dimanche 24 août 2014

Ukraine : la visite à Kiev de Mme Merkel


La chancelière allemande s’est donc rendue à Kiev où elle a rencontré le président Poroshenko et le premier ministre Yatseniouk (celui que Mme Nuland appelle familièrement « Yats »).
La plus grande partie des discussions a eu lieu loin des journalistes. On ne peut donc que s’en remettre à la déclaration liminaire de M. Poroshenko et à ce qui a été dit lors de la conférence de presse.
Le président ukrainien a présenté Mme. Merkel comme une amie de l’Ukraine et son meilleur avocat en Europe, précisant que, ce deux derniers mois ils avaient eu plus de vingt contacts directs.
Lors de la conférence de presse, Mme. Merkel a déclaré que le sujet principal de cette rencontre était la paix dans le sud et l’est du pays ainsi que la reconstruction. Une réunion des amis de l’Ukraine (tiens l’expression nous rappelle quelque chose) aura lieu en septembre au cours de laquelle les partenaires européens annonceront un soutien financier. Certains confrères appellent déjà cela le « plan Merkel ». La chancelière a parlé d’une enveloppe de 500 millions d’euros. On se souvient que M. Yatseniouk avait, lui, placé la barre plus haut à huit milliards d’euros.
En ce qui concerne la paix, Mme. Merkel a annoncé qu’elle soutenait les négociations de Minsk mardi prochain au cours desquelles M. Poroshenko va présenter son plan de paix traitant des questions de décentralisation, d’amnistie, de reconstruction des infrastructures et de certaines garanties sociales non précisées. Le président ukrainien doit également parler des relations économiques entre l’Ukraine, l’Union Européenne et l’Union Economique Eurasiatique. Ce sera sans doute le sujet le moins délicat, car la simple liste des différents points du plan de paix ressemble beaucoup plus à une liste de problèmes épineux qu’à une liste de solutions. Le démarrage de ce plan posera de grosses difficultés et sa mise en œuvre prendra énormément de temps à supposer que Kiev et le Dombass arrivent à un accord de principe, ce qui ne sera pas simple.
D’autant que nous avons vu comment M. Poroshenko, soutenu par ses parrains américains, concevait la mise en œuvre de ses idées dans le Dombass et la « souplesse » dont il était capable dans les négociations.
Mais pour Mme. Merkel, il n’y a pas de problèmes, ou presque. L’Ukraine doit seulement retrouver la maîtrise de sa frontière afin que les armes ne puissent plus la traverser. « Nous avons parlé de la question de la langue russe, et ce n’est pas un problème. Nous avons parlé d’identité nationale et il n’y a pas de problème non plus. Ce que nous appelons fédéralisation, ici, on l’appelle décentralisation, mais c’est la même chose ». Bien sûr, sauf que le président ukrainien devait ensuite préciser que la fédéralisation n’avait aucun sens dans la situation ukrainienne actuelle.
De son côté, le vice-chancelier allemand M. Sigmar Gabriel a été plus précis dans une interview au “Welt am Sonntag” : "On peut préserver l'intégrité territoriale de l'Ukraine uniquement si on fait une proposition aux régions à majorité russophone. Le concept raisonnable de fédéralisation me paraît la seule solution possible". Comprenne qui pourra.
Enfin, comme il ne faut pas désespérer Washington qui a déjà bien des soucis par ailleurs, Mme. Merkel a repris le refrain habituel en ce qui concerne les sanctions : « (…) de nouvelles sanctions contre la Russie ne sont pas la question principale mais sont une possibilité si la situation en Ukraine empire. » Elle n’a pas non plus oublié de préciser que la reconnaissance du rattachement de la Crimée à la Russie serait un danger pour l’Europe qui pourrait se trouver face à des revendications similaires dans plusieurs pays européens.
Voilà pour le festival officiel. Voyons maintenant du côté du festival « off » comme on dit à Avignon. Commençons par la presse ukrainienne. On peut y lire, après cette visite tombant à une date symbolique, la veille de la fête de l’indépendance de l’Ukraine, des commentaires très optimistes. Mme. Merkel est venue promettre plein de bonnes choses. On retrouve le type d’enthousiasme irréel de la première période de Maïdan quand l’Europe était décrite comme un paradis auquel une grande partie de la population croyait. Je citerai, à titre d’exemple, ces articles ukrainiens qui annoncent que l’Allemagne a accepté de payer des dommages de guerre à l’Ukraine pour compenser les morts et les destructions des deux guerres mondiales. Certains citent le chiffre de mille milliards de grivna (environ 56 milliards d’euros au dernier cours disponible). On parle même d’un plan de paiement conclu lors de cette visite.
