mercredi 22 avril 2015

Guerre Froide, guerre non terminée !


Les médias occidentaux posent souvent la question : sommes nous revenus au temps de la Guerre Froide ? Au delà de la facilité de langage qui séduit les paresseux, le concept même de guerre froide s’applique-t-il à la situation actuelle de tension entre les Etats-Unis et la Russie ?
Si l’on considère que la guerre froide n’était qu’une confrontation entre deux idéologies à vocation planétaire, la réponse est non. L’une des deux idéologies a disparu et elle a été remplacée en Russie par un système qui n’est ni le communisme, ni le libéralisme, et qui ne cherche pas à s’étendre. La Russie ne veut pas reconstruire un empire, elle le dit par la voix de son président et de ses politiques et le fait que l’Occident ait fait le choix de ne pas le croire ne transforme pas ces déclarations en mensonges.
Cela dit, il s’agit effectivement d’un système différent et au moment où surgissent des doutes sérieux sur l’efficacité et la légitimité du système libéral, les gens peut sûrs d’eux-mêmes ont du mal à accepter les différences. Ils se sentent menacés et donc deviennent agressifs.
La fin de la Guerre Froide a été annoncée à plusieurs reprises, mais elle a eu lieu dans des conditions qui manquent de clarté et c’est ce manque de clarté qui laisse penser qu’il n’y eut pas réellement fin. Essayons d’analyser les évènements pour mieux comprendre la situation actuelle.
L’erreur fondamentale, semble-t-il, a été de confondre la fin de la Guerre Froide avec la fin du communisme. Ce sont en fait deux évènements différents bien qu’ils soient tous deux la conséquence d’une seule et même politique lancée par Mikhaïl Gorbachev. Un seul homme, ou presque, a provoqué un changement radical du monde en cette fin de vingtième siècle.
Né le 2 mars 1931 dans la région de Stavropol, dans le sud du pays, entre la Mer Caspienne et la Mer Noir, Mikhaïl Gorbachev ne faisait pas partie de la « couche sociale intermédiaire[1] » comme le mentionne Andrei Grachev[2].
Il fait des études de droit à l’Université de Moscou (МГУ) où il devient chef du bureau du Komsomol[3] de l’Université avant d’être admis au parti communiste en 1952. C’est là qu’il rencontre celle qui va devenir son épouse, Raïssa, une brillante étudiante en philosophie.
De retour à Stavropol, Mikhaïl Gorbachev y gravira les échelons de l’administration locale jusqu’au poste de premier secrétaire du comité régional du Komsomol, en 1961. Puis, deux ans plus tard, il était à la tête du comité chargé des problèmes d’organisation du comité régional du parti communiste. En 1968, à trente sept ans, il devenait deuxième secrétaire du comité régional du parti.
Sa progression dans la direction du parti de la région de Stavropol lui permit de nouer des relations haut placées à Moscou, dans des conditions moins formelles qu’il n’aurait pu le faire dans la capitale. En effet, près de Stavropol se trouve la station thermale de Mineralnye Vody ou les dirigeants âgés aimaient venir se soigner. Stavropol était une sorte d’étape sur la route de la station.
C’est ainsi que, par exemple, Mikhaïl Gorbachev fit la connaissance de Iouri Andropov en 1969. Le chef du KGB se prit de sympathie pour le jeune dirigeant local et il protègera sa carrière jusqu’à sa mort. C’est en grande partie à lui que Mikhaïl Gorbachev devra sa progression au plus haut niveau de la hiérarchie à Moscou[4].
En avril 1970, il devenait secrétaire général du comité régional du parti communiste de la région de Stavropol, le plus jeune dirigeant de région de l’Union Soviétique.
Huit ans plus tard, il était nommé à Moscou comme secrétaire du comité central du parti. Il était, de nouveau, le plus jeune occupant de ce poste.
Mikhaïl Gorbachev est nommé secrétaire général du parti communiste d’Union soviétique à un moment où les dirigeants ont conscience que le système est sur le point de se bloquer complètement. D’autre part, le pays sort d’une série de funérailles nationales qui a sérieusement entamé son moral. Leonid Brejnev a été remplacé par deux secrétaires généraux qui ont tenu leur poste à peine un an chacun, soit trois enterrements en à peu près trois ans.
