jeudi 9 avril 2015

Les USA en guerre contre les Etats Unis (II)


Ceci est le deuxième d'une série de cinq articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en reste.

Les faiblesses militaires
Les dirigeants militaires américains citent volontiers la menace terroriste pour justifier les interventions extérieures et l’accroissement exponentiel du budget militaire. En 2014, les Etats-Unis ont dépensé pour leur armée 661 milliards de dollars soit environ 1,8 milliard par jour. Cela représente également le total des dépenses des neufs pays suivant dans la liste des dix pays qui dépensent le plus pour leur défense[1].
Ces chiffres sont ceux donnés officiellement concernant les dépenses du département de la défense. Mais d’après Tom Engelhardt[2], dans un article du 17 février 2015, paru dans l’hebdomadaire américain « The Nation », si on ajoute les budgets des agences de sécurité, le total des dépenses est beaucoup plus près de mille milliards de dollars. En effet, le gouvernement utilise des subterfuges pour cacher une partie des dépenses militaires ou de sécurité. Ainsi, par exemple, les dépenses de guerre (Irak, Afghanistan, etc.) ne figurent pas au budget de la défense. Le financement des armes nucléaires appartient au budget du « Département de l’Energie », soit quelques 18 milliards de dollars en 2013. Ces détails sont donnés par Mattea Kramer et Chris Hellman, deux analystes du “National Priorities Project” une organisation non commerciale qui s’est donné pour mission d’expliquer le budget des Etats-Unis à destination des contribuables américains.
Et pour quels résultats ? La guerre du Vietnam, la plus longue de l’histoire des Etats-Unis qui a vu, au plus fort du conflit, quelques cinq cent mille soldats américains engagés s’est terminée en 1973 par une humiliante défaite.
Les attentats du 11 septembre 2001, qu’aucune agence de sécurité américaine n’avait vu venir, ont marqué un basculement de la politique américaine aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, avec la déclaration de guerre au terrorisme. Il s’agissait d’une grande première : un état qui déclare la guerre à une doctrine, pas à un autre état. Sans état, sans armée ennemie comment évaluer la progression du conflit et sur quelle base va-t-on décider que l’on a gagné… ou perdu ?
Les interventions en Afghanistan (2001), Irak (2003) dont l’armée américaine n’arrive pas à sortir, en Lybie, au Yémen, autant d’échecs qui ont contribué à la création d’Al Qaeda d’abord, puis de l’Etat Islamique et de ses divers avatars. Des interventions qui ont mis face à face la plus grande puissance du monde et de modestes adversaires, pour se terminer par la victoire des derniers. De septembre 2001 à janvier 2015, pas une seule fois l’armée américaine n’a pu faire état d’un succès durable dans une intervention d’aucune sorte, sans parler de guerre. Si l’on exclue les victoires mémorables de l’invasion de la Grenade en 1983 et du Panama en 1989 (victoires sans opposition il est vrai), l’armée la plus puissante du monde n’a pas gagné une guerre ou un conflit depuis la deuxième guerre mondiale.
Au contraire, l’activisme américain dans le monde et, en particulier au Moyen Orient a contribué à renforcer le terrorisme islamiste. Comme l’explique Jacques Sapir sur son blob : « Le soi-disant « Etat Islamique » se développe sur les ruines laissées par l’intervention de ce qu’avec Maurice Godelier nous appelions en 2003 « l’isolationnisme interventionniste providentialiste » des Etats-Unis. C’est cette intervention, avec ses suites, qui a durablement déstabilisé la région. Elle se fit au mépris du droit international et du droit des individus[3] ».
Au début de 2015, les Etats-Unis en sont à leur troisième intervention en Irak douze ans après le début des hostilités, après la promesse électorale de Barak Obama en 2008 de sortir d’Irak. On portera au crédit du président qu’il a failli réussir à retirer son armée, avant de revenir pour combattre sa créature, l’Etat Islamique.
L’Afghanistan, si on y regarde de près, est une opération qui a débuté en 1979 sous l’égide de la CIA dès le début de l’invasion soviétique et au cours de laquelle les Etats-Unis ont soutenu, armé et formé les combattants opposés à l’armée soviétique, mais en face desquels il se sont retrouvés en 2001, avec, en prime, la création d’Al-Qaeda.
On pourrait donc dire qu’en l’espace de vingt cinq ans, les Etats-Unis qui étaient restés virtuellement sans ennemi et dont le système économique semblait triompher sur presque toute la planète et qui avaient l’armée la plus puissante du monde ont accumulé erreurs et défaites vis à vis d’ennemis qu’ils s’étaient pour beaucoup fabriqués eux mêmes.
Mais tout le monde n’y a pas perdu, et c’est sans doute pourquoi le mouvement se poursuit aujourd’hui encore. En effet, cette période et en particulier les quinze dernières années ont vu se développer aux Etats-Unis un état dans l’état, le complexe militaro industriel et les services de sécurité. Le premier était déjà en excellente santé. Le second a grandi sous l’égide d’une nouvelle structure d’état, le Département de la Sécurité Intérieure[4], sorte de monstre tentaculaire qui regroupe pas moins de dix sept agences[5] et emploie des milliers de sociétés privées de sécurité. Sous les efforts conjugués du complexe militaro industriel, du pentagone et du Département de la Sécurité Intérieure, les Etats-Unis sont devenus un « état de surveillance »  au delà de l’imagination de Georges Orwell.
En plus de ces différentes agences fédérales, les années 2001 à 2014 ont vu se développer un nombre impressionnant de sous-traitants civils spécialisés dans les opérations de sécurité, voire les opérations de guerre. Ainsi, la tristement célèbre société « Blackwater » dont près de mille employés assuraient la sécurité de diplomates en Irak. Devenue « Academi » après une bavure en Irak dans laquelle 31 civils irakiens ont été tués ou blessés en 2007, cette société a touché près de 570 millions de dollars dans le cadre de la lutte anti drogue en Afghanistan, suivant le dernier rapport de l’Inspecteur Spécial Général pour la Reconstruction de l’Afghanistan (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction, ou SIGAR).
Tout est organisé pour, officiellement, assurer la « sécurité de l’Amérique ». Mais en réalité, il semblerait que tout soit organisé pour assurer la sécurité des forces de sécurité et de leurs dirigeants. Et tout est bon pour atteindre cet objectif. Lorsque le sénat a publié un rapport expurgé et pourtant effarant des différentes tortures utilisées par la CIA, pas un seul de ses dirigeants n’a été renvoyé, suspendu ou même simplement réprimandé. Après les évènements de Fergusson où un civil non armé (mais noir) a été tué par un policier, comme dans d’autres cas récents de morts de civils désarmés, les policiers concernés n’ont pas été réellement inquiétés non plus. De la même façon, les Etats-Unis ont refusé toute légitimité à des tribunaux étrangers dans la poursuite de civils américains employés par les sociétés de sécurité opérant à l’étranger
(à suivre) 


[1] Selon le Stockholm International Peace Research Institute
[3] Jacques Sapir, in Le tragique et l’obscène, 25 septembre 2014, http://russeurope.hypotheses.org/
[4]Department of Homeland Security”
[5] Dont les moins connues sont sans doute l’Agence Géospatiale de Renseignements (National Geospatial-Intelligence Agency) qui emploie seize mille personnes pour faire un travail à peine supérieur à ce que Google Earth offre gratuitement, ou le Bureau National de Reconnaissance, NRO (National Reconnaissance Office).

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