Dans un registre plus sérieux, que pouvons-nous tirer de ce que nous avons vu et entendu, ou plutôt de ce que nous n’avons pas entendu. Toutes les déclarations officielles avaient le caractère convenu auquel nous sommes habitués.
Qu’est-ce que Mme. Merkel est venue faire à Kiev ? Comme je le mentionnais dans un article précédent, cette visite est un cadeau diplomatique qui doit comporter des contreparties. Elle a lieu juste avant la rencontre de Minsk ou M. Poroshenko va rencontrer M. Poutine. Je pense que le gros de la discussion a été, de la part de Mme. Merkel, un recadrage sérieux du président ukrainien.
Ce dernier a bénéficié depuis plusieurs mois d’un soutien quasi sans failles de la part des Etats-Unis et de l’Europe. Il est probable que l’ampleur de ce soutien lui a fait perdre le sens des réalités et la chancelière est, à mon avis, venue lui rappeler ces réalités.
On se souvient de l’épisode de l’agression géorgienne de l’Ossétie du Sud qui a provoqué la réaction militaire de la Russie en août 2008. Comment la Géorgie pouvait-elle imaginer qu’elle pouvait ainsi provoquer la Russie sans en subir de conséquences négatives ? Le président Saakashvili avait bénéficié aussi d’un fort soutien américain et se croyait protégé par son puissant ami. Il n’avait pas réalisé que ce soutien, comme celui apporté maintenant à l’Ukraine ne lui était pas vraiment destiné, mais était destiné à servir les intérêts géostratégiques américains. Quand il a attaqué, les Etats-Unis n’ont pas réagit, mais se sont trouvés dans une situation politiquement extrêmement désagréable. On ne veut pas renouveler l’expérience avec l’Ukraine. Il faut donc remettre son président à sa vraie place.
Mme. Merkel lui a donc vraisemblablement expliqué comment il devait se conduire à Minsk avec l’aide (ou sous le contrôle ?) des représentant de l’Europe. M. Poroshenko n’est pas un homme politique, encore moins un homme d’état. C’est un oligarque dont la fortune se trouve dans des banques qui ne sont pas hors de portée de sanctions internationales. Il est donc vraisemblable qu’il agira « comme il faut ». Mais les événements récents en Ukraine montrent qu’il n’était pas mauvais de prendre la peine de le lui rappeler.
Car si, officiellement, il était question évidemment de la paix dans le sud du pays, la grande question qui préoccupe l’Europe, c’est le gaz. Or n’a-t-on pas mentionné récemment à Kiev, la possibilité de couper le transit de gaz à travers l’Ukraine, à titre de sanction contre la Russie ? La simple mention de ce genre d’action a de quoi inquiéter sérieusement les « protecteurs » de l’Ukraine. Elle a, en tout cas, fait monter la fièvre sur le marché spot du gaz…
Que peut-on enfin attendre du côté russe ? Pour le Kremlin, la solution du problème ukrainien a déjà été négociée et un accord a été approuvé à Genève par les parties concernées. Je ne crois pas que la partie russe soit prête, dans la situation actuelle à revenir sur cet accord. Ceux qui se demandent encore « ce que veut la Russie »  ne font pas montre de curiosité mais d’incompréhension. D’autre part, mes contacts fréquents avec des confrères russes me laissent à penser que la position russe a changé sérieusement ces dernières semaines. Ce qui m’inquiète, c’est que les parties américaine et européenne ne semblent pas avoir noté ce changement ou aient simplement décidé de l’ignorer.
Deux évènements révèlent à mon avis très bien ce changement d’orientation de la politique russe mais aussi de l’opinion publique.
Le premier est l’imposition de contre-sanctions. On connaît l’embargo décidé sur les produits agro-alimentaires. Ce qui me frappe, c’est le temps que la Russie a mis à réagir. On nous a dit qu’il fallait réfléchir mûrement avant de prendre ce genre de décision. Mais le temps de la réflexion a été bien long. C’est sans doute parce que les sanctions européennes on vraiment eu un gros impact sur la Russie sur le plan psychologique. Tout le monde à Moscou avait intégré l’idée que les Etats-Unis n’était plus un partenaire comme on l’avait cru pendant une dizaine d’années, mais un adversaire, les sanctions américaines n’ont donc pas été une surprise.
