J’ai reçu ces derniers jours plusieurs messages
m’accusant d'être de parti pris en faveur de la Russie. Certains messages
étaient fort courtois, d’autres plutôt incohérents et injurieux. C’est aux
auteurs des premiers que j’aimerais m’adresser.
Je comprends que ce que j’écris puisse vous
paraître un peu pro-russe et je voudrais simplement vous faire deux remarques.
La première est que toute impression est relative. J’en suis convaincu et il
est vrai que par rapport à ce qu’écrivent les médias français votre réaction ne
me surprend pas. Mais les médias français sont-ils objectifs ? La deuxième est
que, quelque soit le sujet abordé, je prends soin de séparer l’énoncé des faits
de leur analyse. Cette analyse est la mienne et je prend soin de ne pas me
cacher derrière des « nous », des « on » ou des « les
spécialistes pensent que… ». Je parle à la première personne. Je cherche à
rester le plus objectif possible, mais je sais très bien que l’objectivité
totale est une vue de l’esprit. Vous pouvez, vous devez même (si je peux me
permettre cette injonction) lire mes articles avec un esprit critique. Si leur
lecture vous amène à lire les autres avec le même esprit critique, je
considèrerai que j’ai atteint mon objectif. Merci à ceux qui m’écrivent.
Ainsi donc la capitale de
Biélorussie a accueilli hier une réunion des dirigeants de l’Union Economique
Eurasiatique (Russie, Biélorussie et Kazakhstan), de l’Union Européenne et de
l’Ukraine.
Il s’agit d’une première
de ce type qui devrait être suivie de plusieurs autres réunions, peut-être à
des niveaux inférieurs pour chaque pays participant. Je l’espère car, sinon, si
cette réunion n’est pas la première d’une série, alors, le résultat est
particulièrement décevant, voir inquiétant.
Chacun des présidents a
fait une déclaration liminaire. Le président biélorusse, M. Alexandre
Lukashenko, l’hôte de la réunion, le président Kazakh, M. Noursoultan
Nazarbaïev et Mme. Ashton on insisté sur la nécessité de faire cesser au plus
vite l’effusion de sang dans le sud de l’Ukraine. C’est sans doute le seul
point d’accord entre tous les participants. A condition, bien entendu de ne pas
chercher à savoir comment chacun compte arriver à ce résultat.
M. Poutine qui parlait en
avant dernière position a abordé le problème des relations économiques dans la
région. La position russe est qu’en signant l’accord d’association avec l’Union
Européenne, l’Ukraine a renoncé à son traitement privilégié de la part de
l’Union Economique Eurasiatique. Cela aura des conséquences financières
négatives à la fois pour l’Ukraine et pour la Russie.
En effet les deux
économies sont restées très liées après l’indépendance de 1991 dans le cadre de
la Communauté des Etats Indépendants (CEI). Les liens sont très forts dans le
domaine énergétique, le gaz évidemment, mais le nucléaire aussi (je rappellerai
à nos lecteurs qui n’étaient pas nés lors de la catastrophe du 26 avril 1986,
que la centrale de Tchernobyl se trouve en Ukraine). Les liens sont aussi très
fort dans la construction aéronautique, où se sont créées des chaînes
technologiques uniques (certains éléments des avions et hélicoptères russes
sont fabriqués en Ukraine). Les banques russes gèrent 30% des flux financiers ukrainiens
et les échanges commerciaux entre les deux pays atteignaient 50 milliards de dollars en 2013.
Après la ratification de
l’accord d’association, les marchandises ukrainiennes n’entreront plus en
Russie en franchise de droits, mais devront acquitter des droits de douane de
7,8%, comme les marchandises européennes.
En ce qui concerne les
pertes côté russe, M. Poutine a expliqué que selon les calculs d’économistes
russes, ce nouvel état de fait pourrait coûter à la Russie jusqu’à 100
milliards de roubles (2,1 milliards d’euros). C’est une des raisons pour lesquelles
la Russie se sent tellement concernée par ce qui se passe en Ukraine.
Le président russe a
poursuivi en déclarant : « La Russie est prête à reconnaître le choix
souverain de n’importe quel peuple pour son développement, mais pas à nos
dépends ».
Parlant le dernier, le
président ukrainien, M. Poroshenko n’a pas rassuré ceux qui, comme moi,
espéraient le voir faire preuve d’un peu plus de souplesse dans son approche.
Après les remerciements d’usage, son discours s’adressait manifestement au seul
président russe. Il s’est d’ailleurs (était-ce l’émotion) exprimé en russe
alors que l’on avait prévu des traducteurs ukrainien-russe.
Il a commencé par
expliquer, en toute modestie, que « c’est le sort du monde qui ce joue
ici à Minsk», et qu’il ne fallait pas, par conséquent, commencer par des
accusations (pourvu qu’il ne nous parle pas, d’ici peu, de la « destinée
manifeste » du peuple ukrainien).
Mais la suite était plus
inquiétante pour l’avenir des discussions. Il a expliqué que le peuple
ukrainien avait fait son choix, qu’il s’agissait d’un choix « pour
l’Europe et la démocratie et pour un statut unitaire » (adieu la
fédéralisation !). Pour faire bonne mesure, il a ensuite déclaré :
« je suis persuadé que personne ne veut la guerre », oubliant que
c’est tout de même son armée qui est engagée dans la guerre civile, mais
n’oubliant pas d’évoquer les « terroristes » qui abattent un avion
civil ou font défiler des prisonniers militaires ukrainiens dans le centre de
Donetsk, demandant ensuite que l’on soutienne son plan de paix.
Mais ce plan de paix
suppose la reddition des « terroristes ». La guerre civile a donc de
bonnes chances de continuer. M. Poroshenko a toutefois reconnu que la situation
humanitaire dans le sud de l’Ukraine était « très préoccupante ».
Sur la base de toutes ces
déclarations, la situation paraît sans issue…
Les discussions privées
entre dirigeants ne semblent pas avoir non plus fait avancer la solution des
problèmes. Au contraire, après une rencontre entre Mme. Ashton et M. Poroshenko,
ce dernier a annoncé que pas une ligne ne serait changée à l’accord d’association
signé entre l’Ukraine et l’Union Européenne.
Les participants à la
réunion nous annoncent la préparation d’une « feuille de route »,
expression à la mode dont journalistes et hommes politiques sont très friands,
sans doute parce qu’elle peut désigner tout et n’importe quoi. On se met
d’accord sur un point à atteindre en fixant un vague chemin à suivre alors que
chacun est bien décidé à suivre son propre chemin. Il s’agit surtout de donner
l’impression que l’on est arrivé à quelque chose quand, en réalité, en n’est
arrivé à rien.
Les Etats-Unis n’étaient
pas officiellement représentés à Minsk, mais, en ce qui me concerne j’y ai vu
un de leurs porte-parole, M. Poroshenko. La résolution entre européens d’un
problème européen n’est pas encore en marche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire