Ceci est le troisième d'une série de cinq
articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et
à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en
reste.
Les dérives politiques
Le développement de l’état de surveillance a également des effets néfastes
sur la politique intérieure. Sous la bannière de « Peur et Terreur »
inspirée par Osama Bin Laden, les Etats-Unis ont connu une transformation incroyable
dont les Américains eux-mêmes ne prennent pas toujours conscience car ils
vivent au cœur de la transformation. Ils vivent dans un nouveau pays et un pays
qui n’a aucune intention de supporter un retour en arrière.
Et pourquoi un retour en arrière ? Le système n’est pas
efficace ? Qui s’en soucie ? En juin 2013, les révélations d’Edward Snowden
exposaient au monde entier l’étendue de la surveillance organisée par la NSA. Les
conversations de plus de 35 chefs d’états ont été enregistrées, celles du
secrétaire général de l’ONU, des bureaux de l’Union Européenne et de sociétés
commerciales. Une fois passé la surprise et les mouvements d’humeur de diverses
intensités[1] des
principaux concernés, le monde est retourné à sa routine. Mais la NSA poursuit
sa surveillance. Est-ce vraiment indispensable ?
Comme le fait remarquer Tom Engelhardt dans un article daté du 17 février
2015 : « Peu de terroristes ont
été trouvés, pratiquement aucun complot n’a été déjoué et très peu
d’information utilisable a été fournie au gouvernement malgré les « yotabytes[2] »
d’informations collectés et stockés. Après les révélations, les efforts
auraient dû être stoppés ou diminués radicalement. Les méthodes de l’agence (la
NSA) violaient la constitution, tournaient en ridicule l’idée même de vie
privée et transgressaient toutes sortes de souverainetés. Au contraire, le
système de surveillance globale reste inscrit dans notre monde et continue à
grandir ».
Le souci de surveillance du monde est maintenant à un niveau tel que sous
la présidence de Barack Obama (prix Nobel de la Paix, ne l’oublions pas), les
autorités américaines ont poursuivi plus de lanceurs d’alerte que sous
l’ensemble des présidences précédentes.
Qu’il s’agisse du complexe militaro industriel ou de le Sécurité
Intérieure, les sommes mises en jeux ont créé un ensemble puissant de sociétés
dont les dirigeants et les actionnaires n’ont aucun intérêt à un retour à une
situation plus normale. Une inflexion de la politique intérieure et extérieure
des Etats-Unis vers moins d’agressivité, moins de projection de forces à
l’étranger, équivaudrait à une diminution des budget de la défense et de la
sécurité nationale et donc à une baisse de leurs revenus. Que cela puisse
correspondre également à une baisse du déficit de l’état ne semble pas les
préoccuper outre mesure.
Ils font donc tout ce qu’ils peuvent pour s’y opposer et le développement
qu’ils ont connu depuis 2001 leur donne des moyens financiers gigantesques. Ne
nous intéressons qu’à l’élection présidentielle. Tout le monde (ou presque)
connaît le fonctionnement du système américain en ce qui concerne la
désignation du candidat de chaque grand parti à l’élection présidentielle. Des
primaires sont organisées dans tout le pays avant la grande convention qui
entérinera le choix des électeurs des primaires. Mais la campagne des primaires
coûte de plus en plus cher et avant de pouvoir se lancer, un futur candidat doit
s’assurer de récolter des fonds importants. Il trouvera la plus grande partie
de ce financement auprès des sociétés privées dont les contributions sont de
plus en plus mal encadrées par la loi. Les dizaines ou les centaines de
millions de dollars qu’ils peuvent donner à un candidat décideront de ses
chances de succès. De tels soutiens ne sont pas, évidemment, sans contre parties
si le candidat devient président.
A titre d’exemple, la dernière campagne présidentielle aurait coûté,
suivant des évaluations du site politique américain « The Hill[3] »,
au minimum 2,34 milliards de dollars. Toujours d’après le même site, la
campagne 2016 pourrait coûter jusqu’à 5 milliards de dollars. D’où viendra
l’argent ? Qu’attendront les bailleurs de fonds en échange de leurs
contributions ? Est-ce ainsi que fonctionne une démocratie ?
Aujourd’hui, les médias américains évaluent les chances des candidats (non
encore déclarés officiellement) à l’aune de leur capacité à collecter des fonds
pour leur campagne. Et quels sont les noms qui émergent pour l’instant ?
Clinton et Bush ! Non seulement on ne change pas les méthodes qui ne
fonctionnent pas, mais pour plus de sûreté on ne change pas les hommes (ou les
femmes) non plus ! Selon Don Peebles le roi de l’immobilier, spécialiste
de la collecte de fonds électoraux et qui a travaillé à ce titre pour la
campagne de Barak Obama : « Clinton
a une forte capacité à collecter des montants très importants », et
d’ajouter « Bush est un collecteur
de fonds incroyablement efficace », pour conclure « il pourrait donner du fil à retordre
à Clinton ». Où sont les programmes politiques des candidats ?