Mais le gouvernement russe et l’opinion publique ont continué longtemps à voir l’Europe comme un partenaire, voir même comme des pays amis pour certains d’entre eux, l’Allemagne en particulier. Les sanctions européennes ont donc été un gros choc psychologique. D’autant que d’une part, on ne voyait pas la logique de cette décision puisque ce sont les Etats-Unis qui ont organisé les évènements ukrainiens avec le soutien de l’Europe et, d’autre part, on savait bien que l’Europe a beaucoup à perdre dans une lutte de sanctions, beaucoup plus que les Etats-Unis.
Il donc a fallu du temps pour intégrer cette nouvelle dimension, c’est pourquoi la réflexion a été si longue. Mais le simple fait que la Russie ait finalement décidé des contre-sanctions visant l’Europe est la preuve que cette nouvelle dimension des relations est maintenant intégrée. Comme le faisait remarquer récemment le politologue russe Fedor Loukianov, « Depuis le milieu des années 1980, notre politique étrangère était fondée sur le rapprochement avec l’Occident, en dépit des diverses épreuves qu’il nous a fallu surmonter en conséquence. (…) Au début, c’était un rêve, mais après un certain temps, l’idée s’est largement répandue qu’il s’agissait d’une «nécessité». Aujourd’hui, à l’inverse, le gouvernement russe déclare que le maintien de relations privilégiées avec l’Occident n’est pas si indispensable, et que sur certains sujets, nous devons agir depuis le seul point de vue de nos intérêts nationaux. »
Une fois ce virage pris, la signification des sanctions a changé pour la Russie. Etant donné le patriotisme russe, cette capacité à traverser les épreuves dont le pays a fait la preuve tout au long de son histoire et sa patience, je ne pense pas que de nouvelles sanctions le feront plier, bien au contraire, cela ne fera que renforcer sa résistance.
Le deuxième élément est l’opération humanitaire russe pour le Dombass. Personne ne s’est évidemment opposé ouvertement au principe d’un convoi humanitaire. Comment le pourrait-on. Mais on a fait ce que l’on pouvait pour empêcher une intervention russe sur ce terrain. Côté américain, on a fait « dans la légèreté », comme d’habitude et le porte parole du département d’état a déclaré : « Aujourd’hui, en violation de ses engagements et du droit international, des véhicules militaires russes peints de façon a ressembler à des véhicules civils sont entrés de force en Ukraine. »
De son côté, Kiev a tout fait pour bloquer ce convoi, préférant évidemment maintenir la situation humanitaire désespérée dans l’espoir d’une victoire prochaine sur la rébellion. Après une semaine de tergiversations administratives, le dernier argument utilisé a été « vous ne pouvez pas accéder à Lougansk en raison des bombardements qui y ont lieu. » Mais justement, c’est Kiev qui bombardait…
Malgré cela, le ministère russe des affaires étrangères a annoncé en fin de semaine dernière que le convoi entrerait en Ukraine, ajoutant, « nous mettons en garde contre toute tentative de contrecarrer cette mission purement humanitaire qui a nécessité une longue préparation dans des conditions de transparence complète et de coopération avec la partie ukrainienne et le Comité International de la Croix Rouge. Ceux qui seraient décidés à continuer de sacrifier des vies humaines à leur propre ambition et à leurs projets géopolitiques et qui foulent grossièrement au pied les normes et principes du droit humanitaire international assumeront totalement les conséquences de provocations contre ce convoi d’aide humanitaire. »
La menace est à peine voilée et les parties concernées clairement définies. Qui donc, en effet peut-on accuser d’avoir des « projets géopolitiques » en Ukraine ? A mon avis, cette déclaration du ministère signifie deux choses. La première est que le point de non retour est presque atteint. La seconde est que la Russie a pris la décision de répliquer par tous les moyens, y compris militaires à une poursuite de la situation actuelle.
D’un côté, Mme. Merkel dit « de nouvelles sanctions sont possibles », de l’autre, la Russie dit « une intervention militaire est possible ». L’épisode du convoi humanitaire est la preuve que Moscou peut intervenir dans le sud de l’Ukraine avec ou sans l’accord des occidentaux dont le statut est passé de « partenaires » à « adversaires ». La situation est maintenant explosive et il ne faudrait pas laisser les Ukrainiens jouer avec des allumettes sous prétexte que les Etats-Unis les protègent…

1 commentaire:

  1. Ne pas oublier le rôle énorme de la Pologne, qui non seulement a mis ses bases à disposition pour l'entrainement des émeutiers, mais qui pousse au crime à l'excès actuellement.
    Ils veulent une revanche sur les Russes en s'appuyant sur l'Otan, et se croient à l'abri ces c.ns

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