Ces deux éléments ont pesé dans la décision de choisir un « jeune » secrétaire. Mikhaïl Gorbachev a moins de 55 ans. Son arrivée provoque immédiatement un espoir extrêmement fort dans l’ensemble de la population. Le lancement de la « glaznost » encourage cet espoir et les stades se remplissent de jeunes qui scandent « peremen ! » (changement).
Mikhaïl Gorbachev lance aussi la « perestroïka », réforme économique qui autorise la propriété privée dans certaines conditions et aboutira en novembre 1986 à la loi sur les activités de travail individuel et à la création de sociétés privées.
La personnalité du nouveau secrétaire général et les premières annonces vont être à l’origine d’un immense espoir dans une population fatiguée d’entendre de vieux dirigeants répéter sans fin les mêmes discours auxquels plus personne ne croit, pas même ceux qui les prononcent. Les attentes de la population sont si fortes qu’elles en peuvent qu’être déçues.
En revanche, dans le domaine de la politique internationale, la vision avant-gardiste du nouveau maître du Kremlin fera des merveilles. Convaincu que l’énergie employée à entretenir la guerre froide pourrait être réorientée utilement vers les réformes intérieures et que la dissuasion nucléaire faisait courir un grand risque à l’ensemble de l’humanité, Mikhaïl Gorbachev lance alors des initiatives visant à provoquer une réelle détente dans les relations entre les deux blocs. A-t-il conscience à ce moment qu’il est en train de préparer la fin de l’Union Soviétique ? Certainement pas, car ce n’est pas son objectif. Il veut réorganiser et moderniser le système existant, pas le remplacer.
Pourtant, il s’agit d’un tournant stratégique de première importance. Il ne peut qu’être motivé par une nouvelle vision du monde en contradiction avec celle des dirigeants soviétiques qui l’ont précédé. Elle est d’ailleurs également en contradiction avec la vision qui domine dans le monde occidental. Certains analystes comme Gérard Grasset ont parlé d’intuition « l’intuition fulgurante des intérêts généraux, la conviction aussitôt acquise et fermement assurée[5] ».
Dès le début de son mandat, il renvoie les dirigeants des républiques soviétiques à leurs responsabilités : « Je tiens à ce que vous sachiez que nous respecterons désormais les principes d’égalité entre les Etats et de non-ingérence dans la politique intérieure de nos voisins, principes que nous n’avons jamais réellement appliqués jusqu’ici. Vous êtes donc responsables du bon fonctionnement de vos institutions. Nous avons besoin de la perestroïka et nous allons l’appliquer chez nous. Libre à vous d’en faire de même[6] ».
Il s’agit d’une prise de position de première importance. La Russie renonce à imposer sa loi par la force dans les pays du pacte de Varsovie. Ce jour là, vraisemblablement sans en avoir conscience, Mikhaïl Gorbachev vient de décider la fin de l’Union Soviétique. En effet, s’il avait employé la force, aucun de ces pays n’aurait pu résister.
La suite sera logique : le 8 décembre 1987, Mikhaïl Gorbachev et Ronald Reagan signent le traité de Washington sur les armes nucléaire à courte et moyenne portée. En mars 1988, les deux hommes se retrouvent à Genève. La Russie annonce son intention de se retirer d’Afghanistan. Le retrait sera effectif un an plus tard.
Le grand symbole sera, évidemment la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Elle a été la conséquence d’une évolution de la situation en Allemagne de l’Est que Moscou n’a pas cherché à bloquer. Fidèle à sa philosophie de non recours à la force, il a laissé la direction du pays libre de ses décisions. Mais cette direction n’était déjà plus maitresse de la situation. Mikhaïl Gorbachev avait la possibilité d’intervenir de façon décisive en Allemagne de l’Est. Il y avait là-bas à ce moment, en 1989, trois cent mille soldats d’élite soviétiques. Il ne l’a pas fait.
Ces évènements ouvrent une question d’importance capitale. Mikhaïl Gorbachev va-t-il accepter la réunification des deux Allemagnes et quelle sera la position de ce nouveau pays par rapport à l’Otan. Admettre une Allemagne réunifiée dans l’Alliance Atlantique, c’est y faire entrer un ancien membre du pacte de Varsovie.