Qui s’en soucie ?
Et même si un peu plus d’un Américain sur deux participe au vote, la
sélection des candidats a déjà été faite pour eux dans des « primaires
avancées » qui ont lieu dans des cercles de millionnaires et de
milliardaires, comme les industriels Charles et David Koch et leur cercle de
donateurs qui ont annoncé en février de cette année leur intention de dépenser
près de neuf cent millions de dollars pour influer sur la politique du pays.
Nous assistons depuis de nombreuses années à une privatisation des
élections américaines. La conséquence logique a été une privatisation,
également, du fonctionnement politique. Nous avons déjà parlé des sociétés
privées de sécurité qui mènent des opérations de guerre pour le gouvernement
US. Une affaire récente éclaire un autre aspect de cette privatisation, c’est
celle des e-mails de Hilary Clinton quand elle était secrétaire d’état
(ministre des affaires étrangères).
En principe, toutes les communications des responsables politiques dans
l’exercice de leurs fonctions doivent passer par le réseau de communication
officiel, sur lequel elles sont archivées. C’est une façon de garantir la
possibilité d’un certain contrôle de leurs actions par le peuple. Mme. Clinton,
elle, a utilisé son propre réseau de mails protégé pour conduire ses affaires
officielles. Une privatisation de la politique encore inconnue jusque là.
Dès l’instant où il y a privatisation des activités, y compris des
activités politiques, les intérêts particuliers entrent en jeu. Des intérêts
qui, bien sûr, sont conflictuels. Chacun pensant à ses intérêts ou à ceux du
groupe auquel il appartient ou celui qui le finance, il n’y a plus d’unité
d’action dans le gouvernement.
Ainsi, peut-on voir le leader de la majorité à la chambre, John Boehner, inviter Benjamin
Netanyahu à faire un discours au congrès, dans le but de torpiller les négociations
entre les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire. Ou bien, le sénat débat de
l’autorisation de faire la guerre à l’Etat Islamique en Syrie et en Irak, alors
que les opérations ont commencé depuis de nombreux mois et que le vote n’aura
aucune influence sur la continuation des opérations. S’il voulait se
décrédibiliser, le Sénat n’agirait pas autrement.
Quant au président, il semble avoir perdu le contrôle de son équipe, au
moins en Ukraine où Victoria Nuland mène sa propre politique, faisant des déclarations
ne correspondant pas au discours de la Maison Blanche. De la même façon, le
général Breedlove, patron de l’Otan annonçe des livraisons d’armes à l’Ukraine
alors que le président, de son côté pèse encore le pour et le contre.
C’est ce qui fait dire à un observateur[4]
expérimenté de la situation de ce qu’il appelle le système BAO, que
l’administration américaine est en « phase ukrainienne ». Quand on
sait dans quel état est ce pays…
Les américains eux-mêmes ne sont pas loin de partager cette opinion, bien
qu’ils l’expriment évidemment différemment. Il suffit, pour s’en convaincre, de
consulter le dernier sondage effectué par l’Université de Chicago[5]. On
trouvera le détail en suivant le lien en note. Pour résumer, le niveau de
confiance de la population dans le président, le congrès et la Cour Suprême n’a
jamais été aussi bas. Le pourcentage de personnes ayant une grande confiance en
ces trois piliers de la « démocratie américaine » est de 11% pour le
président, 23% pour la Cour Suprême et 5% pour le congrès.
On
assiste également à une baisse considérable de la résistance civile. Dans un
livre paru en février 2015, « L’Age de l’Acceptation », Steve Fraser se demande pourquoi au dix neuvième
siècle, autre période d’excès des gouvernants, d’inégalités, de concentration
des richesses et de corruption, le peuple américain a toujours eu le courage de
descendre dans la rue pour exprimer son mécontentement, y compris pendant de
longues périodes, alors qu’il ne le fait plus maintenant. J’ai trouvé au moins
un élément de réponse en visionnant pendant mes recherches pour cet article,
les vidéo de l’évacuation par le police des « Occupy Wall Street ».
Il y en a d’autres, comme le mutisme de la presse système aussi bien dans le
domaine de la politique étrangère que de la politique intérieure. Quel est
aussi l’impact de la société de surveillance sur la volonté de la population de
se défendre ? Je n’ai pas de réponse concrète à cette dernière question
pour le moment.
[1] Les
réactions les plus marquées sont sans doute venues d’Allemagne où la
Chancelière Merkel a fait remarquer que cela ne se faisait pas d’écouter les
dirigeants de pays alliés.
[2] Un yottabyte est égal à 1024
bytes. Il n’existe pas, pour l’instant, de mot pour désigner l’unité de rang
supérieur.
[4] Philippe
Grasset (dedefensa.org), le Bloc Américano Occidentaliste.
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