Ceci est le deuxième d'une série de cinq
articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et
à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en
reste.
Les faiblesses militaires
Les faiblesses militaires
Les dirigeants militaires
américains citent volontiers la menace terroriste pour justifier les
interventions extérieures et l’accroissement exponentiel du budget militaire.
En 2014, les Etats-Unis ont dépensé pour leur armée 661 milliards de dollars
soit environ 1,8 milliard par jour. Cela représente également le total des
dépenses des neufs pays suivant dans la liste des dix pays qui dépensent le
plus pour leur défense[1].
Ces chiffres sont ceux
donnés officiellement concernant les dépenses du département de la défense. Mais
d’après Tom Engelhardt[2],
dans un article du 17 février 2015, paru dans l’hebdomadaire américain
« The Nation », si on ajoute les budgets des agences de sécurité, le
total des dépenses est beaucoup plus près de mille milliards de dollars. En
effet, le gouvernement utilise des subterfuges pour cacher une partie des
dépenses militaires ou de sécurité. Ainsi, par exemple, les dépenses de guerre
(Irak, Afghanistan, etc.) ne figurent pas au budget de la défense. Le
financement des armes nucléaires appartient au budget du « Département de
l’Energie », soit quelques 18 milliards de dollars en 2013. Ces détails
sont donnés par Mattea Kramer et Chris Hellman, deux analystes du “National
Priorities Project” une organisation non commerciale qui s’est donné pour
mission d’expliquer le budget des Etats-Unis à destination des contribuables
américains.
Et pour quels résultats ? La guerre du Vietnam, la plus longue de
l’histoire des Etats-Unis qui a vu, au plus fort du conflit, quelques cinq cent
mille soldats américains engagés s’est terminée en 1973 par une humiliante
défaite.
Les attentats du 11 septembre 2001, qu’aucune agence de sécurité américaine
n’avait vu venir, ont marqué un basculement de la politique américaine aussi
bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, avec la déclaration de guerre au
terrorisme. Il s’agissait d’une grande première : un état qui déclare la
guerre à une doctrine, pas à un autre état. Sans état, sans armée ennemie
comment évaluer la progression du conflit et sur quelle base va-t-on décider
que l’on a gagné… ou perdu ?
Les interventions en Afghanistan (2001), Irak (2003) dont l’armée
américaine n’arrive pas à sortir, en Lybie, au Yémen, autant d’échecs qui ont
contribué à la création d’Al Qaeda d’abord, puis de l’Etat Islamique et de ses
divers avatars. Des interventions qui ont mis face à face la plus grande
puissance du monde et de modestes adversaires, pour se terminer par la victoire
des derniers. De septembre 2001 à janvier 2015, pas une seule fois l’armée
américaine n’a pu faire état d’un succès durable dans une intervention d’aucune
sorte, sans parler de guerre. Si l’on exclue les victoires mémorables de
l’invasion de la Grenade en 1983 et du Panama en 1989 (victoires sans
opposition il est vrai), l’armée la plus puissante du monde n’a pas gagné une
guerre ou un conflit depuis la deuxième guerre mondiale.
Au contraire, l’activisme américain dans le monde et, en particulier au
Moyen Orient a contribué à renforcer le terrorisme islamiste. Comme l’explique
Jacques Sapir sur son blob : « Le soi-disant « Etat
Islamique » se développe sur les ruines laissées par l’intervention de ce
qu’avec Maurice Godelier nous appelions en 2003 « l’isolationnisme interventionniste
providentialiste » des Etats-Unis. C’est cette intervention, avec ses
suites, qui a durablement déstabilisé la région. Elle se fit au mépris du droit
international et du droit des individus[3] ».
Au début de 2015, les Etats-Unis en sont à leur troisième intervention en
Irak douze ans après le début des hostilités, après la promesse électorale de
Barak Obama en 2008 de sortir d’Irak. On portera au crédit du président qu’il a
failli réussir à retirer son armée, avant de revenir pour combattre sa
créature, l’Etat Islamique.
L’Afghanistan, si on y regarde de près, est une opération qui a débuté en
1979 sous l’égide de la CIA dès le début de l’invasion soviétique et au cours
de laquelle les Etats-Unis ont soutenu, armé et formé les combattants opposés à
l’armée soviétique, mais en face desquels il se sont retrouvés en 2001, avec,
en prime, la création d’Al-Qaeda.
On pourrait donc dire qu’en l’espace de vingt cinq ans, les Etats-Unis qui
étaient restés virtuellement sans ennemi et dont le système économique semblait
triompher sur presque toute la planète et qui avaient l’armée la plus puissante
du monde ont accumulé erreurs et défaites vis à vis d’ennemis qu’ils s’étaient
pour beaucoup fabriqués eux mêmes.
Mais tout le monde n’y a pas perdu, et c’est sans doute pourquoi le
mouvement se poursuit aujourd’hui encore. En effet, cette période et en
particulier les quinze dernières années ont vu se développer aux Etats-Unis un état
dans l’état, le complexe militaro industriel et les services de sécurité. Le
premier était déjà en excellente santé. Le second a grandi sous l’égide d’une
nouvelle structure d’état, le Département de la Sécurité Intérieure[4],
sorte de monstre tentaculaire qui regroupe pas moins de dix sept agences[5] et
emploie des milliers de sociétés privées de sécurité. Sous les efforts
conjugués du complexe militaro industriel, du pentagone et du Département de la
Sécurité Intérieure, les Etats-Unis sont devenus un « état de
surveillance » au delà de l’imagination
de Georges Orwell.
En plus de ces différentes agences fédérales, les années 2001 à 2014 ont vu
se développer un nombre impressionnant de sous-traitants civils spécialisés
dans les opérations de sécurité, voire les opérations de guerre. Ainsi, la
tristement célèbre société « Blackwater » dont près de mille employés
assuraient la sécurité de diplomates en Irak. Devenue « Academi »
après une bavure en Irak dans laquelle 31 civils irakiens ont été tués ou
blessés en 2007, cette société a touché près de 570 millions de dollars dans le
cadre de la lutte anti drogue en Afghanistan, suivant le dernier rapport de
l’Inspecteur Spécial Général pour la Reconstruction de l’Afghanistan (Special Inspector General for
Afghanistan Reconstruction, ou SIGAR).
Tout est
organisé pour, officiellement, assurer la « sécurité de l’Amérique ». Mais
en réalité, il semblerait que tout soit organisé pour assurer la sécurité des
forces de sécurité et de leurs dirigeants. Et tout est bon pour atteindre cet
objectif. Lorsque le sénat a publié un rapport expurgé et pourtant effarant des
différentes tortures utilisées par la CIA, pas un seul de ses dirigeants n’a
été renvoyé, suspendu ou même simplement réprimandé. Après les évènements de
Fergusson où un civil non armé (mais noir) a été tué par un policier, comme
dans d’autres cas récents de morts de civils désarmés, les policiers concernés
n’ont pas été réellement inquiétés non plus. De la même façon, les Etats-Unis
ont refusé toute légitimité à des tribunaux étrangers dans la poursuite de
civils américains employés par les sociétés de sécurité opérant à l’étranger(à suivre)
[3] Jacques
Sapir, in Le tragique et l’obscène, 25 septembre 2014, http://russeurope.hypotheses.org/
[5]
Dont les moins connues sont sans doute l’Agence Géospatiale de Renseignements
(National Geospatial-Intelligence Agency) qui emploie seize mille personnes
pour faire un travail à peine supérieur à ce que Google Earth offre
gratuitement, ou le Bureau National de Reconnaissance, NRO (National
Reconnaissance Office).
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