La question sera discutée à plusieurs reprises entre la Russie et l’Allemagne et entre la Russie et les Etats-Unis. Finalement, Mikhaïl Gorbachev acceptera la réunification et même l’entrée de l’Allemagne réunifiée dans l’Otan si tel est le désir de sa population, mais en échange, il reçoit à plusieurs reprises la promesse que l’Alliance Atlantique ne cherchera pas à s’étendre à l’Est de ses limites du moment.
Le 2 décembre 1989, Mikhaïl Gorbachev et Georges H. Bush se retrouvent à Malte et cette promesse faite initialement par le chancelier allemand Helmut Kohl est confirmée par le président américain. Mikhaïl Gorbachev ne demandera pas de confirmation écrite de cette promesse. Ses concitoyens lui reprochent toujours ce qu’ils qualifient de « naïveté ».
Certains ont vu dans la réunion de Malte de la fin de la guerre froide. En effet, le communiqué final mentionne que « nous ne nous considérons plus comme des ennemis l’un pour l’autre ». L’enthousiasme de l’étranger vis à vis de Mikhaïl Gorbachev et de son action trouva une expression concrète dans l’attribution en 1990 du prix Nobel de la Paix.
Mais, parallèlement aux évolutions de la situation internationale, la situation générale à l’intérieur du pays se dégrade de plus en plus. Les choses bougent dans la République Soviétique de Russie sous l’impulsion de Boris Eltsine, l’adversaire intime de Mikhaïl Gorbachev. La République déclare sa souveraineté le 12 juin et Boris Eltsine se fait élire président de la République Soviétique de Russie. Il est élu au premier tour, au suffrage universel, ce qui renforce énormément sa position politique vis à vis de son adversaire.
Vers la fin de 1990 les attaques politiques contre Mikhaïl Gorbachev se multiplient, venant presque de tous les côtés du spectre politique. Anatoli Tcherniaiev, un de ses mentors politiques et fidèle entre les fidèles, remarquait dans son journal[7] que « Mikhaïl Sergueievich commençait à présenter les symptômes de l’homme traqué ». Il faut dire que, sur le plan économique, la pérestroika était loin d’avoir donné les résultats espérés. Au printemps 1991, le souci principal de Mikhaïl Gorbachev était de trouver des devises pour acheter des vivres à l’étranger.
En politique internationale, Mikhaïl Gorbachev avait aussi de bonne raisons de se sentir abandonné par ses anciens « amis ». Après la dissolution du Pacte de Varsovie en mars 1991, les dirigeants occidentaux n’avaient plus grand-chose à attendre du Kremlin, ayant obtenu les concessions les plus importantes. De plus, ils commençaient à douter sérieusement de sa capacité à sauver la situation, même avec le soutien financier extérieur qu’il cherchait fébrilement. Au sommet du G7 de Londres, en juin 1991 où il venait demander une nouvelle aide économique, il fut traité avec condescendance et rentra les mains vides.
Le putsch d’août 1991 a fini de faire descendre Mikhaïl Gorbachev du piédestal sur lequel l’avaient fait monter les attentes et les espoirs de tout un peuple. Les événement de décembre paraissent maintenant, avec un peu de recul comme la suite logique de ce qui s’est passé alors. Le 8 décembre, les présidents des trois républiques slaves d’Union Soviétique[8] se sont réunis dans la campagne biélorusse, à Belovejskaya Pouchia, près de Minsk et ont signé des documents constatant la disparition de l’Union Soviétique en tant que sujet de droit international.
Plus tard, le 21 décembre les présidents de onze des quinze républiques soviétiques (sans l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, et la Géorgie) entérinaient cette décision et s’entendaient pour que le siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Urss revienne à la Russie.
Suite à cette décision, Mikhaïl Gorbachev démissionnait de son poste le 25 décembre 1991 confirmant, si besoin en était la disparition de l’Union Soviétique.
