent depuis de nombreuses
années de nous imposer. Il faut maintenant tout faire pour accélérer ce
processus afin de pouvoir, sur les ruines des erreurs passées, construire cette
nouvelle Europe que beaucoup appellent de leurs vœux, une Europe des nations,
libre de toute ingérence étrangère, qui ne se confonde plus avec l’Otan, une
Europe de la coopération démocratique construite autour de ce qui rassemble le
nations et leurs populations et non pas contre tel ou tel adversaire, contre
tel ou tel danger réel ou hypothétique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire