mardi 7 avril 2015

Les USA en guerre contre les Etats-Unis (I)

Ceci est le premier d'une série de cinq articles consacrés à l'évolution de la société américaine depuis 2001 et à l'influence dangereuse de ce pays sur la paix du monde, ou ce qui en reste.

Première partie : Le besoin de "narrative"

Les citoyens américains ne savent pas que leur pays est en guerre. Leurs dirigeants ne veulent pas le savoir. Les uns ne savent pas, les autres ne veulent pas savoir qu’ils sont en guerre contre eux-mêmes. Il y a pourtant des indices. Par exemple, s’ils se demandaient vraiment, sérieusement, d’où vient le terrorisme qu’ils prétendent combattre maintenant. Ou, pour s’arrêter à des questions plus concrètes, la police de New York a-t-elle vraiment besoin de fusils d’assaut et de mitrailleuses, ou encore, la police d’un comté de campagne a-t-elle vraiment besoin de véhicules blindés renforcés pour protéger les policiers des mines artisanales postées sur le bas-côté de la route, comme en Irak ? Les USA sont en guerre contre leurs intérêts réels et contre leur population.
La défense incohérente de leur hégémonie sur le monde et de leurs intérêts financiers les mène à une catastrophe programmée. Le seul espoir d’une Europe aveugle, peureuse et désorientée (parce que peureuse) est de ne pas trop souffrir des derniers moments de l’effondrement. Plus nos liens avec les Etats-Unis seront forts et plus nous souffrirons.
Le comble est que nous avons encore le choix, je devrais plutôt dire un certain choix. Nous pouvons encore prendre des mesures pour limiter les dégâts. Mais il faudrait pour cela couper un cordon que les autorités américaines, de leur côté s’emploient à renforcer le plus possible. Les moyens sont multiples mais reposent essentiellement sur la manipulation, ou, dit plus directement, la « capacité des Etats-Unis à modeler l’opinion » chère à Barak Obama[1].
Cette capacité s’effrite sérieusement ces derniers temps, mais les dirigeants européens sont trop intoxiqués encore pour s’en apercevoir. Quant aux autorités américaines elles ont commencé à voir le danger et leur réaction a été comme d’habitude, violente. L’affrontement leur tient lieu de réflexion depuis longtemps. Comme disent les Russes « tu t’énerves, Jupiter, donc tu as tort »[2].
Le besoin de « narrative » à usage externe et à usage interne.
Les autorités américaines ont besoin de construire un ou des « récits » (narratives) à usage externe, ceux qui leur servent précisément à « façonner l’opinion mondiale » mais ils les utilisent également pour soigner la dissonance cognitive que leur comportement agressif provoque. C’est ainsi qu’est née le premier « récit » de l’histoire américaine, la notion de « Destinée Manifeste », théorisée en 1845 par le journaliste américain, John O’Sullivan. Il cherchait à établir une sorte de « base morale » à la colonisation du continent nord américain. Selon lui, « C'est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude. »
Comme l’explique Françoise Clary de l’Université de Rouen, « En introduisant l’expression au milieu de l’année 1845, le journaliste John O’Sullivan, offrait aux Américains un mythe propre à légitimer le développement de l’empire. Associant deux idées, démocratie et empire, il justifiait la spoliation des ethnies qui côtoyaient les Anglo-Américains ».
Le danger de l’utilisation du « récit » est qu’il est addictif et amène inéluctablement, plus ou moins rapidement, à évoluer dans une sorte de monde virtuel d’où sont exclues toutes les informations qui risqueraient de mettre en doute ce « récit ». Dimitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie pointait précisément ce danger en expliquant que le problème principal des relations USA-Russie résidait dans le fait que le premier pays vivait dans un monde virtuel, alors que le second vivait dans le monde réel.
Plus récemment, Jay Ogilvy un analyste de la société Stratfor[3] créée par Georges Friedman[4], expliquait que le désir de diaboliser Vladimir Poutine et la volonté de considérer l’Ukraine comme un pays d’Europe de l’Est comme un autre empêchaient les médias américains de voir ce qui se passe réellement en Ukraine.
Aucun dirigeant américain, ou presque ne semble échapper à cette addiction. Les symptômes sont toujours les mêmes, excès confiance en soi et en la destinée manifeste des Etats-Unis, mais surtout une étonnante sorte de « cécité sélective ». Ainsi, en septembre 2014, le président Obama citait la stratégie américaine au Yémen comme un modèle de ce qu’il fallait faire selon lui en Irak et en Afghanistan. L’histoire n’a pas mis longtemps à juger cette politique.
Car c’est un autre symptôme du même mal : la tendance à faire toujours la même chose en s’attendant à chaque fois à un résultat différent. Albert Einstein pensait que c’était une bonne définition de la folie. Faut-il en conclure que l’abus de « récit » conduit à la folie. Si on en juge par l’évolution de la situation en Europe et aux risques de guerre que nous fait courir la crise ukrainienne, on pourrait en effet le penser.
L’abus de « récit » contribue à une sorte d’asphyxie du cerveau, privé du matériel nécessaire à la réflexion : le faits. En excluant systématiquement les faits qui contredisent un raisonnement initial, on bloque toute possibilité de nouveau raisonnement et le cerveau « rouille ».
La maladie a depuis longtemps traversé l’Atlantique mais, grâce au ciel, un certain nombre de journalistes (assez peu il est vrai dans les médias officiels), d’analystes et même de politiques semble immunisés, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe.


[1] Discours à West Point en mai 2014. Dans ce discours il expliquait également : « les Etats-Unis demeurent la nation indispensable. Il en a été ainsi au siècle dernier et cela se poursuivra dans le siècle à venir « .
[2] Andrew Lack, nouveau directeur du BBG (US Broadcastings Board of Governors), dans le cadre d’une interview au New York Times en janvier 2015 mentionne la chaine RT (Russia Today) comme une menace à laquelle son agence doit faire face au même titre que l’Etat Islamique ou Boko Haram.
[3] Stratfor, société privée d’analyse géopolitique, est souvent surnommée la “CIA privée”
[4] Georges Friedman s’est illustré récemment en donnant une interview au quotidien russe « Kommersant » dans lequel il expliquait que les autorités américaines avaient organisé le coup d’état en Ukraine en 2014, avant de conclure dans une impressionnante contorsion sémantique que c’était à cause du désir expansionniste de la Russie.

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