Ainsi donc, en une période de moins de quatre ans, Mikhaïl Gorbachev a été la cheville ouvrière de la fin de la guerre froide et de la disparition de l’Urss. Pour Mikhaïl Gorbachev, l’origine de la fin de la guerre froide est la perestroïka de 1985 qui a tout rendu possible[9], et sa coopération ultérieure avec Ronald Reagan puis Georges H. Bush.
Comme nous le voyons, la fin de la guerre froide ne correspond pas à la disparition de l’URSS. De 1988 à 1990, les principaux leaders du monde occidental ont déclaré que la guerre était terminée. En décembre 1989, Georges H Bush et Mikhaïl Gorbachev l’ont annoncé à Malte, Jack Matlock, l’ambassadeur de Ronald Reagan à Moscou a écrit abondamment à ce sujet. Stephen Cohen[10], spécialiste américain de l’URSS et de la Russie l’a répété dans une interview en date du 17 avril 2015, confondre la fin de l’Union Soviétique et la fin de la guerre froide est une erreur historique.
Mais la date de la fin de la guerre froide n’est pas le seul problème qui reste à régler. Il y a aussi la façon dont cette guerre s’est terminée et qui ne ressemble pas à la fin d’un conflit.
En effet, la fin de la guerre de Cent ans a été marqué par le traité de Picquigny le 29 août 1475, les guerres d’Italie se terminent par La paix de Cateau-Cambrésis, conclue le 3 avril 1559, la première guerre mondiale se termine par l’armistice du 11 novembre 1918 et le traité de Versailles, la seconde guerre mondiale se termine par la signature de la capitulation sans conditions du IIIe Reich le 8 mai 1945, la guerre d’Algérie se termine le 18 mars 1962 par les accords d’Evian, la guerre de Corée le 27 juillet 1953 par la signature d’un pacte de non-agression, etc.
Mais la guerre froide qui n’en était pas une à proprement parler s’est terminée d’une façon non habituelle pour les guerres. Pas de vainqueur, pas de vaincu, ça on l’avait vu à la fin des guerres d’Italie, mais pas de conférence internationale qui règle la nouvelle situation, aucun accord formel. Cette absence de reconnaissance est à l’origine de beaucoup des problèmes posés aux relations entre la Russie actuelle et l’Occident.
En particulier le fait qu’il y ait ou non un vainqueur et un vaincu. En effet, les présidents Georges H. Bush et Mikhaïl Gorbachev avaient bien précisé à Malte que la guerre froide se terminait sans vainqueur ni vaincu. Du côté russe, Mikhaïl Gorbachev était simplement convaincu que c’est lui qui avait lancé ce processus.
Georges H. Bush s’en est tenu à cette position jusqu’à ce que les sondages le donnent second derrière Clinton pendant la campagne présidentielle américaine. A ce moment là, en 1992, il commença à expliquer que c’étaient les Etats-Unis et lui en particulier qui avaient gagné la guerre froide. Personne, alors, ne leur a disputé cette « victoire » car personne en Russie ne semblait vouloir prendre la responsabilité de la chute de l’Urss. Mais d’après le témoignage de Stephen Cohen et de sa femme Katrina vanden Heuvel[11] qui connaissent bien Mikhaïl Gorbachev, ce dernier  en fut profondément touché, se sentant trahi.
Cela ne suffira pas à Bush pour se faire réélire, mais cela ouvrira la voie à la politique de William Clinton, d’une incroyable arrogance, ligne favorisée par la faiblesse économique de la Russie des années 90 et son absence de direction politique. Les Etats-Unis ont commencé à considérer la Russie comme l’Allemagne ou le Japon de la fin de la seconde guerre mondiale. La Russie pourrait donc décider de sa politique intérieure dans une certaine mesure, elle serait autorisée à jouer un rôle dans les affaires internationales, mais comme un participant mineur soucieux des intérêts américains.
On retrouve cela dans les mémoires de Strobe Talbott, le secrétaire d’état adjoint de Clinton, pour qui les grandes déclarations d’amitié éternelle avec Boris Eltsine et de partenariat avec la Russie n’étaient que des bobards. Il y avait un courant fort de pensée dans l’administration Clinton pour qui la Russie était à terre et il fallait la maintenir là. Un des représentants de ce courant était Paul Wolfowitz[12], sous-secrétaire d’état de Georges H. Bush en 1992. Ce sont eux qui ont mené l’expansion de l’Otan vers les frontières russes.
Selon Stephen Cohen, une part de la responsabilité est également du côté russe et, en particulier du côté de Boris Eltsine. « Il était tellement désespérément à la recherche, non pas seulement de la reconnaissance de l’Amérique, mais de l’affection américaine. Il était si peu sûr de lui et, à mesure que sa santé déclinait de plus en plus captif des oligarques, qu’il voulait avoir autant d’importance pour Washington que Mikhaïl Gorbachev en avait eu. Il était près à faire et dire n’importe quoi pour Washington, jusqu’à la guerre de Serbie. C’est alors qu’il a réalisé que les Etats-Unis avaient leur propre programme et que ce programme incluait l’expansion de l’Otan. Mais il était trop tard, il avait usé tout son capital politique[13] ».
Après Boris Eltsine est venu Vladimir Poutine. Au début, en 2000, les médias système américain, particulièrement le « New York Times » et le « Washington Post » le présentaient comme un vrai démocrate qui, en plus, contrairement à son prédécesseur était sobre. Mais sous Vladimir Poutine, la Russie a commencé à relever la tête. Discrètement au départ. C’est la période où les problèmes intérieurs occupaient le plus clair du temps du président, celle où il a laissé les Etats-Unis gérer les problèmes du Moyen Orient à leur guise.
Comme le disait récemment Alexeï Poushkov, le président de la commission des affaires étrangères de la Douma fédérale, de passage à Paris, dans son style imagé, « A l’époque, nous étions encore des sortes d’écoliers face aux grandes capitales occidentales. » Mais l’écolier a grandi et même un peu trop vite au goût de ses professeurs. Un certain nombre d’habitudes avaient été prises dans les années 90, et quand la Russie a voulu siffler la fin de la récréation, son attitude a été considérée comme une agression, alors qu’elle ne faisait que réclamer la place qui, selon elle, lui revenait. Et le responsable de cette attitude arrogante était Vladimir Poutine. Il fallait absolument lui rendre le sens des réalités et le remettre à la place dont on avait décidé qu’elle serait la sienne.
Les maîtres du monde, occupés à gérer le chaos qu’ils avaient eux-mêmes organisés n’avaient pas vu la lente transformation de la Russie. Le premier coup d’arrêt organisé par la « Russie de Poutine », bien que cela se soit fait, d’ailleurs sous la présidence du « bon » Dimitri Medvedev, a été la guerre d’août 2008 avec la Géorgie. Puis sont venus les « affronts » politiques comme par exemple l’intervention de la Russie dans la crise organisée en Syrie, intervention qui  a bloqué un processus d’intervention militaire presqu’enclenché.
La réponse des Etats-Unis a été une vaste entreprise de diabolisation de Vladimir Poutine. Ce n’était plus le vrai démocrate de 2000, mais un nouvel Hitler (rien que ça !). La diabolisation du président russe était la réaction quasi instinctive de gouvernants américains pris de cours et ne comprenant pas la Russie. A l’époque de la guerre froide, il y avait une école très forte de « soviétologues » qui comprenaient à peu près l’Union Soviétique. Cette école d’où étaient issus des gens comme Condoleezza Rice avait disparu. Comme le disait Henri Kissinger l’année dernière, la diabolisation de Poutine n’est pas une politique, c’est l’alibi d’une absence de politique.
Le drame, c’est que cette diabolisation interdit toute réflexion sérieuse sur ce qui se passe en Russie. Suivant la formule de Georges Bush junior, si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. Si vous refusez la condamnation systématique de la politique russe, vous devenez automatiquement un suppôt, un espion de Poutine. On ne vous met pas en prison pour autant (McCarthy est mort) mais vous êtes rejeté de tous les médias système. Cela se passe ainsi en France aujourd’hui également. On ne discute plus, on condamne, on sanctionne. La situation est confortable pour les simples d’esprit, les paresseux et les peureux, car c’est justement le degré zéro de la réflexion. Comme l’explique Stephen Cohen dans l’interview mentionnée plus haut, « nous sommes comme des drogués en manque, nous ne sommes plus capables de penser à autre chose que notre obsession de Vladimir Poutine ».
Et de poursuivre, « notre politique post soviétique après 1991, en fait a été la poursuite de la guerre par d’autres moyens. A mon avis, la guerre froide n’est pas terminée. La tactique a changé, la stratégie aussi, peut-être, mais il n’y a pratiquement pas eu de pause ».
Que faire ? Laisser aller les choses jusqu’à la « guerre chaude » en Ukraine ? Attendre que les élections présidentielles donnent un nouveau président à l’Amérique ? Les candidats déclarés ou même potentiels ne donnent que peu d’espoir d’un changement de politique pour le meilleur.
L’Europe doit prendre son destin en main, s’éloigner d’un navire qui menace de sombrer avant qu’il ne l’entraine avec lui. Il ne s’agit pas de se retourner contre un ancien allié. Il s’agit de comprendre que cet allié n’a toujours eu qu’un objectif, son propre bien, son pouvoir. Quel homme politique responsable pourrait le lui reprocher ? Mais son programme n’est pas notre programme quoiqu’il cherche à nous faire croire.
Il se pourrait aussi que le navire Amérique ne sombre pas, que le dollar survive à la prochaine tempête, mais alors l’Europe resterait un vassal de cet empire diminué. La Russie s’est déjà tournée vers l’Est. Les Etats-Unis peuvent également se tourner vers le Pacifique. Que peut faire l’Europe ? Regardez une carte, elle restera isolée, une puissance de seconde zone, seule mais liée, peut-être, par un traité « commercial » qui aura terminé de couper les ailes de nos politiques.
Le monde ne peut rester dominé par les Etats-Unis. Ils n’en ont plus les moyens. Aucun autre pays ne rêve de prendre la place de nouvelle super puissance. Nous nous dirigeons vers un nouveau système multipolaire. Pour beaucoup en occident, le système multipolaire est considéré comme instable car il est associé au système qui a mené aux deux premières guerres mondiales. Il faudra donc faire évoluer les règles du jeu, ce ne sera pas simple, bien sûr, mais cela se fera, avec l’Europe ou sans l’Europe, avec la France ou sans la France. Je préfèrerais que cela se fasse avec la France !



[1] « Dans le jargon du système soviétique, la couche des intellectuels qui n’appartenaient ni à la classe ouvrière, ni à la classe paysanne. Par extension, l’ensemble de l’élite, politique, artistique et culturelle. »
[2] Andrei Gratchev in “Le Mystère Gorbatchev”, Editions du Rocher 2001.
[3] Jeunesses communistes. La quasi totalité des étudiants faisaient parti du Komsomol jusqu’à l’âge de 24 ans environ. Ensuite, ils pouvaient devenir membres du parti communiste à condition d’être parrainés et après un stage de deux ans comme « candidat ».
[4] Certains historiens russes ont écrit qu’une bonne partie des réformes introduites après 1985 avaient été ébauchées par Iouri Andropov.
[5] Philippe Grasset, “Faits et Commentaires” du 6 décembre 2008, in www.dedefensa.org
[6] cité par Nathan Gardels, in  The WorldPost, 09/11/2014
[7] Anatoli Tcherniaiev « Sovmestnyi iskhod. Dnevnik dvukh epokh 1972-1991 gody » Rosspen, Moskva, 2008. (en russe)
[8] Boris Eltsine, pour la Russie, Leonid Kravtchouk, pour l’Ukraine et Stanislaw Chouchkievitch pour la Biélorussie
[9] Interview de Mikhaïl Gorbatchev par Katrina vanden Heuvel et Stephen F. Cohen, publiée dans l’édition du 16 novembre 2009 du magazine américain “The Nation”
[10] Professeur émérite de Princeton et de l’Université de New York.
[11] Rédactrice en chef de l’hebdomadaire américain « The Nation ».
[12] On se souvient de la « doctrine Wolfowitz », nom donné à un mémo sur la politique extérieure des Etats-Unis rédigé sous sa direction et qui a « fuité » dans le « New York Times » en 1992. Son caractère impérialiste ayant suscité un tollé général, le mémo a été réécrit sans lui.
[13] Stephen Cohen dans une interview du 17 avril 2015 à Patrick L. Smith

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